Il y a un an, alors que le deuxième confinement venait de commencer, Diego Algret, alias Hermoso, postait un rap sur les réseaux sociaux." Véran, qu’as-tu fait à mes parents ?" Patrons d’une boite de nuit fermée depuis des mois à cause du Covid, ses parents étaient "dans le dur". La chanson les a aidés à tenir et quand le Gossip a rouvert ses portes début septembre, tous avaient les larmes aux yeux.
"Ce soir, on n’allumera pas les lights, ce soir, on n’allumera pas le son… "Dans un hangar délabré, comme décor de son désespoir, en ce mois de novembre 2020, Diego- Hermoso rappait sa colère : "Comment ça se fait qu'on en est arrivé là, j'comprends rien, j'vous en supplie, écoutez-nous, aidez-nous ! Papa, maman ont depuis toujours les valeurs de l'amour, pas celles de l'argent! Pourquoi je ressens ça si différent ? Je vois papa sans cesse regarder les débats. Je vois maman insulter le ministre de la Santé ! Vous avez changé mes parents."
Diego était alors élève en première au lycée. Passionné de musique, "elle me permet de dire ce que je ne peux pas exprimer autrement " analyse le jeune homme qui a écrit son premier rap au moment du décès de son grand-père.
Elle nous a fait un bien fou cette chanson.
Carl Hautbois, patron du Gossip
Et là, c 'est sûr, il en avait gros sur le cœur. "C’était la guerre", résume-t-il d'un mot, comme une claque. "La boite de nuit de mes parents a fermé, comme toutes les autres, au mois de mars 2020. Je les voyais craquer. Et moi, je vivais ça comme eux, tous les jours, tous les jours. Quand le ministre de la santé prenait la parole quelque part sur une radio ou une chaine de télé, toute la maison se taisait et après pendant des heures, ça téléphonait. Les patrons de boites de nuit de toute la France essayaient de traduire ce qui venait d’être dit. Ça sonnait sans arrêt. C’était le stress !"
A peine publiée, la chanson commence à circuler sur les réseaux sociaux. Elle a été écoutée plus 82 000 fois. Le clip a comptabilisé près de 8 000 vues.
Carl Hautbois n’est pas peu fier. "Elle nous a fait un bien fou cette chanson. C’est un truc puissant, tellement fort. C’est ce que lui vivait, ressentait. Il voyait ses parents qui s’inquiétaient du matin au soir, 24h sur 24, 7 jours sur 7. On n’en voyait pas le bout, on n’était pas bien, il le sentait."
" Une boite de nuit fermée, c'est comme un clown triste, ça ne devrait pas exister "
Le patron de la discothèque confie qu’il a laissé des plumes dans l’affaire. Financièrement d’abord," les discothèques ont reçu des aides, même si elles sont arrivées en novembre alors qu’on a fermé en mars, glisse-t-il entre parenthèses. Les salaires des employés étaient pris en charge par l’état. Mais les gérants n’ont eu droit à rien. On a survécu avec les crédits. On s’est endetté et je voyais la fin du Prêt garanti arriver et je me disais, après, on fait comment ? "
Et puis, Carl l’avoue facilement, moralement, ça a été très dur. "On ne savait pas pourquoi on se levait le matin, on parlait à des murs. Nous nous sommes sentis complètement mis de côté, oubliés."
En France, sur les 1 600 discothèques qui existaient avant la crise sanitaire, 300 ont fermé. En Bretagne, sur les 150, 15 ont définitivement coupé les spots et les boules à facettes.
La vie reprend
A Vitré, le Gossip a rouvert ses portes début septembre. Après 18 mois de fermeture. Carl confie qu’il avait presque les larmes aux yeux et la gorge complètement nouée. "Je n’ai fait que serrer des mains toute la nuit. Dès le premier soir, on était complet à minuit et demi. Et plus de 300 personnes attendaient dehors, c’était incroyable ! "
Diego, en terminale cette année, travaille maintenant dans la boite de nuit. Cette nuit-là, il ne l’oubliera sans doute pas de sitôt. "On s’est fait déboiter dit-il en riant. Quand tout a été fermé pendant des mois et que d’un coup, tu es derrière le bar et qu’il y a devant toi des dizaines de personnes les bras en l’air qui font la fête, c’est énorme ! "
"Beaucoup de clients ont vu le combat qu’on a mené", témoignent Carl et Diego. "Ils ont entendu la chanson, vu nos interventions dans les médias. Les gens nous remercient, sont beaucoup plus respectueux. Ils nous disent, vous avez eu raison de vous battre ! "
Evidemment, il a fallu s’organiser. Le Gossip a recruté une personne supplémentaire pour gérer les Pass sanitaires et les contrôles d’identité. Il faut respecter la jauge. "Mais on est heureux, lâche Diego, on ne se plaint plus, on fonce, tête baissée. "
"Je savoure chaque instant, chaque chanson, chaque verre servi, chaque entrée sur la piste de danse. Même les petites choses négatives me manquaient sourit Carl. Les verres cassés, les clients un peu lourds qui demandent s’ils peuvent rentrer sans payer, on ne sait jamais, sur un malentendu, tout cela, ça fait du bien ! Vivre sa passion et vivre de sa passion, c’est énorme ! "
On dit qu’on reconnait le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va. "Il a fallu qu’on soit absent un an et demi pour que les gens se rendent compte de notre importance" détaille Carl.
"Ce rap de Diego, ça nous a beaucoup apporté. De la reconnaissance pour Diego, de la force pour toute la famille."
"Cela a été dur, mais on était tous dans le même bateau, les salariés, les enfants. On en ressort plus soudés, plus battants, plus forts ! Ça a été un moment puissant, ça restera longtemps en moi" conclut Carl.
Ce soir, il allumera les lights, il allumera les sons...