Trois personnes y sont mortes en 2011, 61 autres blessées. Décrit comme un "piège", le passage à niveau de Saint-Médard-sur-Ille (35) est au coeur d'un procès devant le tribunal correctionnel de Rennes quatre mois aussi après le dramatique accident de Millas (Pyrénées-Orientales) ..
Depuis lundi, la SNCF et un chauffeur de poids lourd comparaissent devant le tribunal correctionnel de Rennes pour un accident mortel survenu le 12 octobre 2011 sur un passage à niveau à Saint-Médard-sur-Ille (Ille-et-Vilaine). Un camion, équipé d'une grue de levage, avait été percuté par un TER sur la ligne Rennes - Saint-Malo provoquant la mort de trois passagers du train.
Une monitrice de poids lourd évoque un piège
Deux ans avant le drame, au même endroit, Nathalie Charvet, formatrice de poids lourd de 54 ans, avait connu une mésaventure qui lui avait "fait peur", alors qu'elle était en formation avec un stagiaire.
Sur ce passage à niveau étroit, en pente, et situé entre deux virages, le camion était contraint de rouler au pas, a décrit à la barre cette femme à lunettes et cheveux grisonnants.
"Si on est tout seul au volant, on n'entend pas" le signal
"J'ai vu et entendu le signal. Mon stagiaire n'a rien vu, rien entendu. Je lui ai dit: tu dégages, tu dégages", a-t-elle raconté, en précisant avoir dû accélérer brutalement pour faire repartir le camion. Le poids lourd est parvenu à quitter l'emprise de la voie ferrée juste avant que la barrière se referme.
"Si on est tout seul au volant, on n'entend pas" le signal, a affirmé Nathalie Charvet. "J'ai mesuré la gravité de ce qui nous était arrivé, ça m'a fait très peur."
A tel point que son organisme de formation changera les itinéraires de ses poids lourds pour éviter le passage de Saint-Médard-sur-Ille.
L'ombre de Millas
"C'est l'accident de Millas qui m'a remémoré tout ça" et incité à venir témoigner, a expliqué Mme Charvet à la barre.
La dramatique collision survenue le 14 décembre dernier entre un car scolaire et un train à Millas (Pyrénées-Orientales) a fait six morts parmi les collégiens et relancé les questionnements sur la dangerosité des passages à niveau.
"Délai très court"
A Saint-Médard, "la configuration est particulièrement dangereuse, du fait qu'on ne peut pas dégager rapidement de l'autre côté car il y a un virage", a expliqué Mme Charvet. En outre, le délai de 25 secondes entre le déclenchement du signal lumineux et le passage du train, "c'est très court pour faire passer un véhicule lourd", a-t-elle dit.
"Les délais d'annonce, ce n'est pas nous qui les fixons, ils sont fixés par arrêté administratif", a relevé Thierry Dalmasso, avocat de SNCF Réseau.
Le procès Saint-Médard-sur-Ille #justice #Rennes deuxième jour : audition du chauffeur https://t.co/byw6grbvtc
— France 3 Bretagne (@france3Bretagne) April 17, 2018
Un peu plus tôt, c'est le chauffeur du poids lourd qui a livré sa version des faits, sur un ton tantôt péremptoire, tantôt empreint d'émotion. "Je reconnais l'ensemble des faits hormis le caractère délibéré de mon acte", a déclaré Fabien Chauvet, 41 ans, barbe noire et veste beige. "Je n'ai à aucun moment vu le signal clignotant ou entendu le signal sonore (...) Ça fait des années que je réfléchis à pourquoi je ne les ai pas vus, ces clignotants", a-t-il ajouté.
"Maillon d'une chaîne"
Une fois engagé sur le passage, il voit la barrière se baisser de l'autre côté de la voie. "Je freine, c'est instinctif. J'ai eu le réflexe de freiner, parce que j'ai été surpris", a-t-il raconté. Immobilisé sur la voie, il envisage d'abord une marche arrière, avant d'engager la marche avant. "Je pensais que j'avais une minute", a-t-il dit, alors qu'il ne lui restait que quelques secondes pour dégager son ensemble routier de 26 tonnes et 18 mètres de long.
"Immobiliser l'ensemble sur les voies a été l'élément déclencheur mais je ne suis qu'un maillon de toute cette chaîne défaillante", a-t-il estimé, en décrivant un "piège".
Passage "délicat" selon un expert automobile
Ce passage "délicat" pouvait "se transformer en véritable piège, notamment en cas de véhicule en sens inverse", a abondé Arnaud Laguitton, expert en automobile,
témoin cité par la défense.
Trois autres accidents sur ce passage à niveau
Plus tard dans l'après-midi, ce sont les deux autres prévenus, représentant respectivement SNCF Mobilités et SNCF Réseau qui ont été interrogés. Car avant l'accident mortel d'octobre 2011, 3 autres accident se sont produits sur ce même passage à niveau n°11: en 2006, 2007 et 2010. En 2007, il s'agissait déjà d'une collision entre un TER et un camion.
Un rapport du Bureau d'enquête et accident avait alors préconisé des travaux d'aménagement; travaux qui n'avaient pas été réalisés quatre ans plus tard lors de l'accident mortel.
Parmi les victimes de la collision d'octobre 2011, 13 personnes ont été grièvement blessées. Elodie Labourdette est l'une d'elles. Une vertèbre cervicale fracturée, elle manque de devenir tétraplégique. Six ans et demi après l'accident, elle ne comprend pas l'absence de réaction de la SNCF entre 2007 et 2011.
De leur côté, les représentant de l'entreprise ferroviaire ont contesté la présence de similitudes entre les accidents de 2007 et de 2011.
Mercredi, troisième jour d'audience. Les interrogatoires des trois prévenus doivent se poursuivre. D'autres experts doivent également témoigner. Dans l'après-midi, les parties civiles vont être entendues. Le procès doit se poursuivre jusqu'à vendredi soir.