Le rythme actuel des disparitions de fermes pose question. En allant à la rencontre d'agriculteurs bretons, le documentaire "Le dernier des laitiers" interroge sur les rouages politiques et économiques qui conduisent à un futur inquiétant. Alors que le salon de l'agriculture ouvre ses portes à Paris, c'est un film à voir.
Et si en 2050, il ne restait plus en Bretagne qu’une poignée de producteurs de lait à la tête de dizaines de milliers de vaches enfermées avec des robots ? C'est en tout cas, c'est ce que craignent beaucoup de producteurs. Si la législation poussait à une époque les producteurs à la limitation de la production, elle tend aujourd'hui à son contraire. Des directives politiques et économiques qui divisent les producteurs de lait.
"Le dernier des laitiers" de Mathurin Peschet
Une coproduction .Mille et Une. Films et France Télévisions
Une législation agricole européenne mouvementée
En 1962, l'Union Européenne (UE) instaure la politique agricole commune (PAC). Le modèle de la petite ferme d'antan tournée vers l'auto-suffisance a vécu. Désormais, l'objectif est d'augmenter la production tout en faisant baisser les prix.
À la suite de l'instauration de cette PAC, apparaît dans les années 70 une crise de surproduction laitière. En réponse à cette production laitière trop importante, l'UE établit en 1984 des quotas de production de lait.
En 2009, c'est l'annonce de la fin des quotas, qui ont été supprimés par paliers, jusqu'à cesser le 1er avril 2015. Le prix du lait n'a pas augmenté à ce moment-là, il s'est effondré.
Si la grande distribution s'est récemment dite prête à changer pour passer d'un prix prédateur à un prix rémunérateur pour les laitiers, ces promesses semblent tarder à se concrétiser
Mathurin PeschetRéalisateur
Des producteurs forcés de produire davantage, les petites structures doivent investir
Forcés de produire davantage, les petites structures doivent investir dans du personnel, dans du bétail ou encore dans l'exploitation. Tant d'investissements qui font baisser les rendements financiers, le prix du lait n'augmentant pas en conséquence, au contraire.
Laiteries coopératives ou privées, le secteur est au centre du malaise agricole. Il est très difficile de briser la loi du silence sur les conditions de travail, aussi bien physiques que financières, qui règnent dans le milieu.
" Nous ne sommes pas maîtres du prix auquel nous vendons nos produits. On nous l'impose. On est en bas de la chaîne et on trinque pour tous ceux qui font leur business en haut.", témoigne l'un d'entre eux.
Des investissements, qui sans capital, s'avèrent souvent inabordables pour les petits producteurs, si bien que certains sont contraints de mettre la clef sous la porte. C'est le cas de Jean-François. Il raconte avec beaucoup d'émotion son départ. La cause : des exploitations inadaptées malgré beaucoup de travail. Désemparé, il témoigne "J'ai vraiment fait ce que j'ai pu".
Au-delà de l'aspect financier, bon nombre de ces agriculteurs déplorent, un manque d'humanité et des quantités de travail démesurées. Myriam et Ronan ont choisi d'arrêter début 2019, déplorant un manque de sens.
Je ne me sentais pas du tout de continuer avec un système intensif. Je ne donnais plus de sens au boulot.
MyriamAgricultrice
Des laitiers pro-mondialisation, parfois malgré eux
Tous les producteurs de lait sont sous contrats avec des laiteries qui sont soit coopératives, soit privées. Leurs investissements ne sont pas liés à l'aspect coopératif. Par contre, les laiteries peuvent les pousser à produire plus et à investir.
Jean-Paul Prigent est administrateur Sodiaal pour la Bretagne et producteur de lait. Toutefois, cela peut se faire aux dépens du bien-être animal. Au sein de sa ferme, les vaches restent à l'intérieur 24h/24, pendant 10 mois. Un choix qu'il décrit comme "un choix de résilience face à ce choix économique et politique de la PAC. Une forme de volatilité du prix." Le choix de Jean-Paul de mettre ses vaches en bâtiments est lié aussi à ses terres qui sont très éclatées et distantes de la ferme.
On n'est plus français, on est européen voire mondial
Jean-Paul PrigentAgriculteur laitier breton
L'émergence de producteurs biologiques
D'autres agriculteurs font le choix de la durabilité. Christian, proche de la retraire, fait ses premiers pas en agriculture biologique. Les échanges mondiaux se font rares en production laitière bio.
Selon Christophe, " partir en laissant un système en grosse difficulté ne me paraissait pas être une attitude responsable. Je pense qu'on est arrivé à un seuil. On doit faire un quart de tour pour rétablir la rentabilité pour les jeunes. Si le métier est exploiteur pour les jeunes, on peut craindre le scénario le plus catastrophique."
Si certains se tournent vers un mode de production durable, cela reste assez marginal, car contraignant par certains aspects. En effet, encore faut-il avoir les conditions qui le permettent. Le lait bio ne représente que 5% de la production du Finistère.
Pierre et Aurélie, quant à eux, ont choisi de diversifier leur production pour s'assurer des revenus décents et un mode de production "éthique". Ils élèvent maintenant des vaches, mais aussi, des poules et des porcs bio. Ils ont choisi comme laiterie BIOLAIT, collecteur privé, qui alimente notamment le réseau biocoop. L'idée pour ce couple, c'est d'élever plus longtemps, des vaches en meilleure santé. "Contrairement à ce que l'on peut entendre, plus on augmente le volume, plus on crée des charges. En agriculture, l'argent le plus facile à gagner, c'est celui que tu ne dépenseras pas."
► "Le dernier des laitiers", un film de Mathurin Peschet. À voir le jeudi 23 février à 22h50 sur France 3 Normandie.
Et quand vous voulez, sur notre site internet, pendant un mois.