Réforme des retraites. Les murs ont la parole. Analyse d'un politologue

Comme dans chaque mouvement de contestation, les murs des villes sont les premiers témoins de la colère des manifestants. A grands coups de bombe de peinture, au marqueur ou avec des affiches collées sur les façades, les opposants à la réforme des retraites laissent la trace de leurs passages. Des messages parfois emplis d’humour ou de poésie, d’autres fois, cris de colère et de haine. On dit que les murs ont des oreilles… Alors, écoutons-les un instant.

Au départ, c’était un grand panneau de bois, installé sur la façade d’une banque de la place de Bretagne. Il devait servir à protéger les vitres pendant les manifestations. Mais depuis le début des rassemblements contre la réforme des retraites, il s’est transformé en mur d’expression. Des graffs, des tags, des affiches syndicales, des collages qui traduisent la colère et la détermination, et racontent le mouvement.

"Tout cela fait un peu partie du folklore de la manif, mais nous dit beaucoup de choses", explique Romain Pasquier, politologue et directeur de recherches au CNRS. Il distingue trois catégories de slogans : "les discours politiques, les cris de colère et les messages plus philosophiques."

"Semer la lutte" 

"On voit beaucoup de formules politiques marquées par une idéologie, le plus souvent gauchiste ou révolutionnaire" détaille le politologue. Sur les murs, à la peinture rouge ou noire, s’étalent "Émeute partout", "Semer la lutte", "Saboter pour tout bloquer", "Sus aux riches" ou "Patriarcat au feu".

"C’est la marque d’une gauche anticapitaliste radicale qui va puiser dans le référentiel révolutionnaire" poursuit Romain Pasquier.

Sur les quais, entre deux porches, une main a tracé : "Ah, ça ira ça ira ça ira, tous les bourgeois, on les aura". "Ils veulent une réforme, donnons-leur une révolution" répètent un peu plus loin des pochoirs.

"Les auteurs de ces messages ont la violence urbaine comme répertoire, poursuit Romain Pasquier. Ils sont très politisés et savent faire."

Les graffs et collages s’inspirent des étapes du mouvement. Ainsi, ces derniers jours, des petites affiches sont apparues : un sac ou un camion poubelle avec ce message : "Longue vie aux grévistes !"

Des graffitis comme des cris

Ensuite, continue le politologue, il y a une autre catégorie de slogans. "Ce sont les cris de haine. Ils sont parfois juste griffonnés", comme ce : "En colère", comme jeté sur une porte, ce : "Mort aux porcs", tagué sur une vitrine ou encore : "Macron, je crame tout chez toi". "Ces phrases sont des crachats à la figure de la société. Ils peuvent être agrémentés de 'fotes' d’orthographe, ce sont des messages très agressifs, très durs et sans doute très révélateurs de la colère de ceux qui les écrivent."

D’ailleurs, sur les quais, une petite feuille blanche, presque discrète au milieu des grandes envolées de bombes le proclame : "Coller c’est crier !"

"Macron, je crame tout chez toi"

Le Président de la République, à l’origine du projet de réforme des retraites, est malmené à tous les coins de rue. "Macron à l’Ehpad" lit-on sur un mur. Autour des bacs à fleurs, plusieurs "Macron meurs" se répètent en lettres rouges. Et à l’emplacement d’un magasin de chaussures de sport, quelqu’un a dessiné un "Pendu" des jeux de notre enfance en indiquant d’une flèche que celui-ci se nomme Macron. 

Sa Première Ministre n’est pas épargnée. "Borne to die au travail",  "Borne to be une connasse". Et l'utilisation du 49.3 pour faire passer la réforme a inspiré bien des graffeurs : "49.3 NTM," [pour Nique Ta Mère, NDLR]. "49.3 dans la Vilaine." Les manifestants promettent "49.3 milliards de dégâts" et une affichette avec le visage de Voldemort, le personnage maléfique de la saga Harry Potter propose "Avada 49.3" [pour Avada Kadavra, formule magique mortelle, NDLR].

Comme lors de chaque mouvement qui se radicalise, des "CRS SS" apparaissent avec leur cortège de  "ACAB "comme "All Cops Are Bastards, tous les flics sont des salauds" de toutes les couleurs. Parfois une nuance, référence à ce désormais célèbre 49.3 se dessine : "Démocratie ACABlante".

Nul n’est censé ignorer l’émoi

Et puis termine Romain Pasquier, "il y a les slogans plus romantiques comme on en avait vu fleurir au printemps de mai 68". On se souvient des "Il est interdit d’interdire", "Sous les pavés, la plage" de l’époque.

"Ces slogans frappent davantage par leur humour, l’utilisation de métaphores pour donner à penser. Ils parlent de la réforme des retraites en nous interrogeant sur notre relation au travail. Qu’est-ce que c’est de vivre ? Ils ont une portée presque philosophique." "On ne bossera pas un jour de plus"," A 64 ans, un tiers des plus pauvres sont déjà morts."

Après les mots du Président de la République sur la légitimité de la foule, ils questionnent aussi le rapport de la rue et du pouvoir : ainsi, près de la gare, on peut découvrir, "Nul n’est censé ignorer l’émoi."

Le 19 janvier, le jour de la première manifestation, une Tesla a été brûlée. Sur les affiches, on lit depuis : "Tesla, t’es plus là" ou encore, "Hier une Tesla, demain le patronat."

Depuis le début du mouvement, Expansive info et d’autres mouvements collent ainsi des feuilles A4 de toutes les couleurs dans la ville. 

Et plus les vitrines des boutiques sont couvertes de panneaux de bois, plus les manifestants ont de place pour lancer leur message et leur ironie au monde. "T’es bien assuré ?" interroge ainsi un tag.

"Ces mots sortent souvent de la plume ou de la bombe d’étudiants, amoureux des lettres et des mots, constate Romain Pasquier. Et parfois, leurs formules font mouche".  "Rien à perdre, tout à prendre", "Amour, gloire et blocage", "16 64, une bière, pas une carrière", cite le politologue, "ça marche… ça donne aussitôt et automatiquement le sourire, mais est-ce que cela va convaincre les passants de la rue, ce n’est pas certain et c'est sans doute la limite de l'exercice."

Tous ces tags font la vie dure aux services de la ville, mais "il faudrait peut-être songer à les photographier pour travailler sur ce qu’ils nous disent " propose Romain Pasquier. "Certains slogans, remarque-t-il, comme certains chants de manif restent dans les mémoires collectives pendant des années et marquent durablement l’époque. " 

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