Pas de travail pendant le confinement. Pas de reprise annoncée après le déconfinement... Les intermittents du spectacle sont dans le rouge et tirent la sonnette d'alarme. Témoignages en Bretagne.
Les intermittents du spectacle ont les yeux rivés sur le compteur de leurs heures, résolument bloqué depuis le début du confinement. Pour beaucoup d'entre eux, ces précieuses heures de travail sont souvent réalisées entre mars et septembre. Afin de conserver leur statut et ouvrir leurs droits aux allocations-chômage, ils doivent atteindre 507 h annuelles. Mais avec l'annulation des festivals, la fermeture des théâtres, l'arrêt des tournages pour le cinéma ou des tournées pour les musiciens, la profession du spectacle se retrouve aujourd'hui menacée.
"Un emprunt sur le dos"
"Moi c'est bien simple, confie Emmanuel Guillard, pianiste à Rennes, je suis censé renouveler mes droits en septembre. Autant dire que c'est mort pour moi. Car il va me manquer près de 400 h et en général, je les engrange à cette période. Si aucune mesure n'est prise par le gouvernement, je vais perdre mon accès à l'intermittence alors que cela fait 26 ans que je suis musicien, que j'ai un emprunt sur le dos et trois bouches à nourrir".
Ce pianiste de 48 ans parle de "séisme" pour la culture, ne se voit pas repartir à zéro, "ça ne va pas être évident à mon âge" et tient à rappeler que "le régime de l'intermittence n'est pas un régime privilégié. Bien au contraire. Il faut travailler énormément, ajoute-t-il, il y a des années fastes et d'autres plus creuses. Si ce régime existe, c'est aussi pour nous permettre de pallier le manque dans les moments de creux".
"Dans la panade"
Tonio, technicien-son depuis une quinzaine d'années, s'apprêtait à partir en tournée estivale avec le rappeur français Lomepal. "Je ne travaillerai pas du tout cet été, dit-il. Et dans l'hypothèse où tout repartirait en septembre, ce qui n'est pas gagné, je n'aurais que quatre mois pour boucler mes heures". Mission quasi impossible pour ce technicien rennais de 38 ans dont l'agenda reste désespérément vide.
"D'ordinaire, à cette époque, j'ai déjà des propositions de tournées pour l'hiver. Là, je n'ai rien". A son compteur : 68 h, pour l'instant. Et une date de renouvellement de ses droits en décembre. "C'est mon métier et je ne sais rien faire d'autre. D'ailleurs, je ne vois pas pourquoi je devrais abandonner ce que j'aime faire".
Max, de son côté, est régisseur sur les festivals, notamment aux Vieilles Charrues, à La Fête du Bruit, aux Petites Folies, trois événements annulés dans le Finistère. Ce sont plus de 300 h de travail qui viennent de s'envoler. "Mes droits sont recalculés en novembre, explique-t-il. L'hiver, c'est morne plaine question boulot, cela représente un-quart de mes heures. Si rien n'est fait pour les intermittents, nous serons dans la panade".
Année blanche pour année noire
Pas de travail pendant le confinement, pas de travail non plus après le déconfinement.... la note est salée pour les intermittents du spectacle qui réclament, aujourd'hui, une prolongation d'un an de leurs droits à l'assurance-chômage. Autrement dit : une année blanche, comme le défend le collectif Année noire, dont la pétition, initiée par deux musiciens nantais, atteint plus de 180.000 signatures.
"Une prolongation au même taux que 2020, précise Julien, l'un des rédacteurs de ce texte. En y ajoutant évidemment la période où l'on a été dans l'incapacité de travailler, pas juste la période du confinement. Si aucune mesure d'urgence n'est prise par l'Etat, une grande partie des intermittents va perdre son statut".
Les professionnels du spectacle se fédèrent sur les réseaux sociaux. Exemple avec ce groupe Facebook baptisé "Les gens du spectacle" qu'Olivier, technicien de tournées, anime avec d'autres intermittents. En à peine quelques jours, ils sont déjà près de 10.000 à avoir rejoint ce groupe. "Ici on ne parle pas de politique, indique Olivier. On échange, on discute de tous les moyens pour se faire entendre". Le Guingampais, qui aurait dû prendre la route avec Alain Souchon, vient de passer une bonne partie de son temps à adresser le courrier des "Gens du spectacle" aux 577 députés.
La lettre des intermittents aux députés français
"L'heure est grave, martèle Olivier. Le ministre de la Culture doit comprendre ce qui se passe et que ce sont 270.000 intermittents du spectacle qui sont touchés. Si rien n'est fait, ça va être la catastrophe. Et la solution de l'activité partielle, qui n'existait pas jusque-là dans l'intermittence, c'est compliqué à obtenir sur de simples promesses d'embauches sans contrat signé. En plus, Pôle Emploi ne comptabilise que des journées de travail de 7 h avec un taux très très bas, ce qui ne reflète absolument pas la réalité de nos métiers".
En 15 ans d'intermittence, ce sera la première fois que je ne boucle pas mes heures pour garder mon statut, Mélodie Mo, comédienne
Mélodie, qui est comédienne dans la Compagnie Ookaï à Rennes, vient de demander une faveur au propriétaire du logement qu'elle loue. "Il a accepté de m'offrir un mois de loyer, raconte-t-elle. C'est un soulagement parce que, là, franchement, si, d'ici fin septembre, quand je ferai mon dossier de renouvellement pour mes droits d'intermittente, rien ne se passe, je serai à la rue. C'est clair". La jeune femme ne cache pas son désarroi et se demande même si "l'aubaine ne serait pas trop bonne pour ceux qui veulent supprimer notre statut depuis longtemps".
A défaut de spectacle en public, Mélodie propose des lectures confinées en live sur Facebook les samedi et dimanche. "En plus, on ne sait même pas comment ça va se passer après. On a peur que les lieux ne s'en relèvent pas, que les gens n'osent plus venir aux spectacles. Il va y avoir un temps de latence, c'est certain. Jouer avec un masque, on veut bien, mais c'est compliqué !"
"J'essaie de rester optimiste, sourit Julia. Cette chanteuse rennaise de 25 ans a obtenu son statut d'intermittente du spectacle il y a seulement un an. Un statut qu'elle pourrait perdre le 31 mai puisqu'il manquera une centaine d'heures à son compteur. "Cela m'a pris des années pour pouvoir vivre de mon métier. Au début, avant d'obtenir ce statut, je faisais des petits boulots à côté. Pour l'instant, j'essaie de ne pas broyer du noir mais, là, cela remet sérieusement en question mon avenir. J'ai des projets, des répertoires et je vais devoir me battre à nouveau pour continuer". Et d'ajouter : "Nous avons été les premiers à tout arrêter et nous serons les derniers à reprendre. Nous avons besoin d'aide".