URBANISME. ZAN, comme Zéro Artificialisation Nette. Le nouveau casse-tête des élus

En Bretagne, chaque jour, l’équivalent de neuf terrains de foot disparaissent sous les griffes des tractopelles pour construire routes et maisons. La loi climat et résilience du 22 aout 2021 s’est donné pour objectif de réduire cette pression sur les espaces naturels, agricoles et forestiers. D’ici 2031, la consommation de terres devra être réduite de moitié afin d’atteindre l’objectif Zéro Artificialisation Nette en 2050. Pour les élus, un énorme casse-tête en perspective.

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En France, 20.000 hectares d’espaces naturels ont été artificialisés chaque année entre 2006 et 2017. 42 % de ces surfaces ont été utilisées pour construire des logements,  24 % pour créer des routes, 14% ont été réservés aux services et aux infrastructures, enfin 8% ont servi au bâti agricole. Au rythme actuel, ce seraient 280.000 hectares qui seraient artificialisés d’ici 2023.

Et la France est particulièrement gourmande. Dans notre pays, en moyenne, on compte 47 km2 de terres artificialisées pour 100.000 habitants, quand en Allemagne, c’est 40 km2 et que le reste de l’Europe est plus près de 30 km2. 

Mais, en plus de nous offrir leurs jolis paysages, les espaces naturels ont des rôles essentiels. Les terres agricoles, qu’elles soient cultivées pour nos légumes, nos céréales, ou qu’elles accueillent les animaux, sont d’abord à l’origine de notre alimentation et donc de notre souveraineté alimentaire.

Ils constituent aussi une étendue importante pour le maintien de la biodiversité. Ils permettent de stocker le carbone, le sol est une source de séquestration de l’élément.

Ils sont utiles pour lutter contre les pollutions puisque les végétaux captent les molécules chimiques, et enfin, les sols naturels favorisent l’écoulement de l’eau. Dès qu’une surface est goudronnée, la pluie ruisselle ce qui peut favoriser les risques d’inondation. 

"On ne peut plus faire comme avant, constate Laurence Fortin, vice-présidente en charge des territoires, de l’économie et de l’habitat à la région Bretagne. En Bretagne, 18.000 hectares ont été consommés sur les dix dernières années, 2011-2021. La loi climat et résilience vise à réduire notre consommation foncière de terres agricoles de 50% d’ici 2031. Entre 2021 et 2031, on ne peut, on ne doit, consommer que 9.000 et d’ici 2050, on doit arriver à zéro " prévient l’élue. 

Le casse-tête des élus 

Pour les élus, les difficultés commencent. Ils vont devoir accueillir "entreprises et habitants dans le respect de la sobriété foncière, permettre le développement des territoires ruraux et répondre aux besoins des pôles urbains et métropolitains" détaillle la Région dans son communiqué. 

"L’important est qu’il n’y ait ni gagnant, ni perdant, que chaque territoire puisse continuer à se développer mais en diminuant sa consommation" insiste Laurence Fortin. On a essayé de prendre en compte les efforts de chacun, ne pas penser qu’en hectares mais en projets. Si on met 50% à tout le monde, ce n’est pas forcément juste. Celui qui n’avait pas consommé, il aurait 50% de pas grand-chose. On a donc tenu compte des efforts qui ont été faits dans le passé."

La région Bretagne a travaillé avec les 26 différents bassins de vie du territoire. C’est maintenant à eux de s’organiser avec les communes. 

Densifier les constructions 

Mais pour consommer moins de terres, il n’y a guère de solutions miracles : il faut densifier. En hauteur, en construisant des immeubles à la place des maisons, ou au sol, en réduisant la taille des parcelles, voire en les coupant en deux. 

A Vitré, par exemple, depuis quelques années, on développe le BIMBY,  Build In My Back Yard, construit dans mon jardin en bon français. "Quand un propriétaire possède un terrain de 2.000 m2, il peut le diviser en deux, ce qui permet de bâtir une autre maison dans son jardin" explique Isabelle Le Callennec, la maire de la commune.

En 2019, 20 logements ont vu le jour, 16 en 2020, 22 en 2021, 19 en 2022. "C’est une manière de choisir son voisin, sourit l’élue, mais il faut rassurer les propriétaires qui sont tentés mais inquiets de savoir comment cela se passe. Est-ce qu’on pourra quand même aller dans le jardin ? etc… "

Laurence Claisse, la maire de Landivisiau est, elle, très heureuse de montrer la résidence de 3 étages construite il y a trois ans. "Ici, il y avait deux commerces, on a pensé aux personnes retraitées, on s’est dit qu’elles avaient peut-être envie de venir dans le centre-ville pour ne plus avoir à prendre leurs voitures, avoir des relations sociales. Leurs maisons avec des jardins ont été vendues à des jeunes couples avec enfants et eux sont très heureux d’être là " témoigne l’élue. 

Des maires inquiets 

Mais Isabelle Le Callennec comme Laurence Claisse et nombre d’élus se demandent comment ils vont faire. "Je n’ai pas de baguette magique, commence l’élue finistérienne. Densifier, je veux bien, mais nous n’avons plus beaucoup de friches à Landivisiau parce qu’on a déjà fait l’effort de les utiliser pour ne pas piocher dans les terres agricoles. "

"En mettant tout le territoire sous la même toise, on se tire une balle dans le pied, renchérit Isabelle Le Callennec. Il y a en France des territoires attractifs, d’autres qui le sont moins, mais on est soumis aux mêmes injonctions. On ne peut pas tout figer du jour au lendemain. "

Les deux maires s’interrogent sur l’accueil qu’elles vont pouvoir réserver aux entreprises. "Le risque c’est qu’on soit obligés de dire non à des entrepreneurs parce qu’on n’a plus de terrains" redoute Laurence Claisse. 

"Le gouvernement ne peut pas nous demander de relocaliser notre industrie et au même moment nous empêcher de les recevoir, s’agace Isabelle Le Callennec. C’est complètement schizophrène".

A Vitré, l’agriculture et les forêts s’étalent sur 72 % du territoire. 1 % a été transformé en zone d’activité. "Il faut faire confiance aux élus locaux, martèle la maire. Avant, on vendait un terrain de 10.000 m2 pour y poser une usine de 1.000 m2, mais ça c’était il y a bien longtemps. Aujourd’hui, on mutualise les parkings, on optimise chaque morveau de terrain. "

La maison, le jardin, c’est le rêve…

"Avant, quand il y avait un terrain et que quelqu’un voulait construire, on ne se posait pas la question. Maintenant, on va se faire des nœuds dans le cerveau mais on y arrivera" se rassure Laurence Claisse. "Les gens rêvent d’avoir une maison, un jardin, c’est comme ça, constate-t-elle. La population, il faut qu’elle travaille et qu’elle se loge. "

A Landivisiau, plusieurs lotissements sont en construction. Pour consommer moins de terre, la ville propose des lots plus petits. Là où les terrains faisaient 1.000 m2, ils en font désormais 400, "par chance, les jeunes n'ont plus envie de s'embêter à tondre des grandes pelouses" remarque l'élue. 

Le ZAN c’est la mise sous cloche du monde rural

"Cette histoire de ZAN avait été évoquée, mais là, le couperet est tombé" enrage Yohann Hervo, maire d’Allineuc dans les Côtes-d’Armor.

Dans les sept prochaines années, il ne pourra délivrer en tout et pour tout que six permis de construire. Car tout ce qui a été consommé comme terre depuis octobre 2021 entre dans les compteurs. 

Dans sa petite commune de 600 habitants, il a délivré 34 permis de construire en dix ans. "C’est décourageant, quand on est élu, on s’investit à fond et là, on a l’impression que tout va s’arrêter. "

"Le ZAN, c’est une connerie imaginée par des Parisiens, lâche-t-il. Sur le papier, c’est très intelligent de faire habiter les gens en hauteur pour consommer moins de foncier mais ça ne colle pas à la réalité du terrain. Ceux qui viennent dans nos bourgs, ce n’est pas pour vivre dans un immeuble !"

"Dans nos territoires ruraux, on n’a pas fait d’excès, on n’est pas dans une grande ville. En 10 ans, on a peut être utilisé trois hectares de terres. C’est dérisoire."

L’élu souligne aussi les différences de tissu économique de son territoire par rapport à d’autres secteurs. "Ici, nous avons des entreprises de logistique : ce sont des entrepôts et des parkings. Les grandes villes n’en veulent pas, nous on les accepte et après on nous dit : 'vous consommez du foncier'. Dans les grandes villes, un hectare de zone économique c’est 100 emplois, ici, c’est 12, argumente le maire.On ne joue pas dans la même cour, mais on a les mêmes règles ! Cette histoire de ZAN, c’est la mise sous cloche du monde rural. "

L’élu redoute déjà les conséquences du ZAN. "On va faire comment dans les écoles si on ne peut pas recevoir de nouveaux habitants ? On va nous dire, 'on ferme vos classes parce que vous n’avez pas assez d’élèves'. Les décisions sont prises, la loi est votée, regrette-t-il. On n’a pas de marge de manœuvre."

L’élu est amer. "Demain, prévient-il, il faudra trouver des gens pour prendre la place des maires."

(Avec Amandine Plougoulm)

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