Ce 6 janvier, le Président de la République s’est rendu au centre hospitalier de Corbeil-Essonnes, en banlieue parisienne, pour présenter ses vœux aux acteurs de la santé. Emmanuel Macron y a dévoilé ses réponses pour "sortir de ce jour de crise sans fin" dans lequel s'est enfoncé le système de santé français. Il souhaite une réorganisation du travail à l'hôpital d'ici juin et une accélération du recrutement d'assistants médicaux. Des mesures bien en dessous des attentes des soignants bretons.
"C’est une insulte, du mépris, je suis outré". Nicolas Hirth n’en revient pas. "On était des milliers dans les rues hier, c’est comme si on n’avait rien fait. "
"Je n’ai pas de mots tellement je suis écœuré, lâche le médecin généraliste de Trégastel en grève depuis le 5 janvier. Il fait partie des Médecins pour demain qui revendiquent une consultation à 50 euros. "On bâtit la destruction de la médecine libérale" s’agace le praticien.
Une ordonnance qui fait plus de mal que de bien
Le président a rappelé les mesures de son premier quinquennat, comme la suppression du numerus clausus qui plafonnait le nombre d'étudiants en médecine et promis d'accélérer le recrutement des assistants médicaux pour les porter de "près de 4.000" actuellement à "10.000 d'ici la fin de 2024."
"Notre métier c’est le relationnel. Ce n’est pas des recettes qu’on applique, relève Nicolas Hirth. C’est de la confiance qu’on installe dès que le patient met un pied dans le cabinet. La médecine de qualité, ça prend du temps. Et là, on a l’impression qu’il n’y a que la technique qui compte".
Dans son discours, le Président de la République a évoqué le "renouvellement simple d’ordonnance" qui pourrait être fait par d’autres que les médecins." Ça veut dire quoi ?" s’étrangle le généraliste.
"Il n’y a pas de renouvellement simple, il y a des malades avec des pathologies qui peuvent évoluer, changer. Moi, à chaque renouvellement, je réévalue les besoins de mes patients."
"Leur solution, c’est le problème"
"Il faut qu’on nous fasse confiance, insiste Nicolas Hirth. On va nous inciter à faire plus d’administratif alors qu’on leur dit qu’on n’en veut moins. On va encore un peu plus loin que ce qu’on fait actuellement. Leur solution, c’est le problème. On est face à des technocrates qui ne mettent jamais les pieds sur le terrain. La coupe est pleine."
"Notre modèle de santé est bourré d’injonctions paradoxales, poursuit-il. Il y a quelques années, on nous disait qu’on faisait trop de visites à domicile. Ils ont fait en sorte qu’on n’en fasse plus et maintenant on nous reproche de ne plus aller voir les patients chez eux. C’est pareil pour les infirmières : on leur a dit qu’elles faisaient trop de toilettes, que ce n’était pas leur rôle et maintenant, on leur explique qu’elles délaissent la tâche."
J’aime mon métier, j’aime mes patients
Nicolas Hirth, médecin généraliste
"J’aime mon métier, j’aime mes patients, confie le médecin, je ne me plains pas de ce que je gagne mais de la façon dont je le gagne. On ne peut pas faire 60 ou 70 heures de travail par semaine." Et il rappelle que " 90% des soins et 96% des urgences sont gérés par la médecine de ville. On voit les gens avant qu’ils ne partent à l’hôpital. Mais le Président n’a pas eu un mot pour nous. "
Dans le quart d’heure qui a suivi la prise de parole d’Emmanuel Macron, Nicolas Hirth a reçu plus de 300 messages de colère de ses collègues médecins. "Certains parlent de se déconventionner, c’est grave".
Dans les jours qui viennent, les Médecins pour demain vont donc passer à l’action. Une opération anti burn-out est déjà prévue le 9 janvier.
A l’hôpital, les mêmes interrogations.
"Le Président de la République dit qu’il a compris le malaise" se réjouit Cécile Vigneau, membre du Collectif Inter Hôpitaux. "Je sais l'épuisement personnel et collectif, ce sentiment parfois de perte de sens qui s'est installé, le sentiment au fond de passer d'une crise à l'autre" a déclaré le chef de l'Etat.
Mais côté financement, "il a annoncé zéro milliard supplémentaire " regrette la néphrologue. Et sans argent, l’hôpital ne pourra pas recruter. Le Président n’a pas non plus parlé d’ouvrir les lits d’hospitalisation… alors "on attend des choses plus précises, il faut des mesures très très urgentes."
Dans son allocution, Emmanuel Macron a, en revanche, annoncé "la sortie de la tarification à l'acte à l'hôpital dès le prochain budget de la sécurité sociale, au profit d'un financement sur objectifs de santé publique."
"Ça c’est plutôt une bonne chose, puisqu’on la demande depuis qu’elle a été mise en place, se réjouit Régis Pineau, secrétaire du syndicat CGT de l’hôpital Yves Le Foll de Saint-Brieuc. Mais cette histoire d’objectifs ne lui plait guère. "C’est quoi un objectif ? On ne peut pas avoir d’objectif dans la santé, ou alors, on trie les malades et on ne prend que ceux qui vont rapporter de l’argent… on ne travaille pas dans le privé ! "
Une réorganisation du travail ?
Le chef de l'Etat a aussi invité à une réorganisation du travail à l'hôpital d'ici au 1er juin pour le rendre plus attractif. "On doit tout faire pour garder les soignants à l'hôpital, a-t-il souligné. Ce qui veut dire qu'on doit ensemble travailler à une meilleure organisation du temps de travail. "
"Ce qui veut dire ? Ce qui veut dire qu’on va nous demander de travailler plus et de revenir à 40 h par semaine ?" interroge le délégué syndical. Ils n’ont pas de solutions, alors il faut qu’on en fasse plus. C’est comme cet été quand on nous a proposé de ne pas prendre de vacances. Aujourd’hui, témoigne-t-il, les hôpitaux ont des logiciels sur lesquels les salariés peuvent se porter volontaires pour travailler dans d’autres services en plus de leurs horaires de travail."
"Il faut du personnel, répète Régis Pineau. On a tellement dégradé les conditions de travail des soignants qu’ils sont partis. J’ai vu des jeunes arriver et repartir après quelques mois. Leur première revendication, c’est les conditions de travail. Ils disent qu’ils en ont marre de faire de la merde. Quand on fait des études d’infirmier ou d’aide-soignant, c’est pour être au chevet des malades et pas en courant parce qu’il n’y a pas assez de monde. "
Régis Pineau est inquiet, et redoute que cela ne se traduise par des décisions difficiles à l’hôpital.
"Ça veut dire qu’il va falloir faire des choix. On va vers un accès aux soins à deux vitesses. Déjà, aujourd’hui, tout le monde n’est pas soigné comme il devrait l’être. Il y a des gens qui renoncent aux soins, parce qu’ils ne trouvent pas de médecins, ou pas de dentiste, ou pas de radiologues. "
Lorsqu’il est de permanence à la régulation le dimanche matin, il l’entend… "On a parfois 200 appels de gens qui n’ont pas de dentistes. Certains se tapent la tête contre les murs tellement ils ont mal. "
Plusieurs syndicats appellent à une grève illimitée à partir du 10 janvier pour protester contre "l'inaction" du gouvernement.