Véronique Sousset a pris la tête du centre pénitentiaire pour femmes de Rennes début avril 2020. Originaire de Quimper, elle a dirigé d'autres établissements, à Brest, Caen, Nantes, Saint-Maur, puis est devenue avocate, le temps d'une parenthèse. Rencontre avec cette passionnée du milieu fermé.
"La phase d'observation habituelle n'a pas eu lieu, j'ai été dans le bain directement", sourit Véronique Sousset.
La nouvelle directrice du centre pénitentiaire pour femmes de Rennes reçoit dans son bureau. Quelques papiers et dossiers, un talkie-walkie accolé à un masque chirurgical sont posés sur la table. Dans un coin, deux énormes caisses en bois sur lesquelles ont peut lire "pois" et "riz". Ces anciennes réserves témoignent du passé du lieu qui existe depuis 1860, voulu par Napoléon III.
Véronique Sousset a pris son poste le 1er avril dernier, en plein confinement. Elle a dû gérer d'emblée les questions et les angoisses liées à la crise sanitaire, avec 200 détenues et 170 membres du personnel.
Alors que la prison se déconfine elle aussi, elle détaille, de sa voix profonde, son parcours, ses 20 ans d'expériences, et ses ambitions pour cet établissement qu'elle aime déjà.
Diplômée de l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire en 2000, première de sa promotion, Véronique Sousset ne sait alors pas encore dans quel monde elle s'embarque. Elle a opté pour le droit et c'est l'unique concours qu'elle a passé, qu'elle a potassé.
J'avais vraiment choisi d'être là, en me disant que je pourrais faire quelque chose dans l'univers carcéral. C'est une application du droit, au profit de la liberté, même quand on est incarcéré.
Elle se souvient qu'à cette époque sort le livre d'une autre Véronique, Véronique Vasseur, ancien médecin à la prison de la Santé. L'ouvrage fera grand bruit, menant à la création de deux commissions d'enquête parlementaire.
"Dans le train entre Quimper et Fleury-Mérogis, je me suis dis, 'dis-donc c'est dans cet univers-là que je rentre'."
"Un homme ou une femme ne se réduit pas à son acte"
Sa première affectation, ce sera à Caen, en tant que directrice adjointe : 426 détenus, 80 % condamnés pour délinquance sexuelle. "C'était ma première expérience avec des longues peines, avec des profils, des individus et pour lesquels je me suis dit que j'aurais pu les rencontrer ailleurs, dans d'autres circonstances. Cela permet de prendre conscience qu'un homme ne se réduit pas à son acte, aussi terrible soit-il. On a d'abord en charge de la gestion humaine", raconte-t-elle.
Elle rejoint ensuite Brest où elle continue d'apprendre la gestion des flux, l'hôtellerie, les difficultés liées à la surpopulation carcérale.
On ne sait jamais à l'avance ce qu'on va pouvoir faire dans un établissement pénitentiaire. C'est à nous de nous y adapter, selon le bâti, le personnel, les moyens mais ces derniers ne doivent pas limiter notre action. On ne fait qu'y passer.
Les mandats se succèdent. La profession implique une obligation de mobilité. Pour Véronique Sousset, ce sera des cycles, souvent de trois ans. Sa route n'est pourtant pas droite. Après un temps au département sécurité et détention de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes, elle bifurque, "au hasard des rencontres, par curiosité." Elle passe le barreau, enfile la robe d'avocat, encore une autre façon de servir le droit.
"Je connais la prison, j'en suis sortie il n'y a pas si longtemps"
L'expérience des prisons lui sert dans ses dossiers d'avocate pénaliste, pendant presque cinq ans.
"Je prétends avoir plaidé les peines, parce que je savais ce que ça signifiait. J'ai dit, lors d'une première plaidoirie : je connais la prison, j'en suis sortie il n'y pas si longtemps".
De ces années et de ce nouveau métier, elle retient : "Je ne m'attendais pas à ce que ce soit les clients qui nous choisissent. On ne choisit pas sa matière." Elle ajoute : "C'est un métier difficile, qui implique une remise en cause quotidienne. Il faut être pointu sur les évolutions législatives pour donner le meilleur de soi-même."
Une affaire importante marque cette courte carrière d'avocate : elle devient le conseil d'Eric Sabatier, père de Marina, 8 ans, morte sous ses coups, après des années de maltraitance. Véronique Sousset raconte ce procès dans un livre "Défense légitime". Elle y décrit ce choix de défendre "le monstre". Elle fera faire ressortir l'homme, malgré l'émotion suscitée.
Elle quitte finalement la robe noire, revient vers l'administration pénitentiaire, devient chef d'établissement à Nantes puis à Saint-Maur.
"Diriger la maison centrale sécuritaire de Saint-Maur, c'est s'essayer à un autre métier"
Véronique Sousset s'anime alors qu'elle évoque ses 19 mois à Saint-Maur. La maison centrale accueille des longues peines, avec des personnes au profil violent et dangereux. Le chef d'établissement, qui vit sur place, jongle avec des enjeux de sécurité constants.
"Il faut assurer la sécurité des personnels, des co-détenus. Mais jusque là, c'est ma plus belle expérience professionnelle, de part les rencontres que j'y ai faites, les projets qu'on a pu mener avec des contraintes très strictes".
Quand on lui demande si elle a déjà eu peur, elle répond que non. Jamais. "On reçoit de la violence, j'ai déjà été inquiète mais je ne me suis jamais sentie en danger".
Elle raconte des sorties de personnes détenues, dont elle rappelle qu'elles ne sont pas "un dispositif récréatif" mais bien un jalon, dans le projet d'exécution d'une peine. "D'avoir une meilleure connaissance des personnes, avec ces sorties, c'est cela aussi qui va permettre d'améliorer la sécurité".
Le temps de la détention doit servir à quelque chose. "Au-delà de la garde, il y a notre mission de réinsertion. Toute personne qui entre est destinée à en sortir," rappelle-t-elle.
On n'est pas directrice toute seule, c'est vraiment un travail d'équipe, on ne peut pas être omnipotente
Encore un autre métier, au coeur du système
De 2018 à 2020 elle devient la directrice de cabinet du directeur de l'administration pénitentiaire, une nouvelle opportunité.
"Au coeur du réacteur, avec une dimension stratégique et politique. Deux ans extrêmement riches, dit-elle. Cela m'a permis de comprendre comment l'administration centrale fonctionne. Quand on revient en établissement, le regard change forcément. On comprend mieux ce temps administratif. L'administration pénitentiaire produit de la norme mais elle gère aussi du quotidien. Ce quotidien est parfois houleux et chaotique, ce qui fait que la norme s'adapte." Ce nouveau bagage lui sert alors qu'elle repose ses valises en Bretagne. Retour au pays pour cette Quimpéroise d'origine.
De l'ambition pour le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes
Contrairement à ses précédentes missions, Véronique Sousset a demandé à être à Rennes, lorsqu'elle a su que son prédécesseur partait.
Elle est attachée à l'architecture du bâtiment. Elle répète l'importance des lieux, leur influence : "L'architecture marque une empreinte sur l'incarcération et sur la façon dont on va prendre en charge les personnes détenues. Ici à Rennes, il y a beaucoup d'espace, sauf dans les cellules qui sont petites et sans salle-de-bain. On a une chapelle. Cette prison a sa place dans la cité, elle se trouve au coeur de la ville, à côté de la gare, ce qui facilite les visites des proches mais aussi les démarches des détenues."
Autre challenge, elle ne connaît pas du tout la détention féminine mais y décèle déjà des particularismes, sur lesquels elle compte jouer. Ce poste confirme son attrait pour les longues peines : "Même si je suis impatiente, je crois aux temps longs. Que faire de ce temps, c'est complexe."
Le déconfinement voit l'assouplissement de certaines restrictions. Les parloirs ont repris, avec des règles strictes. La nouvelle directrice porte les messages : "Il ne s'agit pas de faire une note de service, j'ai fait le tour des divisions pour expliquer le nouveau dispositif".
Le travail, centré sur la production de masques, et l'enseignement redémarrent. Ses journées sont rythmées par des questions de ressources humaines, financières, les rencontres avec les détenues, les travaux. Le poste l'occupe quasiment sept jours sur sept. Elle veut à terme organiser des temps informels. Elle constate : "La crise sanitaire a mis en exergue la collaboration avec l'extérieur : les hôpitaux, l'Education nationale. Cela a aussi, j'espère, interrogé les gens sur la privation de libertés."
Dans les mois à venir, Véronique Sousset compte renforcer la qualité de la prise en charge des détenues, continuer à travailler sur la prévention du suicide, un enjeu majeur en prison.
En septembre, elle prévoit également de mettre en place une commission de consultation, dans laquelle une dizaine de femmes pourraient siéger, au service de l'intérêt général. Elle mise aussi sur l'instruction civique : "Ces femmes sont des citoyennes, il faut les sensibiliser aux institutions".