Elles croyaient être guéries du Covid-19. Pourtant, depuis mars, Amélie et Pauline enchaînent périodes de rémission (très courtes) et rechutes. Les deux Rennaises décrivent des symptômes polymorphes, douloureux, les empêchant de renouer avec leur vie d'avant.
"Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'avoir 60 ans. Hier j'en avais 80". En réalité, Amélie a 42 ans. Elle souffre depuis deux mois et demi de symptômes persistants, après avoir développé une forme bénigne du Covid-19. Elle ne compte plus les jours où la douleur dans ses articulations est si forte qu'elle la cloue au lit.
Sans parler de cette gêne respiratoire toujours là. "Mon dos, mes poignets, mes chevilles, tout mon corps me fait mal, confie-t-elle. J'ai des poussées inflammatoires, c'est l'horreur".
"J'ai l'impression d'être une torche humaine"
Cette Rennaise, plus habituée à la fatigue des marathons qu'elle courait jusque-là, a le sentiment que sa vie se résume, désormais, à un épuisement physique permanent. "Dès que je fais un effort, les crises inflammatoires augmentent. J'étais plus en forme après avoir couru 42 km. Maintenant, je m'épuise en faisant le tour du pâté de maison ou en cuisinant un gâteau avec ma fille".
Et d'ajouter : "là je vous parle, mais je sais qu'après cette discussion, cela va me prendre du temps à m'en remettre. Je n'ai plus aucune énergie. Juste ces douleurs perpétuelles qui vont et viennent et m'empêchent aussi de dormir".
De nouveaux symptômes sont apparus récemment : des rougeurs sur le visage "avec une sensation de brûlures qui touchent aussi mon cou et mes épaules. J'ai l'impression d'être une torche humaine" dit-elle.
"Moments de chagrin"
C'est son médecin traitant qui assure le suivi médical. "Et elle se bat pour moi, raconte Amélie. Elle, au moins, elle me croit parce que la phrase 'c'est lié au stress, madame, prenez donc du Xanax', je n'en peux plus ! Je traverse plus des moments de chagrin que de stress, car ma vie d'avant me manque vraiment et je ne sais pas si ce que j'ai va disparaître ou rester".
Les malades, comme Amélie, se retrouvent sur les réseaux sociaux, via le hashtag #apresJ60. "Quand j'ai découvert ce hashtag sur Twitter, je me suis sentie moins seule" souligne cette Rennaise qui, dans ses tweets, laisse parfois couler sa détresse teintée de colère :
Sinon on peut parler des malades #apresJ60 #apresJ90 #ApresJ120 et qui morflent plutôt de l'app #StopCovid ? Nan ? Ou du cake d'amour de Peau d'âne, c'est comme vous voulez hein ?
— Amélie Perrier (@Am3liePerrier) May 27, 2020
Sur Facebook, le groupe #apresJ20 réunit déjà plus d'un millier de personnes de Brest à Lille, en passant par Strasbourg, Nancy ou encore Bordeaux. Un groupe pour discuter, partager où chacun prend des nouvelles des uns et des autres. "C'est important de se dire qu'on n'est pas tout seul. Moi, en tout cas, cela m'aide parce que, des fois, j'ai l'impression d'être folle" note Pauline qui, elle aussi, subit les séquelles du Covid-19.
Quand nous la contactons par téléphone, elle ne cache pas sa joie d'avoir pu sortir de son appartement rennais pour aller se reposer dans le Morbihan chez ses parents.
"J'essaie de profiter de la moindre amélioration dans mon état... mais c'est précaire. Hier je suis allée marcher un peu et derrière, j'ai dégusté. En fait, je ne peux pas marcher plus de vingt minutes sans avoir envie de pleurer tellement j'ai mal. Je ne suis plus capable de faire grand chose. Même porter mes sacs de courses, je ne peux pas".
Avant tout cela, j'allais bien, j'avais une vie sociale, je m'occupais de mes enfants. Aujourd'hui, c'est impossible
Pauline, qui a 40 ans, est tombée malade le 15 mars. "Je pensais que j'allais guérir. Mais je n'ai jamais guéri". De rechute en rémission, elle se retrouve aux urgences 45 jours après avoir été infectée par le coronavirus. "Je n'arrivais plus à respirer. Les médecins ont eu peur que ce soit une embolie pulmonaire car tous les marqueurs allaient dans ce sens. J'avais même une cheville toute bleue et enflée et ils ont aussi pensé à une phlébite. Aux examens, il n'y avait rien. Retour à la case départ".
Trois jours plus tard, elle est prise d'une forte fièvre et reçoit un traitement antiobiotique. Elle a aussi ce qu'elle appelle des "bugs neurologiques" : difficulté à parler, perte de mémoire. Et depuis quinze jours, son corps la brûle, ses muscles sont douloureux et, comme si ce n'était pas assez, elle a découvert qu'elle avait une double tendinite du cou jusqu'au coude et les talons d'achille fragilisés. "Ah oui, j'oubliais, ironise-t-elle, j'ai de la tachycardie. Mon coeur, au repos, monte jusqu'à 140... comme si je courais, sauf que je suis assise !".
"On manque de recul"
Une double étude pour mieux saisir la résurgence et la persistance de ces symptômes vient d'être lancée par l'hôpital parisien de l'Hôtel-Dieu. Le phénomène interroge car "il est totalement inattendu, explique le professeur Pierre Tattevin, infectiologue au CHU de Rennes. On manque de recul pour expliquer le mécanisme auquel on assiste ici. Ce syndrome post-infectieux est-il une réponse décalée du système immunitaire ? On ne sait pas grand chose et c'est en cours d'exploration".
Sur la région rennaise, près de 400 malades atteints d'une forme bénigne du Covid-19 et restés à domicile ont bénéficié d'un télésuivi avec l'application MyCHURennes. "Entre 10 et 15 % d'entre eux ont eu une rechute de symptômes, précise le pr Tattevin. Pour certains, il y a eu une amélioration. Mais si cela s'installe de manière chronique, il est clair qu'il faut revenir consulter".
Je vivote : je passe de mon lit à mon canapé. Et vice-versa
Amélie n'a pas obtenu de rendez-vous en médecine interne à l'hôpital de Rennes avant le...23 novembre. "C'est la croix et la bannière pour être entendue. Nous sommes des milliers à avoir des séquelles du coronavirus, à subir les conséquences de ce virus dans nos vies. Nous avons besoin d'un suivi spécifique et pas seulement chez les médecins de ville qui, heureusement, sont là et nous épaulent".
Pauline, elle, n'a pas plus envie d'être considérée comme une malade imaginaire. Ni même qu'on lui oppose la notion de choc post-traumatique qui expliquerait ses symptômes. "Ce que je vis est bien physique. On serait donc des milliers à déclarer des maladies psycho-somatiques, comme ça, au hasard ? Les tests cliniques parlent pour moi : il y a un truc dans mon corps qui est déréglé et je veux savoir ce qui m'arrive".