Durant le Covid, Mouna a eu l'autorisation de travailler dans un Ehpad. Nécessaire dans une filière qui peine à recruter, cette sans-papiers a depuis été remerciée et attend une réponse favorable pour reprendre son travail dans une filière en tension. Un exemple qui illustre l'une des problématiques de la loi Immigration.
En entrant dans cet Ehpad du centre-ville de Rennes, le regard de Mouna s’illumine. Un résident qui patiente dans le hall reconnaît cette femme de quarante ans originaire des Comores. Elle s’est occupée de lui pendant un an. Affaibli, le vieux monsieur tente un geste de la main. Un autre se lève de son fauteuil roulant pour l’embrasser. Mouna Abdourahim a travaillé près de 12 mois auprès d'eux. Elle a adoré cette période qui remonte déjà à deux ans. Les résidents et l’équipe de l’Ehpad étaient ravis de l’avoir.
Mais Mouna Abdourahim est sans papiers et sans régularisation de la part de la préfecture d’Ille-et-Vilaine, l’établissement de santé n’a pas pu la conserver.
"J'ai adoré ce travail, et eux m'aimaient. J'aurais voulu continuer".
Mouna Abdourahim
Alors que plusieurs agents de l’Ehpad se mettent en retrait face au Covid, Mouna qui avait pris son poste juste avant n’a pas manqué une journée de travail. Un courrier à l’entête du ministère de l’intérieur confirme ses “services importants rendus à la France durant l’état d’urgence sanitaire”. Ce document officiel de la direction générale des étrangers en France fait partie de son dossier pour demander sa régularisation. La réponse aurait dû être rendue en 4 mois. Cela fait plus de 18 mois. Et encore, le premier dossier a été déposé en 2019 mais l’administration l’aurait perdu lors d’un déménagement.
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Sans papiers, pas d'emploi
Un employeur ne peut se permettre d’embaucher un sans-papiers, sauf à se mettre dans l’illégalité. “Je comprends les employeurs, mais je suis affamé par le travail. Je deviens folle quand je vois les autres travailler et moi qui devrais être avec eux”.
Ménage, repas, activité, toilette, aide au lever, Mouna a exercé tous ces gestes à l’Ehpad et chez des particuliers pour le centre communal de Rennes. ”J’aime ce travail. Cela me fait du bien d’aider les autres, je suis fasciné par ce travail”.
Des promesses d'embauches dans une filière en tension
Alors chaque jour, Mouna tente de garder la tête hors de l’eau. “Je me lève et je fais le tour des entreprises dans le soin à la personne qui sont sur Rennes et même autour. Je dépose CV sur CV, je fais des entretiens… De nombreuses sociétés veulent m’embaucher mais cela s’arrête quand je leur dis que je n’ai pas de papiers”.
Les promesses d’embauches des employeurs confirment son propos. Des documents qui s’ajoutent aux bulletins de salaire, expériences professionnelles, maîtrise de la langue, formation à la citoyenneté, temps de présence sur le territoire pour justifier sa demande de carte de séjour pour travailler dans les métiers qui n’arrivent pas à recruter.
Un dossier bloqué en préfecture
“Le mot-clef, c’est la préfecture” souffle la femme qui vient de fêter ses 40 ans. “Je souhaite un papier pour que je puisse travailler et aboutir dans la vie. Je veux contribuer à l’économie. Je souhaite tant que ma situation se débloque. Cela fait 10 ans que je suis en France et déjà 5 ans à Rennes.”
Mouna est à bout de forces. Elle ne comprend pas les réponses de l’administration. “Cela fait près de 5 ans que l’on me dit, ‘on vous répond bientôt’. C’est trop long…”
Une situation que connaît parfaitement l’avocate Mélanie Le Verger. “Des étrangers sans-papiers que des entreprises veulent embaucher, je ne peux plus compter le nombre de dossier”. L’avocate spécialisée dans le droit des étrangers s’étrangle “j’ai des dossiers sans réponse depuis 2018 ou 2019. La préfecture a perdu des dossiers en déménageant, ou doit tout refaire aux frais des demandeurs. C’est juste incroyable. Les délais de réponse ne sont pas respectés. Des entreprises se retrouvent en difficulté”.
J’ai des dossiers en attente depuis 2018. Les délais de réponse ne sont pas respectés. Des entreprises se retrouvent en difficulté.
Mélanie Le Verger, avocate spécialisée dans le droit des étrangers
La loi Française impose un délai raisonnable pour répondre aux demandes de régularisation ou aux demandes exceptionnelles pour insertion professionnelle. “Les procédures administratives sont ultra-complexes. Chaque semaine les éléments sur le site du ministère de l’intérieur changent et s’il manque une page vierge sur un passeport, le dossier est intégralement à refaire.”
“La main-d’œuvre est là. Les salariés rencontrent les employeurs mais faute de retour de l’administration, le contrat de travail ne peut se faire” commente l’avocate.
“Tous les secteurs connaissent des difficultés de recrutements” confirme Eric Challan Belval, président du Medef 35. Celui qui est à la tête d’un regroupement de 3.700 entreprises en Ille-et-Vilaine reconnaît que face à la volonté d'embauche de travailleurs sans-papiers “les chefs d’entreprise doivent être plus sécurisés. Ils doivent réussir à recruter de manière agile et ne pas attendre des mois une réponse de l’administration qui ne viendrait pas”.
Quand un poste est à pourvoir dans la propreté, la restauration, l’agroalimentaire, c’est dans la semaine, pas dans les 6 mois.
Eric Challan Belval, président du Medef 35
“Quand un poste est à pourvoir dans la propreté, la restauration, l’agroalimentaire, c’est dans la semaine, pas dans les 6 mois” exprime le président du mouvement des entreprises d’Ille-et-Vilaine.
Mouna Abdourahim poursuit ses recherches pour trouver un emploi. Sa pochette avec ses CVs sous le bras, elle continue de démarcher les entreprises de ménage et d’aide aux anciens. L’une des filières les plus touchées par la difficulté de recrutement. Son espoir est de pouvoir commencer à travailler au lendemain d’une éventuelle bonne nouvelle de la part de la préfecture. Une entreprise du centre-ville de Rennes nous a confirmé son espoir de pouvoir l’embaucher.
Sollicitée pour définir les critères sur la régularisation de sans-papiers dans les métiers en tension, la préfecture n’a pas répondu à nos demandes. La loi immigration soutenue par le ministre de l’intérieur Géral Darmanin est examinée par l’Assemblée Nationale depuis le 30 novembre.