"J'engraisse un monde capitaliste sans limites, c'est aberrant". Ils ont décidé de redonner du sens et de l'éthique à leur travail

Replacer l'éthique au cœur de son métier... cette préoccupation a été renforcée par la pandémie de Covid-19 et interroge de nombreux travailleurs désireux de se sentir en adéquation avec leurs valeurs. Certains passent le cap et font bouger les lignes. Ils nous livrent leurs témoignages. C'est le deuxième volet de notre série consacrée aux métamorphoses du travail.

Alex Roux* a 31 ans. Il travaille depuis 10 ans comme ingénieur informatique. Il a signé son premier CDI sans se poser de questions et a calqué son modèle de vie sur un schéma qu'il connait. C'est-à-dire travailler, économiser, acheter son appartement, créer son foyer, changer de société pour gagner plus et gravir les échelons. Le temps passant, il ressent une désillusion sur sa vie en général, un sentiment de non-épanouissement, de manque de sens et d'éthique dans son travail. "J'adore la technologie, mais l'abstraction de mon métier m'isole. Aujourd'hui, je ne m'efforce plus d'essayer de vulgariser mon activité, cela ne parle à personne" relate l'ingénieur.

"Je conçois le CDI comme une prison et pense que l'argent ne fera pas mon bonheur."

Alex Roux

Il n'a pas envie de se surinvestir. " Je fais le strict nécessaire, mon travail est une sécurité, un confort pour financer des projets qui me passionnent" explique le jeune cadre. Tout ce que je fais à côté, je l'imagine comme une préparation pour un second projet de vie. J'aime rencontrer des gens qui sont inspirants selon mon éthique et mes valeurs, j'œuvre pour construire mon réseau avec ces personnes, c'est un investissement social sur l'avenir" souligne-t-il, souriant.

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Pluridisciplinarité, se préparer pour l'avenir

Cette quête de valeurs l'amène à créer un cadre de travail pluridisciplinaire. En 2020,  est née sa micro-entreprise de prestations audiovisuelles. Il participe au Kino (Mouvement international de création de courts métrages) pour échanger avec des professionnels du cinéma et parfaire ses compétences. Parallèlement, il fait du bénévolat associatif, notamment à "laptiteplanche", un espace convivial offrant des rencontres, du partage, des échanges. Il offre ses talents de bricoleur aux services de chantiers participatifs.

"Par le "faire" avec mes mains, je rentre en contact avec le monde, je sors de ma nébuleuse virtuelle au résultat abstrait, je suis visible et retrouve du sens au travail."

Alex Roux

Ces sources de satisfaction personnelle l'épanouissent." Le savoir-faire manuel intéresse beaucoup de personnes, je partage rapidement des connaissances, c'est simple, fluide, enrichissant et valorisant ", raconte cet homme aux nombreuses casquettes. Le résultat du travail manuel est concret. "La reconnaissance des autres est immédiate. Je me sens utile. Je réfléchis à passer à 80% pour consacrer plus de temps à mes projets" révèle l'informaticien. S’investir dans des actions d’entraide, de solidarité, construit un sentiment éthique de bien-être et permet de mieux s’ouvrir aux autres.

Un monde plus juste et respectueux de chaque humain

Une autre piste le séduit également, il aimerait poursuivre son métier d'ingénieur informatique dans une entreprise libérée où la raison d'être bouscule la dictature du profit. "Aujourd'hui, je travaille pour de grands comptes, génère des profits à outrance qui enrichissent toujours les mêmes, j'engraisse un monde capitaliste sans limites. Entre collègues, nous partageons la stupéfaction de voir des budgets colossaux, des milliers d'euros jetés par la fenêtre pour de la recherche technologie inutile. C'est aberrant. Cela me dérange, je ne visualise plus la société comme cela", déplore Alex Roux. "J'aimerais un travail avec une politique éthique, où il y a un intérêt pour chaque individu" témoigne-t-il. Son idéal serait de trouver une entreprise libérée.

"J'aimerais choisir mes projets, donc mes clients, mes méthodes de travail, décider collégialement des plannings, dépenses, investissements."

Alex Roux

" Le réel intérêt du travail est de construire un monde meilleur selon mes valeurs" expose l'administrateur réseau. La libération d'entreprise est une démarche quasiment philosophique suivie par des patrons du monde entier pour transformer leur organisation en profondeur. Une entreprise sans manager, où la confiance règne entre des salariés complètement autonomes.

Pour Mathilde Lepage, médecin généraliste, pas question non plus de s'imposer des méthodes de travail qu'elle ne juge pas éthiques. 

"Choisir de ne pas travailler à plein temps est un choix de performance dans la qualité des soins."

Mathilde Lepage

"Cette disponibilité permet de se former, de trouver l'énergie pour rouvrir ses bouquins et pratiquer ce que l'on appelle "la bonne médecine". C'est difficile de garder cette auto-discipline lorsque le rythme des consultations est dense et que tout déborde. Moins stressée, j'ai une meilleure qualité d'écoute et de relation" relate Mathilde Lepage. Elle aimerait être médecin toute sa vie parce qu'elle juge son métier utile, mais ne souhaite pas l'exercer à n'importe quel prix.

Être plutôt qu'avoir

Se délester au maximum du superflu et investir dans des choses utiles et respectueuses de ses valeurs est une philosophie de vie qui gagne du terrain en s'étendant à tous les domaines." Je cherche à avoir le moins de choses possibles, à revoir mes besoins essentiels" exprime Alex Roux, l'informaticien. 
Morgane Urvoy, chauffeur-livreur de 50 ans à Saint-Avé, partage aussi cette philosophie.

"Ma priorité, c'est le temps. La liberté est plus importante que le travail, c'est ma philosophie de vie."

Morgane Urvoy

"J'éduque mon fils avec ces valeurs. Ce bien nécessite-t-il une heure ou un mois de travail, combien de temps dois-je consacrer au travail pour ne pas être esclave du système ? La politique menée aujourd'hui est catastrophique, elle me démotive. Je ne veux pas contribuer à donner de l'argent à un gouvernement qui le dilapide. Je sais que je ne récupèrerai pas un meilleur service de santé par exemple" exprime Morgane Urvoy.

Le strict nécessaire, c'est également l'art de vie de Sandrine Gilbert, documentaliste à Rennes, qui pour la première fois de sa vie a refusé un poste CDI pour entamer une formation qui lui tenait à cœur depuis longtemps. "C'est beaucoup moins confortable financièrement, parfois vertigineux et angoissant, mais je me sens à la bonne place. J'ai la sensation de profiter mieux de la vie. Je me rends compte que beaucoup d'achats sont inutiles et que dépenser beaucoup ne me rend pas forcément plus heureuse. J'ai fait le choix d'un mode de vie plus minimale et plus éthique" relate Sandrine Gilbert.

"C'est un peu comme un régime, on arrête le sucre et au bout d'un moment, on n'en a plus envie, avec la dépense, c'est un peu pareil. Je me sens sevrée."

Sandrine Gilbert

Mathilde Lepage, médecin généraliste, vit également avec ces valeurs de sobriété.

 "Je suis contente d'avoir fait le choix du slow travail pour quitter un modèle bourgeois qui me tendait les bras, c'est facile de s'endetter pour 20 ans, d'avoir une grosse voiture, mais est-ce utile ? " s'interroge-t-elle.

Mettre en œuvre une démarche éthique dans sa vie, apporte de l'efficience au travail, améliore le dialogue social, donne une image positive de soi-même. Être en accord avec ses valeurs, une stratégie qui a tout à gagner.

Suite de notre série dimanche prochain...

Alex Roux* : ce nom a été modifié

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