La cour administrative d'appel a réexaminé ce vendredi 24 septembre 2021 les recours qui avaient été déposés par plusieurs habitants aisés du secteur des Essarts, à Saint-Briac-sur-Mer (Ille-et-Vilaine), contre le passage des promeneurs à proximité de leurs propriétés. Le rapporteur public a préconisé le rejet.
Ce quatrième procès est l'ultime épisode d'un "contentieux important" qui dure depuis près de quarante ans, a rappelé le rapporteur public : le tracé litigieux longe de belles propriétés, comme celle de la famille de l'ancien candidat démocrate à la Maison Blanche John Kerry et de l'ancien ministre français de l'Environnement Brice Lalonde.
Les riverains avaient obtenu en partie gain de cause en juin 2019 devant la même cour administrative d'appel, mais le Conseil d'Etat avait annulé ses arrêts en juin 2020 et l'avait sommée de revoir sa position à la lumière de son analyse.
A l'époque, les magistrats nantais avaient estimé qu'il existait bel et bien des "risques d'effondrement" de la falaise entre l'extrémité Ouest de la plage de la grande Salinette et l'extrémité Est de la plage de la petite Salinette, et entre l'extrémité ouest de la plage de la Petite Salinette et celle du Perron.
Peut-être un "doute" sur une propriété
"L'étude produite par les requérants (...) indique que "le passage sur ce chemin présente à plusieurs endroits un risque réel pour les promeneurs"", constatait la cour administrative d'appel. "De plus, le passage répété de nombreux promeneurs risque d'accroître et d'accélérer les phénomènes d'éboulement par érosion du sol et mobilisation des blocs instables."
Mais ce vendredi, le rapporteur public a cette fois-ci préconisé à la juridiction de rejeter les recours initiaux des propriétaires contre l'arrêté préfectoral litigieux du 4 février 2015.
Le magistrat a seulement concédé que ses collègues pourront "avoir un doute" sur la légalité de cette "servitude de marchepied" le long de la propriété de la société civile immobilière (SCI) Les Mouettes du Bois Marin, détenue par Jean Perrette, un Français de 90 ans, et Virginia Moore-Schott, une Américaine de 84 ans : le préfet n'a "pas justifié" le passage du tracé sur une "petite partie" de leur propriété "à moins de quinze mètres" de leur maison.
Pour le reste, de "nombreux documents graphiques" ont permis au commissaire-enquêteur d'avoir une "configuration exacte" des lieux. "L'ensemble des informations nécessaires était disponible", considère le rapporteur public.
Cet été, on a déjà eu un mort sur ce chemin
Me Pinatel
Le fait que le commissaire-enquêteur ait procédé à une visite sur place sans convoquer l'ensemble de la famille De Labrusse est sans incidence sur la légalité de l'arrêté préfectoral de 2015, a-t-il ajouté. Cette famille ne peut en effet s'en prendre qu'à sa "propre négligence" dans la mesure où elle "n'a pas fait les formalités de publicité foncière" pour faire connaître une procédure de donation-partage signée entre ses membres en décembre 2010, a estimé le rapporteur public.
Enfin, il n'a rien trouvé à redire au passage des piétons le long de la piscine "construite sans autorisation d'urbanisme" par Ludovic Fraikin, un autre habitant du secteur.
L'avocat de ce dernier, Me François Pinatel, a malgré tout insisté sur la "dangerosité" de ce chemin de "95 cm" de large et appelé les juges nantais à faire "application du principe de précaution". "Cet été on a déjà eu un mort sur ce chemin", leur a-t-il dit, en allusion à la chute mortelle d'un vacancier dans la nuit du 15 au 16 août 2021 du haut des falaises.
Dans son rapport, le commissaire-enquêteur avait lui-même recommandé qu'une "expertise géologique et pédologique" de la falaise soit réalisée afin d'éviter "des dommages collatéraux pour les propriétés, la sécurité et l'environnement".
vous débarquez dans l'intimité des gens
Me Pinatel
"Quand vous débarquez dans la propriété de M. Fraikin, vous avez un choc : vous débarquez dans l'intimité des gens", a aussi souligné Me François Pinatel à l'attention des juges nantais. "L'atteinte à sa propriété est énorme : on y fait défiler des gens à la queue-leu-leu, comme dans un zoo." Me Myrième Oueslati, l'avocate des autres propriétaires concernés, n'a pour sa part pas fait d'autres commentaires que ceux déjà mentionnés dans ses mémoires écrits.
"Je suis un peu étonnée de ce genre de propos", a réagi quant à elle l'avocate de l'Association Dinard Côte d'Emeraude Environnement (Adicée), des Amis des chemins de ronde d'Ille-et-Vilaine et du Cercle des Amis de Saint-Briac et de la Côte d'Emeraude, parties prenantes à la procédure. "Est-ce que cela veut dire que, quand on a les moyens de se faire construire une piscine sans autorisation, les promeneurs n'auraient plus accès à la plage ? C'est totalement contraire à l'esprit de la loi."
"Moi, je ne vois pas le problème : cet été, comme les gens sont restés en Bretagne, la fréquentation a été énorme et cela n'a pas posé de souci... Ce chemin est ouvert et doit rester ouvert", a-t-elle conclu.
"Cela fait quarante ans que nous faisons face, dans ce dossier, à des procédures incessantes", avait rappelé lors d'une précédente audience Patrice Petitjean, le président des Amis des chemins de ronde d'Ille-et-Vilaine. "Mais, depuis l'ouverture de la servitude de passage, les retours des promeneurs sont enthousiastes, les craintes apocalyptiques des riverains ne se sont pas réalisées." La cour administrative d'appel de Nantes, qui a mis sa décision en délibéré, rendra ses arrêts dans les prochaines semaines