Après des années fastes, les professionnels du BTP s'alarment. Le nombre de constructions neuves a baissé de 25 % en 2023, celui des ventes a chuté de 40 %. Alors que la Bretagne a besoin de 23.000 logements neufs par an, ils alertent sur la crise sociale à venir et dénoncent l'inaction du gouvernement.
Anthony Durandeau est couvreur à Saint-Uniac, en Ille-et-Vilaine. Il y a un an, il a repris l’entreprise de son ancien patron avec deux employés. La société assurait exclusivement la couverture des maisons neuves. À l'époque, son carnet de commandes était plein et l’avenir plutôt serein, mais ces derniers temps, l'entrepreneur fait face à une baisse des commandes. L'entreprise est passée de quatre à deux couvreurs.
Aujourd'hui, avec les taux des banques, les gens peuvent moins emprunter. Les devis, on en a, mais au niveau des banques, c'est souvent refusé
Anthony DurandeauCouvreur
Pour rester dans la course, Anthony doit se diversifier. Alors qu'il ne travaillait qu'avec les constructeurs immobiliers, il démarche désormais les particuliers pour assurer les réparations de toitures. Des travaux plus fastidieux qui lui prennent plus de temps.
Baisse des ventes de 40% en Bretagne
Comme Anthony, les professionnels du BTP ne peuvent que constater la baisse des carnets de commandes : en 2023, en Bretagne, la construction des logements neufs a chuté de 25%. Les promoteurs immobiliers, eux, ont vu leur vente diminuer de 40 %, "ce qui signifie que les constructions pourraient baisser d'autant d'ici un à deux ans" analyse Nicolas Verpeaux, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) de Bretagne.
"Le marché s'est grippé violemment, observe-t-il. C'est la conséquence de la hausse des taux d'emprunt qui est venue finir le travail de deux crises successives : la crise du Covid et celle de la guerre en Ukraine qui a fait grimper les coûts de revient des matières premières et donc de nos opérations. Elles ont eu une incidence sur nos prix de vente. La hausse des taux a fini le travail en bloquant le marché."
Autre inquiétude, "la loi zéro artificialisation des sols qui réduit la capacité à construire des logements neufs, des équipements commerciaux ou pour les collectivités" assure Jean Michel Galle, président des fédérations des bâtiments et des travaux publics d'Ille-et-Vilaine.
LIRE : URBANISME. ZAN, comme Zéro Artificialisation Nette. Le nouveau casse-tête des élus
Prix des matériaux de construction encore à la hausse cette année et prêts difficiles à obtenir… Autant de facteurs qui inquiètent ces professionnels du bâtiment, lesquels dénoncent une politique du logement mal ficelée.
Jean-Michel Galle appelle le gouvernement à associer davantage le secteur du BTP à la réflexion sur la construction "pour construire mieux, de façon plus respectueuse de l'environnement et éventuellement moins cher."
Il attend en particulier que le gouvernement rende rapidement accessible le prêt à taux 0 "à tous les primo-accédants, sur tout le territoire et pas que sur les zones tendues. C'est primordial et ça peut avoir un effet très rapide pour débloquer un certain nombre de dossiers."
Autre dossier urgent selon ce représentant du secteur BTP : "Il faut revoir ensemble le dispositif Ma Prime Renov pour le rendre plus performant, mais aussi le simplifier et le rendre accessible à l'ensemble des concitoyens."
Cette baisse dans la construction neuve représente aujourd’hui 10 % de l’activité dans le BTP, soit l’équivalent de 8.000 emplois pour la Bretagne qui pourraient être menacés en 2024 si rien n’est fait pour dynamiser ce secteur.
Un plan de soutien pour les promoteurs immobiliers
Face à cette crise, l'État avait annoncé un plan de soutien pour les promoteurs immobiliers l'été dernier. Objectif : aider les bailleurs sociaux à racheter les logements ne trouvant pas d’acquéreurs pour les mettre en vente en Logement locatif intermédiaire (LLI).
En décembre dernier, Rennes Métropole a ainsi annoncé un financement de 14 millions d’euros permettant d’acquérir 290 logements qui seront transformés en PLUS (Prêt locatif à usage social)/PLAI (Prêt locatif aidé d’intégration).
"Ce sont des mesures qui aident ponctuellement le monde du BTP qui s'est fait surprendre, des entrées de trésorerie non négligeables qui nous soulagent, reconnaît Nicolas Verpeaux, président de la Fédération des promoteurs immobiliers de Bretagne. Mais ce n'est pas une solution à long terme car ce sont des ventes à perte. On fait des efforts pour écouler ces logements qui ne trouvent pas preneurs, mais ce n'est pas rentable pour nous. À terme, ces opérations ne sortiront tout simplement plus de terre."
Une baisse de la TVA dans la construction ?
Des solutions pérennes, les promoteurs en ont beaucoup à proposer : "On pourrait considérer que le logement est un bien de première nécessité, et appliquer une TVA réduite dans la construction. Cela reviendrait à baisser le prix de revient des logements neufs de 15 %. De quoi remettre les prix de vente en adéquation avec le pouvoir d'achat des gens" relève Nicolas Verpeaux
Le stationnement, 20 % du coût de revient d'un logement neuf
Le président de la Fédération des promoteurs immobiliers de Bretagne appelle aussi les collectivités à baisser le prix du foncier. Enfin, il réclame des solutions sur la réglementation des places de stationnement dans le neuf. "Pour un acquéreur, le stationnement d'un véhicule représente environ 20 % du prix de revient de son appartement, c'est énorme et c'est choquant d'attribuer ce montant au stationnement !" déplore-t-il.
Ces solutions et bien d'autres ont été proposées par les représentants des promoteurs dans une lettre envoyée au Préfet de Bretagne. Des propositions pour le moment restées lettre morte.
"On va dans le mur"
"Sur le plan régional, on a de l'écho parce qu'on a une région qui est active sur la question du logement, mais sur le plan national, on sent que c'est complètement étanche, dénonce Nicolas Verpeaux. On voit que le gouvernement attend que le marché se réajuste. Mais les prix de revient des logements ne vont pas baisser. On va dans le mur."
On a eu les gilets jaune pour l'essence, on pourrait avoir les gilets du logement
Nicolas VerpeauxPrésident de la Fédération des promoteurs immobiliers de Bretagne
Et il y a urgence, car après la crise immobilière, c'est une crise sociale qui arrive, alertent les promoteurs immobiliers : plus de 90.000 demandes de logements sociaux sont en attente en Bretagne.
(Avec Gilles Raoult)