Besoin de faire une pause dans sa carrière, se recentrer sur l'essentiel, trouver des modes de vie alternatifs... de plus en plus de personnes cherchent un nouveau rapport au travail, plus épanouissant et plus en accord avec leurs valeurs. Certains nous ont livré leurs témoignages. C'est le premier volet de notre série consacrée aux métamorphoses du travail.
Âgés de 30 ans, Lisa Stéphan* et son compagnon rêvaient d'une longue pause. Leurs meilleurs amis ainsi que le manager de Lisa revenaient d'une césure. Elle en profite alors pour faire une demande de congés sabbatique. Le moment leur semble propice, ils n'ont pas encore d'enfants et la chance d'avoir quelques économies. Elle a anticipé d'une année sa demande avec sa hiérarchie afin de préparer son remplacement ainsi que son retour. De son côté, son conjoint, lui, a pris un congé sans solde.
"Nous considérons que nous n'avons pas à attendre la retraite pour faire un gros break et partir à la découverte du monde."
Lisa Stéphan*
"Cela nous paraît normal de faire des pauses pendant notre vie active, de s'offrir des moments pour prendre du recul. La vie ce n'est pas que le travail, il y a plein d'autres centres d'intérêts. Faire ce pas de recul, c'est être en connexion avec soi-même, avec son conjoint, avec le reste du monde et la planète. C'est l'inverse d'être autocentré sur sa petite vie" souligne Lisa Stéphan.
S'offrir un temps de questionnement, d'introspection
Au fil de ce long voyage, le temps se distend. Sortis du rythme de leur vie trépidante, ils perçoivent le monde différemment et questionnent leur vie, leur façon d'habiter le monde. "Ce qui a beaucoup changé avec ce voyage, c'est que nous sommes revenus avec des convictions écologiques beaucoup plus marquées" révèle Lisa Stéphan. De la Cordillère des Andes à Ushuaïa en passant par Carthagène, le tourisme de masse et sa pollution associée les choquent.
Voyager, un parcours d'éducation, de formation
Deux expériences en woofing enrichissent leur voyage. En Colombie, le couple s'engage dans une association qui vise à améliorer le tri. Ils sensibilisent par du porte-à-porte les habitants d'un village aux gestes du tri et en contrepartie reçoivent des cours d'anglais et de yoga. Au Chili, leur expérience consiste à construire pour le tourisme des dômes en bois d'où l'on peut voir les cieux étoilés. "Le woofing, ce sont les moments du voyage les plus marquants" raconte notre voyageuse.
"Ces moments sont vrais. Nous passons du temps avec des gens qui font souvent des choses exceptionnelles et découvrons avec plaisir d'autres cultures."
Lisa Stéphan
"Nous rentrons dans la sphère privée des gens et comprenons vraiment comment ils vivent. Cela rend le voyage plus profond et vient remettre en cause notre façon de voyager. Nous ne reprendrons l'avion que pour des raisons très importantes" souligne Lisa Stéphan.
Ajouter ses convictions écologiques dans son travail
Acheteuse packaging chez un des leaders mondiaux de l'agroalimentaire, Lisa Stéphan passe ses entretiens à l'étranger pour prendre à son retour un nouveau poste sur un chemin plus vert. Elle entre dans un premier temps dans une équipe d'innovation puis se reconvertit en agroécologie. Elle accompagne aujourd'hui des agriculteurs pour mettre en place de nouvelles pratiques dans leurs exploitations. Son compagnon change, lui aussi, de poste. Il reste toujours dans le BTP mais se dirige vers un emploi dans la rénovation énergétique des bâtiments publics.
"Nous trouvons aujourd'hui beaucoup plus de sens au travail. Nous sommes plus en adéquation avec nos valeurs, nos convictions."
Lisa Stéphan
"Maintenant, au lieu de négocier nos salaires, nous négocions du temps. Nous cherchons un savant, mélange de sens au travail et d'équilibre pro perso. Et le perso doit l'emporter sur le pro" exprime-t-elle dans un large sourire.
Le couple s'engage dans des associations qui éduquent et sensibilisent à la compréhension des enjeux climatiques. "Nous essayons de motiver les autres à réduire. Aujourd'hui, dans notre vie, le perso et le pro se répondent, il n'y a plus de dissonance.", expose Lisa Stéphan.
"Je me sens mieux, je peux travailler sur mes préoccupations environnementales dans mon job, comme dans ma vie perso."
Lisa Stéphan
"C'est très important pour moi de me dire que dans la journée, je peux essayer de faire des petites choses pour que le monde avance dans le bon sens" rapporte la globe-trotteuse d'origine rennaise.
Faire des saisons, voyager en travaillant
Pierre Saulière opte, lui, pour les saisons, une autre façon de concevoir le travail tout en parcourant le monde. À 25 ans, il est chef de rang dans la restauration. Il a quitté un CDI et pratique des CDD de saisons depuis trois ans. "Je me sens libre, je ne me vois plus enfermé avec un CDI au même endroit, avec les mêmes collègues, les mêmes habitudes et cinq semaines de congés" explique-t-il.
"Avec les saisons, je peux voyager en travaillant sans avoir un sentiment de lassitude. Il me faut toujours du plaisir, de la nouveauté dans le travail."
Pierre Saulière
Deux saisons de quatre mois rythment son année. Il privilégie ses emplois à la montagne l'hiver et au bord de mer l'été. "Le voyage me construit, m'ouvre les yeux, c'est intéressant d'aller se confronter à l'autre pour mieux se comprendre" déclare Pierre Saulière. Il ne considère pas sa voie toute tracée et réfléchit à l'idée de switcher de métier.
Les saisons, un concentré du travail et de repos
Ses périodes de travail sont intenses. " L'été dernier, en deux mois, j'ai fait l'équivalent de quatre mois à temps complet, j'aime être à fond dans le travail et me dégager de longues plages de temps libre pour m'épanouir, voyager, voir mes amis, ma famille. J'ai l'impression ainsi d'avoir moins de contraintes" explique-t-il.
"L'hiver, je retourne souvent chez le même employeur à la montagne. C'est une sorte de CDI d'intérim."
Pierre Saulière
Il pratique également des courts contrats pour élargir ses expériences et découvrir de nouvelles destinations.
Les saisons, une solution financière
Sa situation ne lui semble pas précaire, bien au contraire." Je trouve facilement un emploi avec lequel je suis nourri et logé, la pénurie de personnel étant très élevée. En saison, je n'ai pas le temps de dépenser mon argent et arrive à économiser. En CDI, les charges, loyer, etc. et les tentations de sorties venaient à bout de mon salaire. J'arrive enfin à me projeter pour acheter un appartement" raconte-t-il.
"Les saisons, c'est le meilleur moyen pour arriver à ses fins."
Pierre Saulière
Voyager, une fuite en avant pour réfléchir
Pour Mathilde et Antoine, le voyage c'est la solution choisie pour se sentir libre. Ils ne veulent pas s'installer et retomber dans un mode de vie enfermant, trop pressurisant. À 28 ans, ils viennent de terminer leurs études de médecine. Ils décident d'entreprendre un tour de France. Un périple en réaction à leur fin d'internat pendant lequel ils travaillaient souvent 80 heures par semaine, un rapport au travail qu'ils n'envisagent pas pour leur vie future.
"Le choix de ce tour de France nous a permis de démarrer en douceur et nous a protégés d'un burn-out" raconte Mathilde Lepage. Ce voyage leur donne du temps, de l'espace pour réfléchir et partir à la découverte de nombreuses façons de travailler. "L'idée de bouger était de rendre service ponctuellement, de s'autoriser à être fiable dans une durée déterminée " raconte le médecin.
"Rester sur la durée est pour l'instant une responsabilité trop lourde pour moi."
Matilde Lepage
" Notre expérience est positive, nous avons rencontré des gens super, visité la France et rendus de vrais services. Nous n'avions pas de train-train, une adaptabilité importante à un instant T puis un recadrage par la suite à une situation qui nous plaisait mieux. En travaillant dans des zones géographiques différentes, ville, littoral, campagne, nous nous sommes rendus compte de la sous densité médicale, de la difficulté de la population rurale qui a du mal à se soigner" explique le médecin.
"Ce voyage est un chemin nécessaire pour absorber toute la dimension sociale et empathique de la médecine."
Mathilde Lepage
" À mon retour de voyage, pour bien faire mon travail, je n'envisage pas de travailler à plein temps. Je me sens privilégiée, car j'en ai les moyens, mais c'est un choix difficile à assumer dans une société qui manque de médecins et où le travail est surcoté. Il faut que je trouve un rythme de croisière épanouissant qui ne me donne pas envie de tout plaquer."explique-t-elle.
Tester cette vie en itinérance lui a permis de mettre en perspective des méthodes et la place qu'elle souhaite accorder à son travail dans sa vie.
Prendre du temps libre ou se déconnecter est essentiel pour réussir, en l’occurrence pour réussir à trouver sa place, du plaisir, du sens dans le monde du travail.
Suite de notre série dimanche prochain...
Lisa Stéphan* : ce nom a été modifié