Le procès de six hommes a démarré à la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine. Cinq y sont jugés pour homicide volontaire, un autre pour destruction de preuves. Ce lundi, les débats ont porté sur l’examen de la personnalité des accusés, dont deux frères.
Six hommes comparaissent devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, cinq pour homicide volontaire et un autre pour destruction de preuves. En juillet 2018, Dorian Guémené perdait la vie après avoir été roué de coups alors qu’il sortait d’une discothèque rennaise avec son ami Kevin Huruguen, lui aussi pris pour cible.
Après la désignation des jurés, le président de la cour, Frédéric Digne a procédé à la lecture de l’acte d’accusation. Au cours de cet énoncé d’une heure, il est revenu sur cette nuit du 7 juillet où tout a basculé. Ce rapport remet en avant la violence de l’agression. L’autopsie de Dorian atteste d’ecchymoses et de nombreux hématomes au visage. 95% des coups ont été portés à la tête, entraînant un œdème cérébral et donc un arrêt cardiaque.
De nombreuses incohérences sont aussi relevées. Les prévenus changent de version au cours de l'instruction. Le jour-même, quatre d’entre eux s’étaient concertés sur un discours à tenir. Deux autres s'échangeront des textos. "J'ai mal à la cheville à force d'avoir donné trop de coups de pied", écrira l'un. "Moi à ma droite (au poing)", répondra l'autre. Lors de leurs auditions un peu plus tard, ils diront ne pas avoir eu conscience de la gravité des faits à l'époque.
Blessé, Kevin Huruguen se verra attribuer 20 jours d'interruption temporaire de travail (ITT). Il est encore marqué pyschologiquement, éprouve de la culpabilité, indique l'acte d'accusation.
On espère une réponse positive de la justice qui jusqu’à présent n’a pas répondu à nos attentes, puisqu’elle a mis en liberté cinq des prévenus. On a du mal à comprendre que le système puisse permettre à des gens de partir en vacances alors que notre fils n’est plus là.
Deux frères sur le banc des accusés
Vient le moment de l'examen des personnalités. "Je sais qu’on s’attache beaucoup à la personnalité des accusés et un peu moins à celle des victimes. Mais aux assises c’est d’abord le procès de la société contre des individus", tient à rappeler le président de la cour. Et d'ajouter : "Ces examens de personnalités vont permettre de savoir à qui on a affaire".
Ce lundi matin, c’est celle de Sacha R. qui est d'abord passée au crible. Le jeune homme était âgé de 25 ans en 2018. Il en a désormais 28. C’est le seul qui se trouve en détention depuis trois ans, à la maison d’arrêt de Saint-Malo. Il a été transféré à Vezin-le-Coquet près de Rennes, le temps du procès.
Un intervenant socio-judicaire s'adresse à la cour. Il a rencontré Sacha en décembre 2018, et son entourage. Le jeune homme est le dernier d’une fratrie de trois garçons. Il est décrit comme quelqu'un de "bienveillant, jovial, ayant du leadership, festif". Ses parents travaillent dans la restauration. Il grandit au sein d'une famille "chaleureuse, aimante, démonstrative". Le père prône "l’humour et l’amour", encourage ses fils à la pratique du football. Sacha ira d'ailleurs en préformation à Ploufragan. Blessé, victime d'une pubalgie, il doit abandonner. En 2009, il repart dans un centre de formation, cette fois à Tours. Ses performances ne seront pourtant pas assez bonnes. Après la séparation de ses parents, il travaille au sein du restaurant de son père à Chantepie, une expérience qu'il n'a pas aimée. De 2016 à 2018, il sera facteur, un emploi plus "tranquille".
Sacha a déjà eu affaire à la justice. En 2014, il est poursuivi pour violences, condamné à 6 mois de sursis. Mais il a fait opposition. Le président du tribunal précise à ce titre que cette affaire n'est pas encore jugée.
En col roulé noir, Sacha se lève ensuite pour répondre aux questions. Il baisse son masque, s'exprime en regardant bien ses interlocuteurs. Il confirme le portrait qui a été fait de lui, regrette de ne s'être pas donné toutes les chances de réussir dans le foot. Le président l'interroge sur sa détention et demande : "Pourquoi n'avez-vous pas souhaité votre remise en liberté ?" "Avec mon avocat on était conscient de la gravité de la situation, je n'ai pas formulé de demande." Plus tard, il ajoute : "Je préfère gagner du temps, si c'est le terme exact, sur les années que je suis en train de faire en prison." Il souligne que c'est compliqué d'avoir des projets, d'envisager un avenir à l'heure actuelle.
Les avocats des parties civiles l'interrogent sur les faits de violences de 2014, rapportent des similitudes avec l'affaire en cours. Là aussi des coups de poing et de pied. L'une des victimes a eu la mâchoire fracturée, un os sous l'oeil brisé. Sacha dit avoir endossé des responsabilités pour d'autres, des proches. Maître Pascal Rouiller, l'un des avocats des parents de Dorian lui lance : "La loyauté est-elle plus forte que la vérité ?". "J'ai dit une part de vérité, il n'y avait pas d'intérêt à ce que les autres soient mis en cause". L'avocat le relance. "L'intérêt c'est que peut-être on saurait ce qui s'est passé réellement ?"
Il comprend les enjeux et reconnaît avoir participé aux violences, sur Kevin mais pas sur le jeune homme qui a perdu la vie. La cour devra débattre et ensuite prendre des décisions pour chacune des qualifications et chacun des accusés.
L'après-midi, c'est de son frère Stanislas dont il s'agit, le cadet de la fratrie, 31 ans aujourd'hui. Il comparaît libre mais a déjà passé plus de 20 mois en détention provisoire entre 2018 et 2020, une période qu'il taira.
Il n'est pas à l'aise devant la cour. "J’ai du mal à parler quand il y a du monde, encore plus aujourd’hui. Je cherche mes mots, je ne sais pas trop quoi dire d’ailleurs". "Calme, doux, travailleur, drôle, attentionné" sont les adjectifs qui reviennent pour le décrire.
Là aussi, le football prend toute sa place. Il a un bon niveau mais une blessure au dos le met hors jeu pendant deux ans, lui fait manquer l'école. L'école, ce n'était pas trop son truc, il était trop "rêveur". Avec le recul, il estime que ce n'est pas seulement cette blessure qui le freine dans le foot mais le fait qu'il soit "trop gentil", pas assez compétiteur. Il rejoint comme Sacha, son père dans la restauration "beaucoup d'horaires pour pas d'argent" déclare-t-il. Après la liquidation de l'établissement, il travaille dans des bars. Mais le milieu commence à lui déplaire, "trop d'alcool, ça ne rend pas tout le monde intelligent". A son tour, il s'engage à La Poste. Comme son frère, il évoque une meilleure qualité de vie.
Maître Rouiller tente de l'interpeller sur sa détention. "Juste ou pas juste ?" "On le saura dans deux semaines", lâche Stanislas.
Je n’ai jamais imaginé un jour qu’un truc comme ça nous arrive. Jamais il n'y a eu un truc bizarre…C’est dur à vivre.
Le président de la cour donne la parole à leur mère, à la demande des avocats de ses fils. Après avoir parlé de chacun, elle lâche : "Je ne les reconnais pas dans ces comportements qui leur sont reprochés". "Est-ce que ça vous arrive de penser aux parents de Dorian ?", demande le président. "Oui je pourrais être à leur place, ça aurait pu être l’inverse. Depuis cette histoire, je me rends compte que ce sont des situations qui arrivent très souvent. Ils ont perdu un enfant, il n’y a pas pire au monde."
En fin d'après-midi, Alexandre P. âgé de 31 ans s'exprime à son tour. Lui est poursuivi pour destruction de preuves. D'emblée, d'une voix chevrotante, il demande à la cour s'il peut s'adresser à la famille de Dorian. Il leur présente alors ses "plus sincères excuses".
Les accusés encourent jusqu’à 30 ans de réclusion criminelle pour homicide volontaire. Alexandre P. risque jusqu’à 3 ans de prison pour destruction de preuves. L'examen des personnalités doit se poursuivre demain mardi. Tous seront entendus sur les faits mercredi.
Le verdict est attendu le 22 octobre.