En 1952, la mort de 82 bébés, en majorité bretons, suscite la stupeur et les interrogations du pays. Aujourd'hui, la chercheuse Annick Le Douget réhabilite ces victimes tombées dans l'oubli.
Le verdict a été sans appel. Sept ans après les faits, en 1959, Jacques Cazenave, le fabricant de la poudre, a été condamné à 18 mois de prison avec sursis. Certaines familles de victimes, qui s'étaient portées parties civiles, ont reçu quelques centaines de milliers de francs anciens de dommages et intérêts. Malgré l'indignation et l'incompréhension générales, l'affaire est vite tombée dans l'oubli.
De l'arsenic dans le talc
Pourtant, la cause de la mort des 82 bébés a de quoi effrayer. "De l'arsenic est versé en lieu et place d'oxyde de zinc dans la préparation de talc destinée à des enfants", détaille la chercheuse Annick Le Douget. Un acte non intentionnel, mais qui aurait pu être évité si les précautions qu'imposaient la loi avaient été prises. "Dans son entrepôt, le fournisseur du laboratoire plaçait côte à côte des produits dangereux et des produits inoffensifs", analyse Annick Le Douget. Toutefois, le laboratoire n'est pas hors de cause, car "le responsable, Jacques Cazenave, était négligent et n'a pas fait les analyses d'entrée et de sortie du laboratoire", analyse la chercheuse.Cette poudre était censée soigner l'érythème fessier des bébés, inflammation cutanée qui donne un aspect rouge à la peau. L'arsenic qu'il contenait n'a fait qu'empirer la situation, poussant certains parents, ignorant la dangerosité du produit, à renforcer le traitement.
De nombreuses victimes
"Ce talc-là était parfumé à la lavande. C'était un produit nouveau, dans l'après-guerre, qui plaisait beaucoup aux mamans. Cela explique le succès de ce produit". Au total, quelque 2 000 boîtes de prétendu talc ont été achetées. La Bretagne a été la région la plus touchée par ce drame. Pont-l'Abbé, Penmarc'h, Pont-Aven : certaines zones du Finistère ont été particulièrement affectées, car la région se situait "sur les trajets du représentant du laboratoire." Le Morbihan a connu de nombreuses victimes, notamment à Hennebont et à Languidic.Annick Le Douget a reçu de nombreux témoignages. Parmi ceux qui l'ont le plus marquée, celui de Marianne, du Morbihan. "Cette femme avait utilisé le talc pour un bébé qui en est décédé. Ignorant que ce produit était la cause du décès de l'enfant, elle a réutilisé la même boîte pour son autre bébé", relate la chercheuse. Par chance, le second bébé a seulement été blessé.
Jacques Cazenave, le fabricant irresponsable
Quand le laboratoire a appris que des procès allaient se tenir, "des démarcheurs ont été envoyés pour offrir de l'argent aux victimes. On leur demandait, en contrepartie, de signer des papiers indiquant qu'elles arrêteraient leurs poursuites", s'insurge Annick Le Douget.Dans son ouvrage, l'auteure pointe la responsabilité du fabricant, mais également "l'inertie" de l'État : "Ont-ils cherché à étouffer l’affaire ? Comment expliquer cette durée anormalement longue de l’instruction [sept ans après la révélation des faits] ?" s'interroge l'historienne. "Il y a eu un manque d'aide autour des victimes livrées à elles-mêmes pendant toutes ces années. Le ministère de la Santé a voulu, selon moi, étouffer l'affaire en en minimisant l'importance", note-t-elle.
Selon Annick Le Douget, les erreurs du passé n'ont servi de leçon que de manière ponctuelle. "À la suite de ce scandale, on a augmenté le nombre d'inspecteurs de pharmacie, et de nouveaux textes législatifs sont apparus". Cependant "il y a encore de nombreux scandales aujourd'hui", conclut-elle.
En 1952, la mort de 82 bébés, en majorité bretons, suscite la stupeur et les interrogations du pays. Aujourd'hui, la chercheuse Annick Le Douget réhabilite ces victimes tombées dans l'oubli.
Reportage : C. Tregouet et S. Soviller.
Interview : Annick Le Douget, auteure de "L'enquête sur le scandale de la poudre Baumol".
Le Douget (Annick), Enquête sur le scandale de la poudre Baumol, éd. Le Douget, Fouesnant, 2015.