PSA-La Janais : mobilisation impossible ?

Réputés plutôt dociles, les salariés de l’usine de Rennes, contrairement à leurs collègues d’Aulnay-sous-Bois, attendent en silence des précisions sur le plan de restructuration. Les dissensions syndicales découragent toute tentative de mobilisation. 

Le 11 février à la mi-journée, la CGT de PSA-La Janais débraye devant l’usine. Une sono crache à l’arrière d’une Kangoo rouge. Les drapeaux flottent au vent. La chanson « On lâche rien », hymne des luttes, passe en boucle. Ils sont une dizaine de délégués et adhérents CGT grévistes à occuper l’entrée de l’usine, espérant mobiliser pour la manifestation de l’après-midi. Mickaël Gallais, délégué CGT, harangue les salariés au micro : « Non à la casse des emplois à PSA ! Rejoignez-nous ! » C’est l’heure du changement d’équipe : ceux du matin quittent l’usine. Des cars arrivent remplis de salariés prenant leur poste à 13 h. Quelques uns saluent de loin la CGT. Aucun ne les rejoint. Ils félicitent le travail des syndicats, sans pour autant se mobiliser. « Je soutiens l’action de la CGT aujourd’hui mais je ne me mettrai pas en grève », grimace l’un d’entre eux à la volée. Quand on lui demande pourquoi, il part, d’un pas pressé.

La CGT, seule au monde from Déborah Coeffier on Vimeo.

Ce jour-là, le mouvement lancé par la CGT est un échec. « On est seul contre tous », déplore Michel Bourdon, secrétaire général de la CGT PSA-La Janais. Cette scène est symptomatique d’une usine peu vindicative et gangrenée par la peur. « Les salariés sont dans l’attente », constate Catherine, cariste. « Il y a une certaine crainte à l’intérieur de l’entreprise. Les gens ne bougent que si c’est l’intersyndicale qui appelle au mouvement. » Impossible d’obtenir des informations sur le taux de syndicalisation : Secret défense. Selon nos informations, il avoisinerait le taux national, entre 8 et 10 %. Les adhérents CGT, environ 150 sur 5600 salariés, sont beaucoup moins nombreux qu’à Aulnay-sous-Bois, où près de 400 personnes sur 2800 sont estampillées CGT. Rien à voir donc avec l’ambiance de l’usine de la région parisienne, où le piquet de grève résiste depuis janvier. « A Aulnay, la fermeture est décidée, le mouvement est possible car tout le monde est menacé. Ici à Rennes, ils ont pris acte, ils ne sortiront pas », analyse Pierre Comtesse, le secrétaire général adjoint de FO. Pas de grève mais une solidarité avec la lutte des collègues d’Aulnay. Un fonds de soutien a été mis en place pour combler les pertes de salaire des grévistes d’Aulnay : la CGT a récolté 1200 euros. « A La Janais ils se disent “si Aulnay gagne, on va gagner“ », croit savoir Michel Bourdon. 

Le poids de l'Histoire 


La culture de révolte ouvrière n’est pas dans l’ADN de l’usine de La Janais. Michel Bourdon l’explique par l’ancrage de la tradition Citroën. « Ici la mentalité c’est “je dois tout à Citroën“, parce que l’usine recrutait essentiellement dans les campagnes. » Pierre Comtesse observe lui aussi une sociologie propre aux salariés de La Janais. « Les salariés s’occupaient de leurs vaches en rentrant de l’usine. Ils gardaient leurs terres et avaient en même temps un salaire fixe. Les sacrifices et les compromis font partie de l’histoire bretonne. » Depuis que les patrons de Citroën sont devenus les managers PSA – la fusion Peugeot Citroën a eu lieu en 1976 – l’organisation du travail désunit les salariés. Dans un contexte de crise, le chômage partiel généralisé casse le lien social. La menace des 1400 suppressions de postes alimente le sentiment de résignation. Chacun fait ses comptes pour savoir qui partira. Les rumeurs font état d’une recrudescence des lettres de délation.

La guerre fratricide des syndicats


Unis par un même objectif – le maintien de l’emploi – les stratégies syndicales de l’usine divergent sur leurs méthodes. Malgré la création d’une intersyndicale, en 2012, formée pour contrer le plan de restructuration, les différentes sections agissent en ordre dispersé. La CGT refuse d’y adhérer et continue de faire cavalier seul. Le souvenir de 2005, où tous les syndicats sauf la CGT ont signé le plan de gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) a laissé des traces. Le même scénario risque de se répéter : la CGT est la seule à avoir annoncé son refus de signer le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). FO et la CGT restent farouchement opposés. Pierre Comtesse, le secrétaire général adjoint de FO, peu enclin à prôner la lutte, l’assume : « Avec la CGT, on a les mêmes pères, mais on est les meilleurs ennemis. Ils se trompent de combat, nous, on est dans la négociation. On ne veut surtout pas faire rêver les gens. » Pour les autres syndicats représentatifs – SIA, FO, CFE-CGC – la priorité est d’accompagner les départs avec les meilleures garanties possibles et d’assurer un avenir viable pour ceux qui resteront dans l’usine. « L’enjeu pour l’intersyndicale, c’est de montrer de la stabilité pour donner envie à des entreprises d’investir », poursuit Pierre Comtesse. 

Le 15 septembre pourtant, tous ont manifesté ensemble, sous leurs bannières respectives, réunissant plusieurs milliers de  personnes dans les rues de Rennes. CGT, SIA, FO, CFE-CGC, CFTC, CFDT, UNSA défilaient dans la même direction. Du jamais vu depuis plus de trente ans : même le syndicat maison, le SIA, est dans la rue. Pour la CFDT, pas question de renouveler l’expérience : Le grand soir restera sans lendemain. « La lutte engagée par la CGT est contre-productive. Il faut adapter les effectifs. On ne peut pas maintenir le même niveau d’emploi alors que la production chute de 25 %. » Surtout, impossible de connaître le nombre exact de salariés PSA parmi le cortège. Selon Didier Perrin, délégué CGT, organiser une nouvelle mobilisation serait « un coup d’épée dans l’eau ». « Les gens ne sont pas mobilisables, ils attendent le plan pour partir. »

« Ca va être chaud dans les ateliers »


Le flou subsiste sur l’octroi ou non de la production d’un nouveau véhicule pour l’année 2016. Laurent Valy de la CFDT redoute des moments difficiles à l’usine. « On va rentrer dans une période tendue, on passe d’une production de 46 véhicules par heure à 34 dès le second semestre. Tout va être réorganisé, les postes vont être cassés. Ca va être chaud dans les ateliers. » La phase de départs volontaires est prolongée jusqu’en décembre 2013. Concernant le plan de réindustrialisation et les possibles reconversions des salariés, les annonces se multiplient, sans aucune certitude. La question des licenciements reste taboue pour l’instant. A La Janais, le silence est une stratégie de protection.   

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