"Un enfant, si je veux, quand je veux". Après des années de combat, le droit à l’IVG inscrit dans la Constitution

Ce 4 mars 2024, le Congrès réuni à Versailles doit inscrire dans la Constitution la liberté d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse. Une avancée incroyable pour une génération de femmes et de militantes qui s’est mobilisée dans les années 70 pour que les femmes puissent disposer de leurs corps. Nicole Kiil-Nielsen était de celles-là, elle se souvient.

"Cela fait 60 ans qu’on a commencé à se mobiliser, 60 ans". Nicole Kiil-Nielsen n’avait jamais imaginé vivre un jour comme ce 4 mars 2024. Jamais imaginé que la liberté d’avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse soit inscrite dans la Constitution française. "Cette inscription, c’est une garantie pour les femmes, se réjouit-elle. Les choses avancent."

Nicole Kiil-Nielsen a commencé à militer au début des années 1970, après un avortement, "ça commençait souvent comme cela" reconnaît-elle.  

La toute jeune étudiante a découvert qu’elle était enceinte. Dans la salle d’attente d’un cabinet médical, elle tombe sur un article du "Nouvel Observateur". Le journal a accompagné des femmes qui partaient se faire avorter en Angleterre. Sur un morceau de papier, elle griffonne les noms des rues qui sont notés. Elle part en stop pour Londres. Elle n’a pas de nom de médecin, juste ce petit papier en poche avec ces adresses incomplètes.

Elle finit par trouver et découvre que nombre de Françaises ont fait le même voyage pour les mêmes raisons. Toutes montent dans un minibus et sont emmenées à la clinique.

Pour ce voyage, Nicole Kiil-Nielsen a emprunté de l’argent, mais pas assez. Devant les médecins, elle plaide sa cause, elle est étudiante, refuse de partir. Ils finissent par céder.

L’hypocrisie de la France des années 70

À son retour à Rennes, Nicole Kiil-Nielsen découvre une affiche sur les murs de l’université. La faculté de médecine organise un débat sur la contraception. La jeune femme, blessée par les propos conservateurs des mandarins, bondit sur l’estrade. "Je n’avais jamais pris la parole en public, mais là, ça a été viscéral, se souvient-elle. J’ai regardé tous ces messieurs qui étaient assis et je les ai traités de bande d’hypocrites. Quand on a les moyens, on va en Angleterre ou en Suisse, vos épouses, vos filles… Mais les autres ? Moi, je reviens d’Angleterre" leur a-t-elle jeté à la figure. 

Elle est aussitôt descendue dans la salle et se retrouve entourée d’étudiants. C’est le début de ses années de militante.

Nicole Kiil-Nielsen participe alors à la création du MLAC, le Mouvement pour la libération de l’avortement et la contraception, de Rennes.

"On tenait des permanences pour informer les femmes, on organisait des cars vers Londres, on gardait aussi parfois les enfants quand leurs mamans devaient s’absenter". Et puis, les militants collent des affiches." Il y en avait une qui montrait un bébé joufflu, qui disait, c’est quand même plus chouette d’être né quand on est désiré."

À l’époque, on considère qu'un million d’avortements clandestins ont lieu chaque année. Certaines femmes partent à l’étranger, d’autres ont recours aux avorteuses, aux aiguilles à tricoter ou aux queues de persil.

Le manifeste des 343 et le procès de Bobigny font bouger les lignes

Dans la société française, les choses commencent à évoluer. En avril 1971, "Le Nouvel Observateur" publie "Le Manifeste des 343". 343 femmes déclarent officiellement avoir eu recours à l’avortement. Parmi elles, Catherine Deneuve, Jeanne Moreau, les écrivaines Simone de Beauvoir et Marguerite Duras ou l’avocate Gisèle Halimi.  

Quelques mois plus tard, en octobre 1972, au procès de Bobigny, Gisèle Halimi défend Marie-Claire, une jeune femme de 16 ans qui a avorté, avec l’aide de sa mère, après un viol. La jeune femme est relaxée.

Les militants du MLAC maintiennent la pression. "On manifestait dans les rues. Parfois, on prenait un mégaphone et on se mettait au pied d’un immeuble pour dire En ce moment, ici, un avortement est en cours. Évidemment, en fait, on attendait qu’il soit fini pour ne pas prendre de risques, mais on occupait le terrain."  Nicole Kiil-Nielsen se souvient de ses slogans préférés : "On ne mendie pas un droit, on se bat pour lui"."Un enfant, si je veux, quand je veux".

 En avril 1974, les militants rennais du MLAC décident d’organiser une projection du film Histoires d’A. Un documentaire réalisé par Charles Belmont et Marielle Issartel qui milite pour la libéralisation de l’avortement. "Le film était interdit, se rappelle Nicole Kiil-Nielsen, quand il passait, la police intervenait, faisait évacuer la salle et prenait la copie. Mais ce jour-là, il y avait tellement de monde dans et devant la salle de la Cité, que nous avons fait plusieurs projections et que les forces de l’ordre ne sont pas intervenues".

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La Loi Veil

 

En novembre 1974, Simone Veil monte à la tribune de l’Assemblée nationale pour défendre son projet de loi autorisant les femmes à interrompre une grossesse. "Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme, je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes, déclare la ministre de la Santé. Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame". Le texte est voté en décembre, la loi promulguée le 17 janvier 1975.

Presque 50 ans plus tard, l’avortement entre ce 4 mars dans la Constitution. "C’est un symbole, se réjouit Nicole Kiil-Nielsen. Nous sommes le premier et le seul pays au monde à le faire". Mais la militante ne rend pas les armes. "Il faut que l’on continue à faire attention, précise-t-elle. Si on inscrit l’avortement dans la Constitution, c’est parce qu’on a vu les menaces aux États-Unis. D’autres menaces existent. En Italie, par exemple, l’avortement n’est pas interdit, mais nombre de médecins refusent de pratiquer. Il y aura toujours des gens qui seront contre. Alors, il faut rester vigilants, termine-t-elle, rester attentifs".

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