La communauté russe bretonne ne comprend pas l'hostilité dont elle fait l 'objet depuis le début de la guerre en Ukraine. Bien intégrée, jusqu'alors avec des liens amicaux avec les bretons et les autres communautés slaves, elle fait parfois l'objet de propos stigmatisants alors qu'elle compatit avec le peuple ukrainien.
Elle préfère témoigner de façon anonyme : N. est russe mais naturalisée française. Elle a 37 ans, professeur d'Art plastique, elle vit à Rennes depuis six ans et en France depuis une vingtaine d'années.
Par admiration pour les artistes français "et leur côté romantique", dit-elle, elle avait choisi de venir faire des études de français et des étude d'arts dans l'hexagone.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, elle n'est pas tranquille et ne comprend pas le regard que pose désormais son entourage non russophone sur elle. "Je n'ai pas ressentie de mise en cause de mon cercle proche mais les gens me posent des questions, je sais qu'il y aura des conséquences pour nous..
Une déchirure
"Aujourd'hui, je me sens mal d'être russe car c'est mon pays. Je me sens déchirée car ma famille qui est là-bas est sous influence à cause de la propagande et soutient la politique de Poutine". "Ma famille est russe , explique N., " elle vit à 300 kms de la frontière ukrainienne. Quand je suis en contact avec mes parents, mes frères et sœurs, j'évite de parler au sujet de la guerre pour ne pas rompre le lien . Je pense qu'ils peuvent encore me parler librement mais ils n'ont pas de point de vue détaché car ils sont sous influence du discours officiel. Je n'essaie pas de les faire changer d'avis. Ils pensent que nous, en France, nous sommes désinformés."
Des agressions
N. commence à avoir peur. Il y a de quoi quand on constate certaines réactions irrationnelles et gratuites.
Ainsi, dans la nuit de jeudi 3 au vendredi 4 mars dernier , une fenêtre de l’épicerie russe Kalinka, à Rennes (Ille-et-Vilaine), a été brisée, au grand désarroi de sa propriétaire, Arménienne, qui a de la famille en Ukraine.
Un amalgame teinté de violence. Et non, cette boutique n'appartient pas à une russe et quand bien même ! La jeune femme a racheté cette échoppe qui a pignon sur rue depuis dix ans, il y a un peu plus de deux ans.
J'ai mal au cœur après qu'on s'en soit pris à mon magasin. C'est la première fois que ça arrive. Sans le soutien de mes clients, je n'aurai pas réouvert. les gens ne voient qu'à travers la politique, c'est compliqué et j'ai peur pour ma famille.
propriétaire épicerie russe Kalinka
S. n'avait pas besoin de cette agression, car sa famille vit à Marioupoul, en Ukraine. Elle n'a pas de nouvelles depuis plus d'une semaine et est très inquiète. Mère de trois enfants, elle craint des représailles et a désormais peur pour eux.
Russophobie à l'égard des enfants aussi !
Cette russophobie , la présidente de l'association Matriockha en Bigouden, basée à Rennes, la constate aussi. La structure compte une centaine d'adhérents, et a pour but de promouvoir la culture des pays russophones via l’organisation d'évènements, de donner des cours de russe collectifs et développer le bilinguisme chez les enfants franco-russes.
Parmi les gens qui la fréquentent, des Russes installés à rennes, des Français, mais aussi des personnes de différentes nationalités, Géorgiens, Azerbaidjanais et Ukrainiens, parmi lesquels des couples binationaux.
Jusqu'à présent, on était fiers d'être russe mais maintenant cela change. Notre association veut rester neutre mais certains enfants de notre communauté commencent à être inquiétés à l'école. On confond la politique et les individus.
Présidente association Matriocka en bigouden
"A Rennes, une petite fille a été agressée verbalement par des camarades : pourquoi ton pays a fait ça? lui a t-on dit" raconte la Présidente de l'association . En réponse, la structure a mis en ligne sur son site des articles sur la psychologie des enfants pour les soutenir en cas de besoin et expliquer comment se comporter face à une situation d'agression.
Dès le début du conflit, l'association s'est mobilisée pour lancer des collectes de dons à destination des Ukrainiens. Certains membres ont manifesté avec les rennais lors des rassemblements pour la paix à Rennes.
Matriockha en Bigouden se propose également pour aider pour des traductions ou pour des accompagnements administratifs et lors des contacts pour des hébergements, car les langues russes et ukrainiennes sont très proches.
L'association veut faire passer un message de paix avant tout : nous aussi, Russes de Rennes, sommes au côté du peuple ukrainien qui souffre, et lui tendons la main.