"Ils ont cassé la paroi du capitalisme, mais laissent la porte ouverte." Les écolieux, un refuge de plus en plus attractif

Explosion des inégalités, triomphe de l'égoïsme, perte du sens du collectif… Face à ce triste bilan, ils sont de plus en plus nombreux à chercher de nouveaux modes de vie et à faire le choix de s'installer dans des écovillages. Ils souhaitent remettre leurs valeurs écologiques, démocratiques et sociales au cœur de leur existence. Comment fonctionnent ces lieux. Deux experts nous livrent leur analyse.

En France, depuis les années 90, différentes façons d'habiter le territoire se développent.

Ainsi sont nées des "communautés intentionnelles", des "coopératives intégrales", ou encore des "enclaves décentralisées", mais ce sont les "écolieux" qui connaissent le plus grand succès.

Ces écovillages sont des lieux d’expérimentation de modes de vie, visant l'autosuffisance. Ils reposent sur trois axes : un modèle économique alternatif, une place prépondérante accordée à l'écologie et une vie communautaire active.

Le phénomène d’écovillage est encore au stade embryonnaire à l’échelle du globe, mais mérite qu'on s'y arrête un moment :

La Bretagne, terre d'écolieux

Le nombre de ces écolieux ne cesse de croître. La coopérative Oasis, qui accompagne beaucoup de ces projets au niveau national, en dénombre plus de 1.200.

Se compter pour compter, un enjeu difficile

À ce chiffre, impossible de comptabiliser ceux qui n'ont pas entrepris une démarche officielle de reconnaissance. Dans la majorité des cas, les écolieux se forment par l'achat de logements individuels. Dans ce cas, le droit à la propriété s'applique. Il n’y a pas un modèle unique d’écovillage. C'est une des raisons de la diversité de leurs statuts juridiques : associations, loi de 1901, sociétés coopératives de production (SCOP) ....

"Tous les territoires, comme la Bretagne qui a une vieille culture d'autonomie, voire d'indépendance, jouent un rôle déterminant dans l'accueil de lieux de vie alternatifs."

Guillaume Faburel,

universitaire à Lyon 2

À lire aussi : "J'avais besoin de me reconnecter à la nature", ils ont fait le choix de vivre ensemble, dans un écolieu.

1987, naissance de la notion de développement durable 

En 1987, à la suite du rapport alarmant Brundtland de la Commission mondiale sur l'environnement, les dirigeants de 178 pays se réunissent à Rio pour discuter de l'avenir de la planète. Naissent ainsi, partout dans le monde, des projets d'écohabitats visant à résoudre ces problèmes complexes. En France, dans les années 90, Pierre Rabhi, paysan philosophe, initie le concept d'oasis. Son mouvement Colibris encourage chacun à "faire sa part". 

" Cette nouvelle conception de l’habitat puise beaucoup dans l'écologie politique des années 70, 80. Mais contrairement aux vagues antérieures de ces années-là, ce qui caractérise aujourd'hui le plus les écolieux est la volonté de leurs habitants à viser l'autonomie tout en voulant s'insérer localement en produisant de la valeur ajoutée dans le territoire, une philosophie qui donne à ce mouvement une force sans précédent " souligne Guillaume Faburel, géographe, universitaire à Lyon 2.

    Un modèle de vie ?

    " Démobilité, déconsommation, détravail, d'autres formes de vie se créent dans ces écolieux. Si vous voulez développer une économie du bien-être et du don, à partir de ressources plus locales, ces écolieux représentent un modèle de vie en devenir" explique Guilaume Faburel.

    "Ils nourrissent de plus en plus l'envie de personnes qui n'ont pas encore franchi le cap de déménager et de débrancher des grandes villes dont la vivabilité et la viabilité deviennent de plus en plus incertaines."

    Guillaume Faburel,

    géographe, universitaire à Lyon 2

    "Depuis les villes, c'est compliqué de trouver du sens, d'être directement acteurs, de faire autonomie, de retisser des liens au vivant et à l'environnement. Les écolieux offrent cette possibilité" expose le géographe Guillaume Faburel.

    "Un rapport de distanciation classique au travail se crée. Le projet d'autonomie vient en soutien économique à la perte financière d'un emploi à plein temps."

    Guillaume Faburel,

    géographe, universitaire à Lyon 2

    Un projet mobilisateur

    Julien Vey a passé trois jours en écolieu et nous raconte :"Ils n'arrêtent pas deux minutes, travaillent beaucoup sans avoir l'impression de travailler. 'Là, ce n'est pas du travail, je répare une machine' dit un habitant de l'écolieu qui n'est pas mécanicien. La multiplicité des tâches nécessaires au bon fonctionnement de l'écolieu a un effet bibliothèque des connaissances et des savoir-faire. Elle génère une grande satisfaction personnelle et beaucoup de plaisir. Ensemble, ils font l'expérience d'apprendre plein de choses les uns des autres."

    En moyenne, souligne Guillaume Faburel, un éco-lieu s'installe sur une durée de 3 à 5 ans. Le projet est très mobilisateur, très prenant. Ils travaillent quasiment à plein temps sur le projet en plus de leurs activités rémunératrices. Durant cette période, ils sont moins ouverts sur l'extérieur.

    Le portrait-robot de la population des écolieux

    Les résidents de ces oasis y vivent principalement en famille. Ils ont majoritairement entre 30 et 40 ans, travaillent à l’extérieur, ne sont pas coupés du monde. Ils habitent dans un logement privé, et n’ont pas renoncé à tout confort. Ils partagent simplement un projet de vie commun, pour être en cohérence avec des valeurs de sobriété, de solidarité et de moindre impact environnemental.


    Guillaume Faburel classe les principaux habitants en trois catégories sociodémographiques :

    - Les jeunes sont de plus en plus jeunes à y rentrer. Le débranchement urbain intervient plus tôt dans leur parcours de vie. Loin d'être un inoffensif abandon, ce mouvement de désertion, cette émancipation collective, émerge plutôt comme une stratégie militante de lutte face aux désastres de notre époque.

    "Ils sont dans le système contre le système".

    Julien Vey

    Julien Vey souligne "Les écolieux sont plutôt sortis que fermés. Ils sont sortis du système économique prédominant. Pour eux, nous sommes enfermés dans une manière de vie qui n'est pas la bonne. Ils ont cassé la paroi du capitalisme, mais laissent la porte ouverte. Ce sont des refuges, un archipel d'îlots de survie."  

    - Les écolieux se féminisent. Aujourd'hui, ils se composent à plus de 60% de femmes.

    - Les précaires s'associent dorénavant de plus en plus à de tels projets.

    Selon Guillaume Faburel "Les études estiment qu'avec un apport de 20 à 40 000 € pour l'achat de sa partie privée et de ce même montant pour la partie commune, habiter en écolieu est possible sans difficulté. Quant aux charges mensuelles, elles s'élèvent en moyenne entre 300 et 500 € soit par personne ou par foyer selon les ressources, la productivité de la terre, les solidarités locales..."

    L'ouverture sur l'extérieur

    Le choc des cultures exige un travail de socialisation. "Dans la majorité des cas, il y a un temps d'acclimatation, d'adaptation mutuelle. Il s’agirait alors pour les habitants des écolieux de créer le plus rapidement possible des relations avec l'extérieur pour ne pas laisser des qualificatifs, des stigmates ou des stéréotypes venir gangrener la relation avant même qu'elle ait commencé. Les études constatent que si la glace n'est pas brisée rapidement, des tensions s'établissent. Si le lien est tissé, globalement, tout le monde y gagne" explique Guillaume Faburel.

    Julien Vey pense que l'on a trop souvent envie de fixer des solutions et s'interroge sur un mode vie hybride et nomade dans ces lieux. "J'imagine qu'il pourrait y avoir des entrées et des sorties saisonnières comme pour les oiseaux migrateurs. Ces lieux pourraient peut-être répondre aux problèmes de pénurie de logement des étudiants ou pourraient offrir une oasis le temps d'une saison pour des personnes isolées qui ne veulent pas complètement changer leurs habitudes."


    Pour aller plus loin :
    " Indécence urbaine. Pour un nouveau pacte avec le vivant ", édition Climats-Flammarion, 2023. Guillaume Faburel en seconde partie de cet ouvrage, parle des écolieux comme points d'ancrages, avec d'autres initiatives, d'une géographie alternative, un peu plus écologique que les grandes villes. 

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