RENCONTRE. Jean-Paul Kauffmann : "Je reste un plongeur qui remonte par paliers"

Jean-Paul Kauffmann publie "Zones Limites", recueil de textes écrits depuis sa libération en mai 1988 après trois années de captivité. Depuis 35 ans, l'ex-otage au Liban a choisi l'écriture pour tenter de se reconstruire.

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C’est à Saint-Malo que l’on a croisé Jean-Paul Kauffmann. Là où il venait déjà quand il était enfant, qu'il habitait Corps-Nuds au sud de Rennes, et que la cité Corsaire abritait ses escapades dominicales en famille. "Ici, je fais comme beaucoup de monde, je reviens puiser de l'énergie". 

De l'énergie que depuis 35 ans, l'ex-otage au Liban, met notamment dans l'écriture. A 78 ans, l'ancien journaliste devenu écrivain publie "Zones Limites", recueil de textes écrits depuis sa libération en mai 1988, après trois ans de détention dans les geôles du Jihad islamique.

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Rencontre avec Jean-Paul Kauffmann, qui publie "Zones limites" ©Gilles Le Morvan/ Benoit Levaillant/FTV

Mai 85, l'enlèvement

Son histoire, et celle de tous les otages au Liban, a profondément marqué la France de la fin des années 80.

Le 22 mai 1985, Jean-Paul Kauffmann, journaliste à L’Événement du jeudi, est enlevé à Beyrouth avec le sociologue Michel Seurat. Une nouvelle prise d'otage quelques semaines à peine après les enlèvements de deux diplomates français, Marcel Carton et Marcel Fontaine. Les opérations seront revendiquées par le Jihad islamique. 

En 1986 en 1987, d'autres Français sont à leur tour enlevés. Les noms de Philippe Rochot, Georges Hansen, Aurel Cornéa et Jean-Louis Normandin qui formaient une équipe d'Antenne 2, viennent alors s'ajouter à la longue liste des otages au Liban.

Mai 88, la libération 

Les membres de l'équipe d'Antenne 2 seront progressivement libérés en 86 et 87. Pour Jean-Paul Kauffmann, Marcel Carton et Marcel Fontaine, il faudra attendre le 4 mai 1988, entre les deux tours de la présidentielle.

Mais un des otages ne reviendra jamais : Michel Seurat, mort d'un cancer en détention. C'est pour son compagnon de cellule que Jean-Paul Kauffmann aura ses premiers mots à son arrivée sur le sol français.

L'écriture, pour ne pas s'enfermer dans une identité d'ex-otage

Pour se reconstruire, après 1078 jours de détention, Jean-Paul Kauffmann a choisi l'écriture.

Ecrire, il savait faire, il était journaliste. Mais après la captivité dit-il, "je ne pouvais plus faire ce métier. Pendant des années, j'avais été voyeur de la souffrance des autres. J'avais été au bord du volcan, je regardais la lave. Et puis un jour, je suis tombé dedans. La captivité a tué le journaliste". 

Alors pour mieux tourner la page, Kauffmann a repris le stylo que ses ravisseurs lui avaient confisqué en cellule.

"Je ne me vois pas comme une victime. Etre un ancien otage, ça ne forge pas une identité, ce n'est pas un statut. Il faut en sortir, tourner le dos, sinon on ressasse. Et l'écriture permet cela. J'écris pour qu'on oublie cette histoire là. Et en même temps, et je ne veux pas qu'on l'oublie. Je suis au coeur de cette contradiction" 

Jean-Paul Kauffmann

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Jean Paul Kauffmann publie "Zones limites" ©G. Le Morvan/B. Levaillant/FTV

Comment dire l'indicible ?

Dans "Zones limites", son recueil, un seul texte évoque explicitement ses trois années de captivité : "Le Bordeaux retrouvé", qui date de 1989. 

"Au lieu d’affronter au retour, cette expérience effrayante à l’aide de grands mots, j’ai préféré ruser en me servant de cet artifice. Cette longue nuit sanglante reste un trop lourd cauchemar pour être transmis à ceux qui ne l’ont pas vécu. Cette impuissance à relater l’innommable m’a conduit à user de la métaphore du vin."

Jean-Paul Kauffmann

"Bien avant le Liban", explique aujourd'hui Jean-Paul Kauffmann, "j'avais un hobby, le vin de Bordeaux, je m'occupais d'une revue, "l'Amateur de Bordeaux". Et c'est finalement là que j'ai réussi à trouver les mots pour évoquer ma détention. Parce que le vin, c'est le monde du partage, de l'élégance, de l'ouverture aux autres, L'exact contraire du monde que j'ai connu avec mes ravisseurs, brutal, violent, refermé sur lui-même". 

"Dans notre cachot, attachés à nos fers, nous parlions dans la nuit à voix basse. C’était parfois de cuisine et de vin. Il fallait briser le silence, faire diversion à l’angoisse et au désespoir."

Jean-Paul Kauffmann

"Le Bordeaux retrouvé"

Dans "Zones limites", la captivité rôde

Dans les autres textes publiés, la captivité n'est jamais abordée de manière frontale, mais elle rôde bien souvent entre les lignes. Dans "L'Arche des Kerguelen" notamment, publié en 1993. 

"L'archipel des Kerguelen a joué un rôle important dans ma convalescence" raconte l'ancien otage. "C'est un endroit hostile, l'isolement absolu, un pays de solitude. Ce dont je ne me suis pas rendu compte sur le moment, c'est que cela correspondait à la définition de ce que j'avais vécu au Liban, La différence, c'est que j'y avais été de mon plein gré".   

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Jean Paul Kauffmann publie "Zones limites" ©Gilles Le Morvan/ Benoit Levaillant/FTV

"Je reste un plongeur qui remonte par paliers"

"Le sujet de Zones limites, c'est cela", termine Kauffmann. "Comment atterrir, comment se poser sur cette terre dont vous avez failli être privé. C'est le thème commun à tous les textes de ce recueil. Comment repeupler ce qui a été détruit, comment redécouvrir le premier arbre, la première pluie, le premier verre de vin. Ce sont des choses vitales, essentielles." 

"Je reste un plongeur qui remonte... mais seulement par paliers. Suis-je définitivement revenu ? Je ne sais pas, ce n'est pas à moi de le dire, peut-être à mes proches. Je reste avec ce sentiment "d'in-adhérence". Je reste dans l'entre deux. Et c'est le coeur de mes livres."

 

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