Ce jeudi 23 mai 2024, un arboriculteur bio de Saulnières (Ille-et-Vilaine) a demandé au tribunal administratif de Rennes d'enjoindre au préfet d'interdire trois herbicides sur les communes de Saulnières, Le Sel-de-Bretagne et Petit-Fougeray.
Christophe Bitauld est en fait à la tête d'un verger bio à Saulnières : depuis 2020, il a constaté "une chute considérable de son tonnage de pommes". Il avait en effet récolté 250 tonnes en 2021 alors qu'en 2023, sa production est tombée à 40 tonnes, là où il en espérait 650 tonnes et une "récolte record" puisque la floraison était bonne l'an dernier.
Les pommes pourries au sol
Mais ses pommes avaient en fait été retrouvées "pourries au sol avant d'être récoltées", sans qu'il n'y ait de raison à cette perte. La Chambre d'agriculture, qui a procédé à des analyses, n'avait décelé "aucune maladie" ni de "ravageurs" pouvant être responsables de la perte de la quasi-totalité de la récolte.
Selon un technicien de la Chambre d'agriculture, 30 exploitations auraient subi un phénomène similaire : le professionnel en avait donc déduit une "éventuelle contamination par des pesticides" de la part des agriculteurs conventionnels du secteur.
Des traces conséquentes d'herbicides
Deux analyses ont donc été réalisées à l'automne 2023 : elles avaient toutes deux révélé la présence de deux molécules : le prosulfocabe et le S-Métolachlore. Des molécules présentes dans des proportions "très supérieures à la limite fixée par la Commission européenne", a détaillé l'avocat de l'arboriculteur devant la juge des référés.
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Pour l'avocat de Christophe Bitauld, la présence de prosulfocabe, une molécule utilisée principalement au printemps pour nettoyer les terres, "cela s'explique par un phénomène de volatilité". L'arboriculteur a donc saisi en urgence la juge des référés du tribunal administratif de Rennes pour qu'elle fasse "injonction" au préfet d'Ille-et-Vilaine d'interdire cet herbicide, le S-Métolachlore et la terbuthylazine.
Ces molécules ont en fait remplacé d'autres substances désormais interdites : c'est pourquoi on les trouve désormais "plus abondamment", selon l'avocat de l'arboriculteur. Ces herbicides sont en effet "les plus vendus derrière le glyphosate".
Interdire l'épandage de ces herbicides
La situation est pour le moins urgente pour l'agriculteur : sa société a été placée en redressement judiciaire. Cette année, si la floraison est bonne, cette simple mesure pourrait permettre "une récolte supérieure aux années précédentes" et ainsi "sauver son exploitation". L'agriculteur souhaite donc forcer la main de l'autorité administrative pour interdire ces substances en urgence : cette année, l'épandage a "pris du retard" et interviendra dans une quinzaine de jours. C'est donc "essentiel" d'intervenir, a plaidé son avocat.
"On ne peut pas dire qu'il y a effectivement une baisse du rendement", a nuancé le représentant de la préfecture d'Ille-et-Vilaine devant la juge. Par ailleurs, "on ne nous dit pas où les feuilles ont été prélevées" et "rien ne nous dit que les parcelles autour sont effectivement en agriculture conventionnelle et qu'elles utilisent ces produits phytosanitaires".
Pas de lien établi pour l'État
Pour les services de l'État, "le lien de cause à effet" entre les produits phytosanitaires et cette "baisse de rendement" n'est pas établi : le consultant de la Chambre d'agriculture "s'interroge" sur la "possibilité" d'une contamination par "dérive et volatilité", mais il n'a "pas de certitude". "L'État a été contacté par plusieurs arboriculteurs victimes de baisses de rendements et a donc ouvert une étude sur ces produits phytosanitaires et sur d'autres facteurs pour déterminer la cause de cette baisse", a-t-il expliqué.
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Pour lui, il y a aussi "la question du changement climatique" : "des températures exceptionnelles" peuvent en effet expliquer cette perte de récolte. Pour l'État, sans ce "lien de causalité" avéré avec les herbicides pointés, il n'y a "aucune urgence" à interdire leur usage puisque "rien ne démontre que l'exploitation aura une meilleure récolte si les produits phytosanitaires ne sont pas épandus".
La représentante de la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) a pour sa part rappelé que ces pesticides étaient utilisés depuis de très nombreuses années. Les services du ministère de l'Agriculture en région ne relèvent "pas d'augmentation si significative que ça" de leur usage. "Sur les 500 producteurs de pommiers bretons, le S-Métolachlore n'a jamais posé difficulté... et d'un seul coup, on le pointe", a déploré la fonctionnaire.
Or, cet herbicide est utilisé "sur la totalité du territoire" : il faudrait donc que "l'ensemble des producteurs de pommes soient touchés" pour que le lien de causalité soit avéré. Des études sont toutefois en cours pour les 30 exploitants ayant dénoncé des faits similaires.
De son côté, la juge des référés a mis sa décision en délibéré : elle se prononcera d'ici la fin mai.