Témoignage. "Si je peux aider un peu pour leur réinsertion, tant mieux". Pourquoi cette étudiante accompagne les détenus qui reprennent leurs études

Publié le Écrit par Carole Collinet-Appéré

Depuis la rentrée, une vingtaine d'étudiants rennais se rendent en prison pour accompagner les personnes incarcérées dans leur reprise d'études supérieures. Ce tutorat, piloté par l'université de Rennes 2, vient en appui du campus connecté mis en place dans les centres pénitentiaires de Rennes et Vezin. Rencontre avec Youna qui intervient à la prison des femmes auprès d'une détenue en licence d'administration économique et sociale.

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Depuis octobre dernier, Youna franchit les portes de la prison des femmes de Rennes un vendredi sur deux. L'étudiante en master de psychologie à l'université de Rennes 2 y rejoint une détenue qui, elle, prépare sa licence d'AES (administration économique et sociale). "Je suis là pour l'accompagner, l'aider par exemple dans la méthodologie, reprendre avec elle les cours qu'elle n'aurait pas compris, lui donner des astuces pour ses fiches de révision, etc", explique Youna, laquelle confie que ce tutorat "tombe sous le sens".

"Je l'aide mais elle m'aide aussi"

La jeune fille de 22 ans raconte que son mémoire de licence portait sur "les effets psychologiques de la privation de liberté" et qu'elle envisage, plus tard, quand elle aura bouclé ses études, de travailler en prison en tant que psychologue. "Alors, forcément, quand on nous a proposé d'intervenir auprès de personnes incarcérées et de devenir leur tuteur, je n'ai pas hésité" dit-elle.

Youna souligne qu'entre elle et la détenue qu'elle épaule, "ça a tout de suite accroché. Parfois, j'aimerais bien discuter davantage avec elle et elle, elle aimerait bien parler du monde extérieur, mais nous savons l'une comme l'autre que nous n'avons pas le droit de dévier du cadre fixé".

Elle dit vivre "une expérience très humaine". "Nous nous enrichissons mutuellement, constate-t-elle. Je l'aide, mais elle m'aide aussi, car cela me permet de revoir mes méthodes d'apprentissage. On est entre étudiantes et on travaille ensemble".

"À bonne distance"

Ce tutorat vient en appui du campus connecté piloté par l'université de Rennes 2 et mis tout d'abord en place à la prison des femmes, avant d'être élargi au centre pénitentiaire de Vezin-le-Coquet. Ce dispositif, baptisé SupBox, permet aux détenus qui reprennent un cursus universitaire d'avoir accès à des cours à distance, "sans aucune connexion à internet" précise Daniel Menoud, proviseur de l'Unité pédagogique interrégionale (UPR), laquelle chapeaute l'enseignement en prison sur le grand Ouest.

Au total, ils sont 19 hommes et femmes inscrits à ce campus connecté, dans les filières de Psychologie, Anglais, Lettres et AES de l'université de Rennes 2. "Avec une nouveauté cette année : la licence de Droit en lien avec l'université de Rouen, indique le responsable de l'UPR. Et bientôt une licence de mathématiques et de sciences avec l'université d'Aix-Marseille".

Les tuteurs doivent garder en tête qu'ils sont là pour accompagner la poursuite d'études et rien d'autre

Daniel Menoud

Proviseur de l'Unité pédagogique interrégionale

Pour Daniel Menoud, la présence des étudiants volontaires "est un soutien humain en plus, très valorisant pour les détenus. Même s'ils sont suivis par les enseignants qui interviennent en milieu carcéral, le tutorat leur apporte quelque chose de riche, observe-t-il. On est dans un lien d'étudiant à étudiant au final, avec, toutefois, pour le tuteur, l'obligation de rester à bonne distance et de garder en tête qu'il est là pour accompagner la poursuite d'études et rien d'autre. Ce qui n'est pas si évident pour les étudiants de Rennes 2 qui sont souvent jeunes et n'ont pas l'expérience du travail en centre de détention".

"Savoir quelle posture adopter"

"Ils ne sont pas lâchés dans la nature" insiste le proviseur de l'UPR. Youna - comme la vingtaine d'autres étudiants qui participe à ce programme également mené par la Fédération des associations étudiantes de Haute-Bretagne (FAHB) -, a suivi divers modules de formation.

Avec Rennes 2 déjà "pour cerner les enjeux de la SupBox". Auprès de l'administration pénitentiaire "pour savoir quelle posture adopter en prison, ce que l'on peut faire ou pas, dire ou pas". "Nous avons aussi rencontré des visiteurs de prison, relate l'étudiante en master de psychologie. Ils ont partagé leur expérience avec nous, nous ont expliqué, par exemple, comment réagir face à une personne incarcérée, si elle parle ou, au contraire, si elle est renfermée sur elle-même. Cela nous a guidés".

On sait que les études permettent une meilleure réinsertion sociale et professionnelle à la sortie

Youna

Étudiante en master de psychologie

Quand elle a évoqué, autour d'elle, son souhait d'accompagner des détenus dans leur reprise d'études, Youna a essuyé quelques remarques. "On m'a dit : 'ah ouais, tu vas aider des gens qui ont tué'. Mais c'est stupide de dire cela, affirme-t-elle. On sait que les études permettent une meilleure réinsertion sociale et professionnelle à la sortie. Si je peux aider un peu pour cet objectif, tant mieux".

7.000 détenus scolarisés dans le grand Ouest

Dans les 24 centres pénitentiaires du grand Ouest, 7.000 personnes sont ainsi scolarisées "dont 95 en études supérieures" rappelle Daniel Menoud. Pour ces derniers, les partiels se déroulent aux mêmes dates et dans les mêmes conditions que pour les étudiants à l'université, "sous la surveillance des enseignants en prison" note le proviseur de l'UPR. 

Ce premier tutorat avec Rennes 2 sera reconduit à la rentrée prochaine. "On va entamer les recrutements, annonce Youna qui est aujourd'hui membre du bureau de la FAHB. Ceux et celles qui sont intéressés peuvent envoyer leur lettre de motivation à l'association". 

Après cette période de vacances à Noël et de partiels, l'étudiante en psychologie s'apprête à retrouver la détenue en licence d'AES à la prison des femmes. Elle aussi a bûché ses examens. "J'ai hâte de savoir comment ça s'est passé pour elle, sourit Youna. Elle est motivée et a envie d'apprendre. Cela donne de l'espoir pour l'après".

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