Le décès de la fillette d'une fleuriste a été reconnu, par les organismes de protection sociale, comme imputable aux pesticides présents sur les fleurs. Originaire des pays de la Loire, l'ex-fleuriste réclame devant la justice une indemnisation représentative du calvaire enduré par sa fille et par sa famille. La Cour d'appel de Rennes a mis son jugement en délibéré au 4 décembre 2024. Au moins deux autres cas de fleuristes décédés d'un cancer lié à l'exposition aux pesticides sont officiellement reconnus. Pourtant, la profession dispose de peu d'information sur les risques liés à ces produits.
Emmy est décédée en mars 2022, à l'âge de 11 ans, après avoir lutté pendant sept années contre un cancer. Avant de mourir, la fillette a fait promettre à sa mère de se battre pour que "tout le monde sache la vérité". "Elle m'a dit : ‘Maman, tu dois te battre, parce qu'on n'a pas le droit d'empoisonner les enfants', a rappelé Laure Marivain, ce mercredi 9 octobre après l'audience à Rennes. "Si on est capable de comprendre cela à 11 ans, que font les adultes qui sont censés nous protéger ?", s'indigne la mère de famille d'une voix tremblante.
Elle m'a dit: "Maman, tu dois te battre, parce qu'on n'a pas le droit d'empoisonner les enfants".
Laure MarivainEx-fleuriste et mère de la fillette décédée
Le lien de causalité établi
Après le décès de l'enfant, le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) a admis "le lien de causalité entre la pathologie [d’Emmy] et son exposition aux pesticides durant la période prénatale" : le décès de la fillette est lié à l’exposition aux pesticides de sa mère, fleuriste dans les Pays de la Loire, pendant sa grossesse.
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Habituellement amené à examiner les cas de cancer parmi les agriculteurs, cette reconnaissance par le FIVP est parmi les premières concernant une fleuriste.
"On peut parler d'empoisonnement"
Laure Marivain a "consommé des pesticides" sans le savoir. Elle a exercé comme fleuriste de 2004 à 2008, puis représentante de fleurs de 2008 à 2011 dans les Pays de la Loire. Des médecins lui ont dit : "on peut parler d'empoisonnement."
Les pesticides se sont introduits dans son organisme lorsqu'elle réceptionnait des fleurs traitées en provenance de Hollande et d’Amérique du Sud, les installait dans le magasin, puis en confectionnant les bouquets, en épinant, en nettoyant les roses et les plantes exotiques, en changeant l’eau des bacs, en livrant aussi des bottes florales chez des détaillants…
Citée dans le journal Le Monde, une enquête scientifique menée en Belgique auprès d'une quarantaine de fleuristes détecte, en 2019, une centaine de résidus de pesticides sur les mains des professionnels, et 70 en moyenne dans leurs urines. Conclusion de l'étude : les résidus de pesticides présents sur les fleurs coupées passent la barrière de la peau et pénètrent l’organisme.
Pas informé des risques
"Je ne savais pas du tout qu'on pouvait tomber malade simplement en manipulant des fleurs traitées aux pesticides !" s'étonne Jean-Michel, propriétaire d'une boutique de fleurs dans le centre de Rennes. "On évite les fleurs très polluées, comme les roses de Hollande, mais on ne peut pas se passer de roses", regrette le quadragénaire qui, jusqu'ici, se montrait davantage préoccupé par les conséquences de la production florale sur l'environnement, que sur sa propre santé.
"J'achète des roses d'Équateur", confie-t-il. "Ce n'est pas bon pour le CO2 du transport à travers la planète, mais j'ai lu qu'elles occasionnaient moins de pesticides dans l'environnement." Pour s'informer, le fleuriste lit surtout la newsletter de Valhor, l'organisation interprofessionnelle de l'horticulture. L'une des missions de l'organisme est de "répondre aux enjeux sanitaires du végétal".
Des cas reconnus en maladie professionnelle
"Quel professionnel de la fleur a conscience d'être empoisonné tous les jours à petit feu ?", s'est interrogée Laure Marivain devant la presse, à la sortie de la chambre sociale de Cour d'appel de Rennes. À ses côtés, son avocat François Lafforgue, défend des victimes de pesticides depuis plus de dix ans. Il a obtenu des reconnaissances en maladie professionnelle dans deux autres dossiers de fleuristes : Madame M., vendeuse de fleurs, décédée en 2019, à 57 ans, d’un lymphome non hodgkinien ; Madame S., morte en 2020, à 49 ans, également d’un lymphome non hodgkinien.
Quinze résidus de pesticides par bouquet
Une étude, publiée en novembre 2021 dans la revue Environnemental Pollution, a identifié l’usage de plus 200 pesticides pour la production ou la conservation des fleurs, dont 93 sont interdits par l’Union Européenne : près de la moitié de ces molécules très toxiques a été retrouvée dans des échantillons de fleurs vendues en Europe.
Dès 2017, des tests menés par 60 millions de consommateurs sur des roses commercialisées par dix grandes enseignes en France révélaient la présence de quinze substances en moyenne par bouquet.
À ce jour, il n'existe pas de réglementation sur la présence de pesticides dans les fleurs.
Laure Marivain, de son côté, refuse l'indemnisation de 25 000 euros proposée à chacun des deux parents. Elle réclame devant la justice une somme qui serait plus représentative du calvaire enduré par sa fille et par sa famille, par le frère et la sœur d'Emmy en particulier. Le jugement a été mis en délibéré au 4 décembre 2024.