Max, Mélodie, Julien et les autres... Ils sont intermittents du spectacle. Nous les avions rencontrés au printemps 2020. Au beau milieu d'une saison sinistrée. 2021 s'annonce plus noire que la précédente. Pas de travail, un compteur d'heures à l'arrêt. "La grande dégringolade" disent-ils
Pour ne pas se laisser abattre - et oublier un agenda désespérément vide -, Max coupe du bois et empile les stères avec une poignée de voisins. Dans sa campagne finistérienne, celui qui, en temps normal, a plus des allures de régisseur de festivals que de bûcheron, "bricole", comme il dit.
Depuis février 2020, une seule date est venue faire vibrer son compteur d'intermittent du spectacle : le concert de Tri Yann à l'Arena de Brest. C'était en septembre. Après, plus rien. Rideau.
"Fins de mois très compliquées"
"Je dois avoir une cinquantaine d'heures au moment où on se parle", indique Max. Autant dire qu'il est loin des 507 heures annuelles dont il a besoin pour renouveler ses droits à l'allocation-chômage et conserver son statut d'intermittent.
L'année blanche, obtenue de haute lutte en mai dernier, risque fort de se transformer en une nouvelle année noire si la culture ne redémarre pas. "Quand cette prolongation de nos droits jusqu'en août 2021 est tombée, on s'est dit qu'on aurait de quoi faire, qu'on y arriverait" note Max. C'était compter sans le deuxième confinement qui a coupé le spectacle dans son élan.
Cela ne m'est jamais arrivé de devoir autant me serrer la ceinture
"Je perds 40 % de mon salaire chaque mois, analyse Max, puisque, d'ordinaire, à cette période de l'année, un équilibre se crée entre mes cachets d'intermittents et mes allocations-chômage. Certaines fins de mois sont très compliquées, qui plus est avec l'emprunt de la maison à rembourser. Tout cela mis bout à bout, ça pèse dans le budget de la famille".
Même s'il "relativise", le régisseur de festivals - il travaille notamment pour les Vieilles Charrues, La Fête du Bruit ou encore Les Petites Folies - songe sérieusement à changer de crémerie. "L'horizon est bien bouché et il n'y a aucune perspective, déplore-t-il. Quand bien même les festivals reprendraient, je ne ferais pas mes 507 heures en deux mois. S'il n'y a pas une seconde prolongation des droits des intermittents, je suis battu". Et d'ajouter, avec un brin d'ironie : "vu tout le bois que j'ai coupé, je sais déjà que je n'aurai pas de souci pour me chauffer l'hiver prochain !".
"On mange des pâtes"
Mélodie, elle, vit aujourd'hui ce qu'elle nomme "une grande dégringolade". Cette comédienne, jongleuse, conteuse, musicienne de Rennes, qui a fondé la Compagnie Ookaï, s'accroche tant bien que mal, avec ce sentiment tenace d'avoir opéré un "gros retour en arrière".
"Je renoue avec la précarité qui a émaillé mes années d'étudiante, constate-t-elle, amère. Sauf que j'ai 38 ans et que ce n'est pas ainsi que j'imaginais ma vie. Surtout qu'en quinze années d'intermittence, j'ai toujours travaillé beaucoup".
Je suis encore dans la révolte mais je suis épuisée. La révolte, c'est bien si on a de quoi manger
Elle et son compagnon, comédien et escrimeur de spectacles, ont diminué leur train de vie. "Non pas que nous roulions sur l'or, que l'on ne se méprenne pas, prévient Mélodie, mais pour payer notre loyer et nos charges, il a bien fallu s'y résoudre. On mange des pâtes, aussi simple que cela. On a rogné sur le budget courses. L'idée même de vivre sous le seuil de pauvreté, je ne peux pas l'envisager".
Dans son agenda : des fêtes médiévales et autres spectacles de rue prévus pour l'été 2021 sont annulés ou reportés, parfois à... 2024 ! "Sans parler du fait que, sur les devis que nous établissons, nous sommes désormais obligés de mentionner qu'en cas d'annulation, nous acceptons de ne pas être payés. Le contrat ne nous protège plus, nous, les indépendants. Les petits festivals n'ont plus d'argent, ils nous demandent si nous voulons bien travailler trois jours et n'être payés que deux. C'est toute la culture qui est en train de se précariser".
"Si l'année blanche n'est pas prolongée, c'est mort"
Mélodie n'a pas le sommeil serein. Ses nuits sont agitées par l'angoisse des lendemains qui ne chantent plus guère. Même chose pour Julien, musicien et co-fondateur du collectif Année noire. 150 heures sur 507 à son compteur.
"Je ne me fais plus d'illusions, soupire-t-il. Même si on reprend les concerts en mai, et ça, c'est dans la version optimiste, on n'aura pas nos heures. Si l'année blanche n'est pas prolongée, c'est mort". En clair : il sortira de l'intermittence et devra repartir à zéro pour reconstruire son statut.
Julien essaie de "rester zen". "Je vais me faire du mal si je ne pense qu'à ça. Surtout que ma femme est infirmière dans un Ehpad, alors le Covid, au-delà de mon métier à l'arrêt, on est en plein dedans".
En diversifiant son activité de musicien entre les spectacles jeune public, le jazz et l'évenementiel, Julien avait laissé la précarité loin derrière lui ces dix dernières années."J'avais un volume de travail qui me rendait serein". Cette sérénité s'est envolée au printemps 2020. Et l'année blanche a ses limites.
"Il aurait fallu tenir compte des ces périodes de confinement, de cette interdiction de travailler pour les artistes et techniciens, estime Ronan Bléjean, secrétaire-adjoint du SBAM-CGT, syndicat de Bretagne des artistes musiciens. Cette année blanche devrait être fluctuante et non pas bloquée au 31 août 2021".
Ceux qui sont sur la brèche, sans structure, sans producteur, s'inquiètent de disparaître