Un rassemblement s'est tenu ce jeudi 15 février sur les quais de Saint-Malo pour dénoncer l'aberration écologique que constitue le plus gros navire-usine du monde. La Compagnie des pêches de Saint-Malo, qui opère déjà trois navires-usines, a annoncé qu'elle allait investir dans une nouvelle unité de production de surimi intégrée à bord d'un chalutier géant, l'Annelies Ilena. Propriété d'une société néerlandaise, le navire est le plus gros chalutier d'Europe et ses méthodes de pêche font grincer des dents aussi bien chez les écologistes que chez les pêcheurs.
Symbole de la démesure de la pêche industrielle, la Compagnie des pêches de Saint-Malo a investi dans l’un des plus grands chalutiers du monde pour pêcher le merlan bleu et le transformer en surimi. Pour dénoncer un modèle qui surexploite les ressources, plusieurs organisations appelaient à se mobiliser, jeudi 15 février, devant la sous-préfecture de Saint-Malo en formant une chaîne humaine de la taille du filet de l’Annelies Ilena, soit 600 mètres.
Jusqu'à 400 000 kg de poissons pêchés par jour
Ce rassemblement à l'initiative des associations Bloom et Pleine Mer, et relayé par France Nature Environnement, visait à dénoncer l'aberration écologique du plus gros chalutier du monde. Construit en 2000, "le navire de l’enfer", comme il est surnommé par les pêcheurs locaux, voguait jusque-là surtout au large de la Mauritanie. Il va désormais déployer ses filets au large de la France, en particulier dans le golfe de Gascogne et autour du Groenland. 15 millions d’euros ont été investis par la Compagnie des pêches de Saint-Malo pour installer une usine de transformation à bord. Le géant de 145 mètres de long est capable de pêcher jusqu’à 400 000 kg de poissons par jour et d’en stocker 7 millions de kg. Il est, de ce fait, la parfaite illustration de la folie de la pêche industrielle.
Un navire trop grand pour entrer dans le port de Saint-Malo
L'Annelies Ilena est tellement grand qu’il ne pourra même pas accéder au port de Saint-Malo : Alors que le merlan sera broyé et transformé en pâte de surimi sur le navire, la pâte sera ensuite déchargée aux Pays-Bas avant d’être transférée par camions vers l’usine malouine de la compagnie ; pour fabriquer 3000 tonnes de surimi chaque année.
Selon les associations Bloom et Pleine mer, "ce navire usine met en péril l’océan ainsi que les moyens de subsistance des pêcheurs artisans qui ont pourtant les meilleures performances sociales, économiques et environnementales. Ce navire symbolise à lui seul tout ce qui dysfonctionne dans le secteur de la pêche. Alors que les pêcheurs vont de crise en crise depuis des années, les pouvoirs publics continuent de défendre les destructeurs de l’océan au mépris de la protection des pêcheurs artisans et de l’environnement".
Elles entendent lutter "contre le gigantisme, les usines flottantes et la mainmise des industriels sur le secteur de la pêche". Elles dénoncent également un "pillage des océans" et veulent empêcher le navire d'"accaparer les quotas" de pêche.
"Désastre pour les emplois côtiers"
Les associations ne sont pas les seules à voir d'un mauvais œil ce chalutier. Lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale mercredi, le député écologiste de l'Isère Jérémie Iordanoff a interpellé le secrétaire d'État chargé de la mer et de la biodiversité, Hervé Berville. L'élu isérois dénonce notamment une "aberration pour l'environnement et un désastre pour les emplois côtiers".
Si sur le papier, il s'agit d'un chalutier pélagique, c'est-à-dire dont le filet reste entre deux eaux sans racler le fond, selon le président des ligneurs bretons, la réalité est différente. Gwen Pennarun explique ainsi au micro de France Culture que ce chalut "arrive à quasiment 30 mètres d'ouverture verticale sur des fonds de 35 à 40 mètres", ce qui signifie d'après lui que "le chalut va de la surface au fond et laisse peu de chances à toutes espèces confondues".
Quand on associe ce bateau à la Bretagne, on salit la Bretagne.
Loïg Chesnais-GirardPrésident de la région Bretagne
Le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard fait part au micro de France Inter d'une certaine "amertume" face à la démesure du navire. "Ce navire énorme est exactement dans la ligne de la pêche mondiale que l'on voit, mais il n'est pas conforme à la pêche bretonne que je défends, avec des règles environnementales et sociales", insiste-t-il. Il refuse que ce bateau soit considéré comme breton : "Quand on associe ce bateau à la Bretagne, on salit la Bretagne", s'agace Loïg Chesnais-Girard.
La compagnie des pêches de Saint-Malo assure à France Inter que le navire pêchera uniquement des merlans bleus, poisson qui "n'intéresse pas les navires de pêche artisanale". Sauf que l'Annelies Ilena risque tout de même de priver les autres pêcheurs français d'une importante partie des quotas qu'ils ont déjà du mal à se partager, alerte au micro de France Culture David Le Quintrec, patron pêcheur lorientais, qui intervient dans le golfe de Gascogne. "On nous restreint nos zones de pêche avec les parcs éoliens, maintenant les aires marines protégées sont en train d'être fermées à la pêche sur tout le long du littoral anglais", déplore-t-il.
Avec Krystel Veillard et AFP