Des dômes verts surgissent, de loin en loin, dans la campagne française. Ce sont des unités de méthanisation. Elles font partie intégrante de fermes, et digèrent le lisier, le fumier, et certaines cultures pour en extraire du biogaz. Une pratique a priori vertueuse, mais qui n'est pas sans risque pour les exploitations agricoles.
Des dômes de 6 mètres de haut surgissent depuis plusieurs années dans la campagne française, et changent le visage de certaines fermes. Voire, le métier de certains agriculteurs. Ils digèrent de la matière organique - lisier, fumier, cultures - en gaz. La méthanisation fait partie du "cocktail énergétique" permettant d'accroître la production d'énergie renouvelable.
Gert Jan de Groot, éleveur bovin à Congrier, en Mayenne, est un convaincu des bienfaits de la méthanisation. Avec sept autres éleveurs, il alimente chaque jour ce méthaniseur avec 84 tonnes d'un précieux mélange : des restes de végétaux, d'urine et de bouse, un déchet transformé en méthane et une aubaine pour cet exploitant : "Avant, on stockait le fumier dans des bouts de champ et ce gaz partait dans l'air. Aujourd'hui, on récupère le gaz. C'est une démarche écologique", affirme-t-il.
10.000 euros d'économies sur la facture d'engrais
Une démarche financière également puisque le digestat, déchet de la méthanisation, est réutilisé pour fertiliser les sols. Il économise ainsi 10 000 euros par an sur sa facture d'engrais, sans compter qu'il peut revendre le méthane. Gert Jan de Groot produit 1 200 000 m3 de gaz qui alimentent 1200 foyers.
Pour Adeline Haumont, chargée de mission biogaz à l'agence locale de l'énergie et du climat des Pays de la Loire, "quand on produit du gaz vert, on produit du gaz à partir d'énergie renouvelable et surtout on arrête de consommer du gaz fossile qui émet beaucoup de CO2. On divise par 4 en moyenne ces émissions de gaz à effet de serre", explique-t-elle.
Certes, c'est un gaz qui est produit à partir de matière organique mais il n'a rien de bio. Au contraire, il s'appuie sur les élevages les plus dépendants des énergies fossiles et d'ailleurs le bilan général, énergétique et carbone, de la méthanisation, on le questionne fortement.
Arnaud Clugeryporte-parole de l'association Eau et rivières de Bretagne
Cependant, la méthanisation reste une technologie récente, fragile, et parfois dangereuse. En Bretagne, sur les 186 méthaniseurs en service, 18 accidents ont été recensés depuis 2021 : des incendies comme à Saint-Gilles-du-Méné, dans les Côtes d'Armor en 2019. 10 000 litres d'acide sulfurique stockés dans le bâtiment avaient fait craindre une explosion.
Risques de pollution
Autre risque : la pollution. Le 17 août 2020, à Châteaulin dans le Finistère, 400 m3 de digestat s'étaient échappés de la centrale biogaz, polluant l'Aulne, la deuxième plus grande rivière de Bretagne. Près de 200.000 personnes avaient alors été privées d'eau potable. Pour Arnaud Clugery, porte-parole de l'association Eau et rivières de Bretagne, "Châteaulin n'est pas un cas exceptionnel. En fait, dès lors qu'on stocke sur un lieu une grande quantité de matière organique, on fait peser un risque sur l'environnement alentour".
Arnaud Clugery dénonce depuis des années les dérives d'un système présenté comme vertueux mais qui utilise l'agriculture tel un outil au service de la production gazière : "Certes, c'est un gaz qui est produit à partir de matière organique mais il n'a rien de bio. Au contraire, il s'appuie sur les élevages les plus dépendants des énergies fossiles et d'ailleurs le bilan général, énergétique et carbone, de la méthanisation, nous on le questionne fortement", conclut-il.
L'Allemagne, pionnière de la méthanisation, se pose les mêmes questions. Depuis 2014, le gouvernement freine ses investissements dans ce procédé pourtant plébiscité par les agriculteurs pour sa rentabilité. Un enjeu majeur pour conserver des terres cultivables et continuer à nourrir la population.
(Avec C. Wormser et T. Paga)