Manque de lien social, immobilisme, stress, sentiment de mal-être sont venus à bout du moral de Marie Ranchy, responsable paie dans un cabinet d'expert-comptable. Un livre, un déclic, une reconversion professionnelle et elle devient responsable d'une épicerie vrac. C'est le troisième volet de notre série d'été "Ils ont changé de vie".
Pour Marie Ranchy, la lecture du livre de Béa Johnson, "zéro déchet" a été le facteur déclencheur.
Elle explique que "ce livre a été la goutte d'eau qui m'a permis de changer, de revenir à un mode de vie plus simple et plus durable auquel je crois."
Ce best-seller explique comment simplifier sa vie en réduisant ses déchets, mais pas seulement : il présente une philosophie de vie qui repose sur cinq principes : refuser le superflu, réduire le nécessaire, réutiliser ce que l'on achète, recycler tout ce que l'on n'a pas pu refuser et composter le reste. Aspirée dans un tourbillon où la frénésie marchande vient sans cesse la solliciter, cette lecture la conduit dans un premier temps à changer son mode de consommation. Elle opte pour le vrac.
L'héritage d'une éducation
Depuis toujours, dans un petit coin de sa tête, elle garde l'image heureuse du havre de paix minimaliste de son enfance : un potager naturel, des poules, des lapins. " Avec peu de moyens, presque en autonomie, mes parents se débrouillaient et cette vie était belle" confie-t-elle.
Un coup de cœur de jeunesse
Très jeune, simplement pour aider, Marie Ranchy vient dès que possible sur son temps libre épauler sa belle-mère dans l'épicerie familiale. Elle adore ces moments partagés. Son goût pour le commerce ne la quittera jamais, et à l'époque l'idée d'en faire son métier ne lui vient pas à l'esprit.
Une équation familiale favorable
Ses filles grandissent et gagnent en autonomie. Son époux trouve un emploi lui permettant d'être présent tous les soirs à domicile. Elle hérite de son père d'un peu d'argent. Plus libre, elle prend alors du temps pour réfléchir à l'idée de sa reconversion professionnelle. "Tu passes trop de temps à faire tes courses de la semaine en courant dans plusieurs magasins, tu veux faire un commerce et tu as un besoin. Eurêka, l'idée de créer un lieu unique regroupant tout le nécessaire de son quotidien en distribution "vrac" apparaît comme une évidence", souligne-t-elle dans un large sourire. Les premières pierres du projet de l'épicerie sont posées. Elle en parle autour d'elle et reçoit le soutien immédiat de sa famille et de ses amis.
Un local à trouver
Elle voulait rester à Laillé, au sud de Rennes, où elle habite pour être cohérente avec ses valeurs écologiques. Sa recherche s'avère difficile. Allant de refus en refus, elle s'adresse à la mairie du village en charge de l'immobilier professionnel et bénéficie de conseils. Elle acquiert une maison du bourg bien placée, bien desservie et accessible, visible et assez grande. "Je suis propriétaire du bien et le loue à l'épicerie", argumente la comptable.
« Le parcours a été jalonné de nombreuses situations négatives. J'ai douté et déprimé. Mais, à chaque fois que je reculais, c'était pour mieux sauter, comme s'il y avait une raison. Aujourd'hui, je m'abats moins vite et suis rapidement motivée pour faire face et faire mieux."
Marie Ranchy
Une étude de marché obligatoire à réaliser
Par manque de moyens et de temps, elle réalise son étude de marché rapidement. Une amie statisticienne l'aide à l'analyse les données." J'avais une petite idée du nombre de personnes intéressées et savais que ces chiffres étaient plus bas que la réalité, mon étude n'étant pas complète", explique-t-elle. À ces chiffres encourageants de viabilité de son entreprise rurale vient s'ajouter le critère de non-concurrence.
"Connaître du monde, c'est important, car ce sont vos premiers clients et aussi vos ambassadeurs."
Marie Ranchy
Une formation à programmer
Elle signe un contrat "Pass création" avec la CCI, la Chambre de Commerce et d'Industrie de Rennes, pour bénéficier de cinq jours de formation. Cet accompagnement personnalisé l'aide à finaliser son projet : marketing, budget, assurance, banque… Elle rencontre de futurs entrepreneurs et s'enrichit de connaissances à leur contact.
Elle adhère ensuite à l'association Réseau Vrac afin de s'inscrire à deux jours d'atelier "monter son épicerie vrac" et "hygiène denrées alimentaires". Ce réseau qui promeut et soutient ce mode de distribution depuis 2015 lui permet de rencontrer de nombreux fournisseurs, confrères, consœurs, et d'obtenir des informations juridiques... Tous ces outils mis à sa disposition l'informent en continu et répondent à ces questions.
À ces dix jours de formation, Pôle emploi permet aux personnes en reconversion professionnelle de s'immerger dans une entreprise la plus ressemblante à leur projet. Ce stage intéressant reste une expérience sans surprise pour elle.
En parallèle, cette gestionnaire aguerrie mène de front le montage de son dossier pour bénéficier des indemnités mensuelles sur deux ans "démission reconversion" de Pôle emploi.
Une banque à convaincre
Lors de son premier passage devant la commission Pôle emploi, son dossier est rejeté. Celle-ci estime sa demande financière trop élevée. Elle exige l'accord d'une banque acceptant l'achat du local et le financement des travaux de l'épicerie pour s'engager à son tour. Le stress est intense, les journées sont longues. Après plusieurs refus de banques, enfin un oui. Dans la foulée, Pôle emploi accepte son dossier.
« Être chef d'entreprise, c'est penser entreprise du matin au soir et souvent la nuit aussi."
Marie Ranchy
Un chantier à gérer
Avec l'aide de son époux, ils s’activent aux travaux de la maison à transformer en commerce les soirs, les week-end et les vacances. L'aménagement se réalise à partir d'éléments récupérés, caisses de pommes, tourets, ancien dressing détourné en étagères. Elle réutilise certains meubles de la cuisine de cette ancienne maison ainsi qu'un bout de parquet qui sert de bardage. Elle collabore avec une jeune entreprise qui transforme le bois de palette en meuble fait sur mesure.
" Tous ces éléments étaient comme les pièces d'un puzzle, j'avais peur que l'aspect final de l'agencement fasse un peu trop "bric-à-brac". Finalement, avec mes critères de sélection, matériaux naturels aux couleurs douces, bois clair, fer forgé noir, le lieu a un aspect authentique, dépouillé, minimal et industriel."
Marie Ranchy
Elle réfléchit à la clarté, la praticité, l'ergonomie, la circulation au sein de son magasin en tenant compte des normes de sécurité et d'hygiène imposées. "Ce projet a été une super expérience familiale, tous mes proches ont participé avec beaucoup d'entrain aux travaux : ponçage, joints, peinture, ménage… Mon beau-père m'a donné des caisses à pommes, une touche déco qui me va droit au cœur, elles correspondent à l'esprit de récupération et de solidarité que je veux donner à ce lieu. Étendre la vie des objets me procure du plaisir" raconte-t-elle.
Une offre de produits riche et variée
Dernière ligne droite avant d'ouvrir le magasin, remplir les rayons. Elle souhaite que son épicerie propose tout ce qu'il faut pour le quotidien.
"J'ai abandonné l'idée de vendre de la viande et du poisson, et c'est sans regret, les consommateurs vrac comme mes principaux clients sont principalement végétariens ou flexitariens et trouvent à deux pas de ma boutique sur le marché le complément de leur course."
Marie Ranchy
Local et bio sont ces deux mots d'ordre. La recherche de ses fournisseurs prend beaucoup de temps. En plein Covid, très sollicités par les grandes surfaces qui surfent sur ce nouveau mode de distribution, les producteurs refusent de prendre de nouveaux clients pro. La crise sanitaire passée, ce mouvement se calme et ne vient pas la concurrencer. À cette recherche s'ajoute la contrainte du vrac, tous les fournisseurs ne savent pas comment livrer sans emballage. " Mon vinaigre de cidre à la base est vendu en bouteille, je le voulais en vrac, avec mes fournisseurs, nous trouvons des solutions, nous inventons notre métier", s'enthousiasme-t-elle. Épicerie sèche : pâtes, riz, épices, céréales du matin, produits apéritifs, fruits secs, arachides, thé, café… Produits laitiers, fruits, légumes, produits cosmétiques, produits d'entretien, produits de base pour faire ses propres produits, pain, œufs, plats et desserts préparés… toutes ces références couvrent la base des principaux besoins des courses quotidiennes. La majorité de ses fournisseurs sont très proches.
" Le but est de faire prendre conscience aux gens que l'on peut consommer local et sans emballage jetable."
Marie Ranchy
Un rayon qui attire une clientèle variée
Le procédé du vrac séduit tous les âges. Elle fidélise une clientèle qui compte des jeunes animés par la nécessité d'agir ou ayant des contraintes de budget, des personnes sensibles au bio, qui ne regardent pas au prix, mais à la provenance et à la qualité.
Elle y voit aussi des parents qui viennent avec leurs enfants dans un souci éducatif et des personnes âgées qui ont une forme de nostalgie pour le commerce d'autrefois.
"Les habitudes changent, j'ai vu des gens qui ne savaient pas comment faire et qui aujourd'hui viennent avec leur contenant tous les deux jours. Ce n'est pas plus cher de se nourrir comme cela. Ce modèle de distribution permet de supprimer les coûts d'emballage, les intermédiaires et les coûts marketing. Tu consommes moins, mais tu consommes mieux."
Marie Ranchy
Pas de numéro de clients dans son magasin, mais des personnes avec un prénom qu'elle s'efforce de retenir, et un service de proximité dont elle se sent fière. " Je me suis liée d'amitié avec un résident senior qui venait en béquille faire ses courses jusqu'à chez moi. Une place sur un banc et un verre d'eau l'attendait à chaque visite. Au fil de nos conversations, j'apprends qu'un de ses fils habite la même petite commune de 200 âmes que ma mère. Aujourd'hui, il ne peut plus venir et ses enfants m'appellent pour lui livrer ses fruits. C'est une petite histoire parmi tant d'autres, mais toutes ces relations me procurent beaucoup de bonheur", confie-t-elle.
Un lieu d'animations engagées
L'altruisme au rendez-vous, elle anime sa boutique en créant des évènements solidaires et sociaux : friperie en échange ou don gratuit pour alléger son dressing et pour donner une seconde vie aux vêtements, dégustation, démonstration, ateliers zéro déchet, atelier cosmétique et culinaire… Tous ces moments de partage permettent aux gens de se connaître et font vivre sa boutique." Je ne suis pas survivaliste, mais face à la planète qui va mal, apprenons à mieux nous connaître et mieux nous entraider pour nous préparer à vivre avec plus d'autonomie. Entamer la transition petit à petit fera moins mal que si nous la laissons arriver brutalement", explique la cheffe d'entreprise.
Un lieu d'entraide
L'union fait la force tous les jours dans son magasin. En contact avec d'autres chefs d'entreprises, elle partage des astuces, trouve du réconfort pour se remotiver dans les moments difficiles.
Un mode de vie rêvé, un mode de vie durable
Moins de vacances, plus d'heures de présence, tous les samedis pris, organisation intense, anticipation constante, gestion complexe des stocks à assurer avec de nombreuses références... le métier de commerçante n'a pas que des avantages. Pourtant, Marie Ranchy se dit plus sereine intérieurement.
"Je suis toujours en mouvement, mon excitation est joyeuse, je pense à mille choses à la fois, je dois sans cesse améliorer, inventer, je me sens heureuse même si rien n'est gagné et que mon commerce reste fragile."
Marie Ranchy
Elle se sent apaisée, en accord avec ses valeurs. "Je vis mon rêve" précise la commerçante. Elle a gagné en confiance en elle, ce projet lui a révélé son potentiel. Elle n'en revient toujours pas du chemin parcouru. Pour ses enfants elle estime aussi que ce projet est une belle école de la vie. "Elles s'intéressent, c'est quoi un budget ? une commande ? un bon de livraison ? une réception ? un réapprovisionement ? un inventaire ? Elles sont sorties de leur timidité au contact des clients. Le dimanche s'il nous manque quelque chose, en cinq minutes à pied, on va le chercher, en semaine mes filles s'arrêtent à la boutique en revenant de l'école" raconte t-elle. Elle s'étonne encore d'être aussi extravertie dans son commerce et de redevenir introvertie dès le seuil de la boutique franchie. De gestionnaire de paie à commerçante d'une épicerie vrac, l'aventure "zéro déchet" de Marie Ranchy se solde aujourd'hui d'un merveilleux "zéro regret".