Ils ont passé toute leur carrière à PSA La Janais. Maintenant retraités, Anne-Marie et Claude Laubé disent avoir tourné la page. Mais pas facile de tirer un trait sur 40 ans de vie professionnelle. Entre nostalgie et sévérité, ils gardent un regard attentif sur la situation de l’entreprise.
Anne-Marie et Claude Laubé doivent fouiller leurs tiroirs pour les retrouver : quatre étuis bleu sombre estampillés des deux chevrons Citroën ou du sigle plus moderne de PSA. À l’intérieur reposent les médailles d’honneur du travail, grades argent et vermeil, qui récompensent plus de 30 années d’ancienneté au sein de l’usine PSA de La Janais. « Voilà le souvenir de toute une vie : ça tient dans quatre boîtes ! », s’exclame Claude, 67 ans.
Sitôt montrées, les médailles sont de nouveau rangées dans leurs boîtes. Dans la salle à manger du couple, aucune trace de leur carrière au sein de l’usine. Une plaque trône pourtant sur une étagère, entre les trophées de course cycliste : « Claude Laubé, Docteur psychologue-diplomate ». « Offert par des collègues de travail, parce que j’ai un caractère de cochon », pouffe Claude, les yeux rieurs derrières ses épaisses lunettes.
Toute une vie à PSA
A Chartres-de-Bretagne, on connait bien les Laubé. Lui est aujourd’hui président du comité des fêtes de la ville, elle est conseillère municipale sur la liste menée par Philippe Bonnin. Depuis son installation à Chartres en 1972, le couple a toujours été engagé dans la vie de la commune : « On était toujours dans tout : quand les enfants étaient à l’école on faisait partie de l’association de parents d’élèves ; on faisait du vélo... », énumère Anne-Marie, 65 ans. C’est ainsi que Philippe Bonnin les a repérés, au moment de monter son équipe municipale : le maire confie qu’il connaissait les Laubé « dans leur engagement associatif et par le réseau d'amis communs ». Un engagement politique qui, selon l’intéressée, aurait été impensable à une époque : « En étant à PSA, on n’aurait pas pu. A Citroën on ne votait pas comme on voulait. Mais maintenant c’est terminé. »Ils sont aujourd’hui tous deux retraités. Et toute leur carrière professionnelle, ils l’ont faite à La Janais. Originaires des Côtes-d’Armor, nés de parents agriculteurs, ils sont venus ensemble en Ille-et-Vilaine à la fin des années 1960, pour travailler dans la toute jeune usine de La Janais. « À l’époque il n’y avait rien, c’était Citroën qui attirait les jeunes », se rappelle Anne-Marie. « Pour les heures qu’on faisait, c’était bien payé. » Comme des milliers de Bretons, ils quittent l’exploitation de leurs parents pour s’installer dans une des communes alentour, à Bruz.
Claude est recruté comme agent de maintenance. L’engrenage est lancé. Fin 1968, deux ans après le recrutement de son mari, Anne-Marie intègre à son tour La Janais en tant qu’ouvrière à la câblerie. Ils se marient, quittent leur appartement deux pièces pour emménager dans une location à Chartres-de-Bretagne. Ils ont deux filles, et finissent par acheter leur maison en 1975, celle dans laquelle ils vivent encore aujourd’hui. Les filles grandissant, leurs parents les incitent à faire des études. « Elles ne voulaient surtout pas travailler à PSA. Et papa non plus ne voulait pas », ajoute Claude.
Un travail éprouvant mais une grande solidarité
Car cette vie entière passée à l’usine, Claude et Anne-Marie en gardent un souvenir doux-amer. En 40 ans, Anne-Marie est passée de la câblerie au restaurant de l’entreprise, puis au contrôle, de nouveau à la câblerie, et enfin sur la ligne de montage, au gré des besoins. À la longue, « à force de faire les mêmes gestes répétitifs », elle a développé une arthrose déformante à la main, qui l’a contrainte à partir en arrêt maladie en 2002. En 2008, elle met un terme à sa carrière, faute de poste adapté. Mais Anne-Marie a toujours continué à travailler, sans faire de vague. Dans sa hiérarchie, on se souvient d’une femme « très sympathique, qui n’a jamais créé de problème ». Claude, lui, est resté au même poste toute sa carrière. La raison ? « Je ne m’entendais pas avec le syndicat maison. » La CSL règne alors sans partage sur l’usine et ne pas y adhérer peut gêner les promotions. « Mais j’ai un caractère de con, je n’aime pas trop les syndicats en général », lâche Claude.
En revanche, la forte tête l’avoue volontiers, il s’est pris de passion pour son métier. « Je n’aurais pas pu faire autre chose. On touchait à tout : mécanique, ajustage, électrique, automatisme, électronique... C’était exceptionnel. Je ne me suis jamais ennuyé. » Détenteur d’un CAP ajusteur mécanicien, touche-à-tout, Claude s’est trouvé un boulot sur mesure : l’agent de maintenance doit s’assurer du bon fonctionnement des machines, de l’entretien des matériels, des réparations d’appareils en panne. Un poste qui lui permet de tisser des liens : « Il y avait une grande solidarité dans le groupe de la maintenance. »
A l’époque, les salariés se retrouvent le soir après leur journée de travail pour des tournois de football interservices. « Ils venaient faire la java dans le garage après le foot, à 40, 50 personnes... », soupire Anne-Marie en roulant les yeux devant un Claude tout sourire. « Ça n’existe plus tout ça », reprend celui-ci avec sérieux.
Des inquiétudes sans apitoiement
Aujourd’hui, les deux anciens de La Janais regardent d’un œil inquiet les bouleversements subis par l’usine, en plein plan de restructuration. « On connaît des gens dont les enfants y travaillent, nous-mêmes on a de la famille qui y travaille, c’est un gros souci », affirme Anne-Marie, avant de revêtir sa casquette d’élue municipale. « Le maire est soucieux, il essaye de tout faire, à ce qu’il y ait au moins quelque chose qui s’implante et que ces solutions soient pérennes. » Claude a lui aussi du mal à rester optimiste quant à l’avenir de l’entreprise dans laquelle il a passé toute sa vie professionnelle : « J’espère que l’usine ne va pas fermer, mais je pense que si. C’est malheureux. »Pour l’un comme l’autre, la priorité est de préserver les emplois de ceux qui ont pris leur relève à La Janais. Mais pas question de s’apitoyer sur le sort de Peugeot-Citroën. « C’est une société que je portais dans mon cœur parce qu’au travers du travail que je fournissais, on me donnait un salaire », résume Claude, pragmatique. « De là à les porter en triomphe en permanence, non. » Les deux chevrons de la marque, ils les ont laissés dans ces petites boîtes au fond d’un tiroir, à leur départ en retraite. Les Laubé n’accordent pas beaucoup d’importance aux breloques.