La Janais – Redon : embarquez dans la navette C-08

Dans les années 60, les cars de la Janais étaient pleins à craquer, aujourd'hui les salariés sont moins nombreux à les utiliser. Nous avons embarqué avec les salariés du matin, sur la ligne La Janais - Redon.

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Tête baissée, tract du comité d'entreprise à la main, quelques employés franchissent les grilles de l'usine. Il est 13 h, c'est la fin de journée pour ceux qui ont commencé ce matin à 5 h 39. Sur le parking de l'entrée ouest de La Janais, une dizaine de navettes attend les passagers. Si certains bavardent en marchant, la plupart avance en silence. Chaque jour, plus de 800 personnes domiciliées dans les quatre départements bretons prennent le car.

« Il faut bien récupérer à un moment, on n'a pas le choix »


Devant la navette C-08 en direction de Redon, certains employés serrent la main de Vanessa, la conductrice. Daniel, 55 ans, s'assoit au premier rang. Cariste et employé PSA depuis 35 ans, il prend la navette « chaque jour que Dieu fait, et même ceux qu'il ne fait pas ». Pour lui, « quand on est sorti du boulot, c'est terminé. On ne parle pas du travail. On se change les idées ». Pendant tout le trajet, il parle à droite à gauche, rigole franchement. Pour Vanessa, c'est le « blagueur du car »
 

Derrière lui, tous n'ont pas son entrain. Sur la vingtaine de personnes assises, rares sont celles qui ne somnolent pas. « C'est la fatigue de la journée.  On s'est levés à 3 h », explique Josette, 57 ans. Épuisés par la journée de travail, bercés par le car, ils n'ont pas le cœur à discuter. Ils se connaissent tous, mais n'ont pas forcément envie de raconter leur vie. « Les horaires sont assez difficiles, ce ne sont pas des journées normales. Donc on se respecte les uns les autres. » Assise derrière elle, Martine, 48 ans, acquiesce : « Je me lève à 3 h 30, je prends le car à 5 h. Direction PSA, le vestiaire, je me change, je vais sur la ligne de montage. » Ses lunettes cachent à peine la fatigue lisible sur son visage. « Dès qu'on a fini à 13 h, c'est re-vestiaire, et en vitesse dans le car. En arrivant chez moi, je mange et je me repose. Il faut bien récupérer à un moment, on n'a pas le choix. » Navette, boulot, dodo, c'est le quotidien de ces salariés. 

Aller à La Janais lorsqu'on habite loin du site


Une centaine de lignes de cars a été mise en place au début des années 60. A l'époque, Philippe de Calan, directeur de La Janais et responsable du recrutement, était fier d'annoncer à l'Office de Radiodiffusion-télévision française (ORTF) que les ouvriers allaient pouvoir se rendre à l'usine sans devoir déménager. « Ce que vous souhaitez, c’est rester au pays et trouver du travail sur place. Vous avez beaucoup de chance : Citroën va vous le permettre. Vous allez pouvoir travailler à Rennes, tout en gardant votre maison et votre façon de vivre. Si cela vous convient, venez faire un essai sans aucun risque : les problèmes de transport sont résolus. » En fait, la direction aurait eu une idée plus précise en tête : permettre aux ouvriers d'origine paysanne de travailler tout en évitant la formation d'une cité ouvrière. 50 ans plus tard, douze lignes exploitées par Keolis Armor sont mises à disposition des employés de l'usine. Elles couvrent des distances qui vont entre 80 et 90 kilomètres autour de La Janais.

« Bonne journée et à demain ! » Première halte de la navette à Pipriac, il est presque 14 h. Encore quatre arrêts avant le terminus de Redon. Le transport est indemnisé par PSA, mais les employés versent toutefois une cotisation à l'entreprise, qui s'élève en moyenne entre un et deux euros par trajet.

« C'était la fiesta dans le car, on chantait »


Dans les cars, l'ambiance a quelque peu changé. « Dans les années 70-80, et même jusqu'en 1990, tout le monde venait en bus, ils étaient plein à craquer ! », affirme Jean-Yves, 58 ans, qui jette un bref coup d’œil au car quasiment vide et endormi. Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui préfèrent le covoiturage. Comme la moitié des salariés habite dans l'agglomération rennaise, ils n'ont pas besoin de ces navettes. Agent de maintenance depuis une quarantaine d'années à La Janais, Jean-Yves témoigne d'une évolution qu'il semble regretter. « C'était la fiesta dans le car, on chantait. Le vendredi soir c'était joyeux. C'était pas la même ambiance. » Il évoque une montée de l'individualisme, des gens plus renfermés qu'avant. « En ce temps-là, on faisait des repas en dehors de l'usine. Le vendredi soir, on jouait à la belote ou alors on buvait un coup, c'était complètement différent. L'usine était une grande famille. »

Avant de descendre, René, opérateur de 51 ans, lâche que selon lui, La Janais mettra les clés sous la porte d'ici à 2016. Alors que le car est quasiment vide, certains sont plus amers. Quand les portes se ferment, les deux derniers passagers renchérissent : « Bien avant 2016 ! Tout le monde va partir. Depuis qu'ils ont supprimé les petites bagnoles, c'est mort. Les voitures haut de gamme, tu parles ! Les gens n'ont plus de sous ! » En attendant, les derniers passagers se laissent bercer par le bruit lancinant du moteur. Dans la navette, le silence et l'inquiétude ont pris la place des airs guillerets d'antan.

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