"Avant, j’avais des cellules cérébrales fonctionnelles, je les ai remplacées par des enfants". "Depuis que je suis enceinte, j’oublie tout…" A force de voir et d’entendre ce genre de remarques sur la mémoire et les capacités intellectuelles des mères, la neuroscientifique, Jodi Pawluski, a voulu en savoir davantage. Elle raconte ses recherches dans un livre, "Mommy Brain", le cerveau des mères.
"J’ai grandi dans une petite ferme où nous élevions beaucoup d’animaux différents," écrit Jodi Pawluski dans son livre Mommy Brain. Et la neuroscientifique raconte l’histoire d’une petite poule noire à qui sa mère avait confié des œufs de cane. "Après quelques semaines, d’adorables canetons jaunes ont éclos et la maman poule était toute fière de parader avec ses poussins."
Evidemment, les œufs sont devenus des canards, plus grands que leur mère, mais ils la suivaient toujours. "Un jour, poursuit Jodi Pawluski, les canetons ont découvert le bassin et ils ont sauté directement dans l’eau. Leur mère poule est devenue folle : quel poussin est censé faire cela ? Après de nombreux gloussements et réprimandes, ils sont sortis et l’ont suivie dans la cour."
Ce n’est qu’une petite histoire mignonne, "So cute !", dirait Jodi Pawluski en se tenant le visage entre les mains à la façon des filles des magazines. La jeune femme est née au Canada et vit à Rennes depuis 8 ans. Cette petite histoire mignonne continue de lui trotter dans la tête et c’est peut-être à cause de cette petite poule qu’elle mène depuis des années des recherches sur la parentalité.
Gros ventre, petit cerveau ?
Dans le laboratoire de l’IRSET à Rennes, où elle poursuit ses travaux, Jodi glisse une lamelle de verre sous le microscope. "C’est un neurone de rate extrait d’une zone du cerveau qui s’appelle l’hippocampe, décrit-elle. La zone de la mémoire et des émotions. Je me suis aperçue que quand une rate attend des petits, dans cette partie de son crâne, le nombre de nouveaux neurones diminue mais la quantité de synapses, qui permettent la communication entre les neurones, elle, augmente."
Des études menées sur les femmes montrent, elles aussi, une diminution de certaines zones du cerveau. "Un rétrécissement infime, de 1 à 5% de certaines zones, mais c’est significatif," explique la chercheuse.
Et cela est observable sur des tas d’espèces. Chez les fourmis, certaines zones du cerveau, les lobes optiques, se réduisent de 24%. Cela ne veut pas dire que les mères, humaines, rates ou fourmis, sont soudain moins intelligentes, au contraire, rassure immédiatement Jodi Pawluski. En fait, le cerveau s’adapte et se prépare au grand bouleversement qui arrive, l’arrivée du bébé.
Le cerveau en mode focus
"Si les futures mères ont parfois l’impression d’avoir du gruyère dans la tête tant il y a des trous dans leur mémoire, ce n’est qu’une impression" explique Jodi. Les expériences le prouvent.
Il y a quelques années, elle a mené une étude avec des rates, certaines mères, d’autres non. Les rongeurs étaient placés dans un labyrinthe à huit branches. Dans quatre de ces branches, Jodi Pawluski avait déposé des "Froot loops". Des céréales dont les petits mammifères raffolent.
Les rates qui avaient des petits se repéraient mieux et retrouvaient plus facilement le chemin qui les conduisait aux friandises que les autres. "En fait, décrit le neuroscientifique, le cerveau des parents se concentre sur la seule chose importante : le bébé !"
Tout le reste, l’endroit où on a posé les clés, le titre du film, le score du match de foot, cela n’a plus aucune importance. Notre tête se débarrasse du superflu pour que toute son énergie se porte sur des choses beaucoup plus essentielles : les couches, l’heure du biberon, le rendez-vous chez le médecin…
"Le cerveau doit apprendre à coordonner tout un tas d’activités, de la lessive aux leçons de piano, il se transforme et c’est super, analyse Jodi Pawluski. Il se transforme pour devenir plus efficace."
Et l’amour dans tout ça ?
Le cerveau des mères, et celui des pères, se modifie aussi pour mieux comprendre les émotions du bébé. Il faut réussir à entrer en contact avec le nouveau-né, pouvoir deviner ses besoins, anticiper les risques, gérer ses peurs, ses pleurs etc… etc…
La chercheuse évoque des expérimentations sur l’activité cérébrale des mères à partir d’imageries par résonance magnétique, l’IRM. "On installe les mamans dans l’appareil et on leur montre des photos, détaille-t-elle. On projette tour à tour des images d’un enfant, des images d’arbres, de chaises et puis des images de LEUR enfant. Chaque fois, lorsque c’est leur bébé qui apparait, des zones du cerveau s’activent davantage."
Jodi mime un instant la scène en affichant sur son ordinateur le visage de sa fille. Un immense sourire se dessine sur son visage, "Oh, it’s my baby !!! ""Ce changement dans nos têtes va nous permettre, encore une fois, de prendre soin de l’enfant, c’est magique !"
Des études nécessaires
Chaque jour, dans le monde, 380 000 bébés voient le jour. Les recherches sur ces modifications du cerveau au moment de l’arrivée d’un enfant sont récentes. "Il est important pour les parents de savoir et de comprendre ce qui se passe, plaide Jodi Pawluski. On parle toujours du développement de l’enfant, mais avant son développement, il s’est déjà passé des choses dans le ventre de sa mère. C’est le commencement de la vie. Il faut que des moyens soient donnés pour ses études."
Car la neuroscientifique le sait bien, tout n'est pas toujours rose. Avoir un bébé, c'est une lourde tâche et une grande responsabilité. après l'accouchement, certaines femmes souffrent de 'baby blues', d'autres de véritables dépressions post-partum.
Au- dessus de son bureau, la chercheuse a accroché un poster qui résume tout l'intérêt de ses travaux… "Tout être humain est né du corps d’une femme ! "