Il est au cœur de l'actualité depuis deux mois : le masque a-t-il une chance, dans sa version tissu du moins, de devenir accessoire de mode ? Nous avons posé la question à des créateurs et des acteurs bretons de la confection textile.
Le célèbre brodeur et styliste Pascal Jaouen est enthousiaste. Dans la boutique de son école de broderie quimpéroise, les masques partent comme des petits pains. La plupart sont de facture plutôt classique, car il faut en produire 250 par semaine. Mais on y trouve aussi des modèles brodés, marque de fabrique de l'école.Le masque ? Oui, ça m'inspire !
"Les masques sont fabriqués selon les recommandations de l'AFNOR (NDLR: Association française de normalisation). Il y a donc trois épaisseurs de tissus dans des matières qui sont protectrices. J'en ai rajouté une quatrième, qui est uniquement d'apparat, et sur laquelle on peut broder, explique Pascal Jaouen. J'ai quand même trouvé deux techniques de points pour perforer le moins possible le tissu."
Joyeux et beau
De là à imaginer que le masque s'installe durablement dans notre garde-robe, il y a un pas que le couturier quimpérois ne franchit pas :
"Le masque, ça fait quand même peur. Plus vite il disparaîtra de notre quotidien, mieux ce sera ! Mais en attendant, puisqu'il faut le porter, autant qu'il soit joyeux et beau."
Et aux couleurs de la Bretagne ! pourrait rajouter Solène Le Vot. Cette créatrice de Saint-Martin-des-Champs, dans le Finistère, a rapidement proposé un modèle orné de l'hermine et du triskell : sur son site, le produit est signalé comme "épuisé".
"Depuis fin mars je travaille 7 jours sur 7, précise-t-elle, et j'arrive à en fabriquer 50 à 60 par jour, mais il me reste encore une commande de 700 unités à honorer. Donc pour l'instant je ne prends pas de nouvelles commandes. J'ai des demandes qui viennent de partout en France, et même de Belgique et d'Outremer !"Je suis toute seule pour fabriquer ces masques
Anxiogène
Mais il y a aussi les créateurs que le masque n'inspire pas, pour ne pas dire qu'il les rebute.
C'est le cas de Mathias Ouvrard. Il se définit comme un artiste plasticien spécialisé dans la broderie :
"C'est un objet qui a un côté anxiogène, ça me bloque. Et d'une certaine manière, le côté marketing, ça me met mal à l'aise. En faire un accessoire de mode, c'est perdre de vue sa fonction sanitaire, c'est oublier qu'il s'agit de quelque chose de sérieux. En plus, faire du business sur un masque qui ne sera peut-être pas efficace, ça me gêne", explique-t-il, tout en se réservant le droit de changer d'avis : "Si le masque s'installe dans le vestiaire français, peut-être qu'il faudra que je m'y mette..."
Une "prothèse métamorphique"
Rachel Le Gall est modiste, et se passionne donc pour tout ce qui habille les têtes. Elle aussi a commencé par faire "un gros blocage" sur le masque. Elle l'a d'abord perçu comme très négatif : "C'est un objet qui couvre la bouche, qui empêche de parler !" Inconcevable de trouver cela coquet...
Il y a d'abord eu la pression des copains et copines, qui lui en réclamaient avec insistance. Et puis, elle a fini par se dire qu'elle pouvait le transformer en objet militant : "Avec mes chapeaux, je redessine en quelque sorte les visages. Le masque peut redéfinir le bas du visage : c'est comme ça que j'ai décidé de l'aborder, comme une prothèse métamorphique. Par exemple, on peut y rajouter le sourire que l'on ne voit plus. Ou un message, drôle, poétique ou militant, de manière à rendre à cette partie du visage sa fonction qui est de communiquer, de s'exprimer. Pour que j'accepte d'en fabriquer, il faut que ça ait du sens..."
Masque et logo
Le masque ne fait pas non plus rêver Jérôme Permingeat, directeur général de l'entreprise Le Minor, à Guidel. S'il a accepté d'en fabriquer, c'est uniquement parce que la demande est très forte, surtout de la part des institutionnels locaux. "On recevait un appel toutes les quatre minutes, pour nous demander si nous en fabriquions", se rappelle Jérôme Permingeat.
Le Minor est spécialisé dans le vêtement d'inspiration marine, notamment la traditionnelle marinière bretonne. Malgré la crise du Covid-19, ses carnets de commande ne désemplissent pas, surtout en Asie.
La fabrication de masques en tissu représente alors un surcroît d'activité auquel l'entreprise n'aurait pas pu faire face si elle ne s'était pas associée à Guy Cotten, le célèbre fabricant de vêtements de marins, à Trégunc.
"Nous avions le tissu en stock, mais pas les capacités de découpe, explique Jérôme Permingeat. Chez Guy Cotten, il les avaient. On leur fournit donc le tissu, eux le découpent, et ensuite, dans chacune des deux usines, il y a une unité d'assemblage."
Les deux usines ont une capacité de production de 2000 unités par jour, réservées aux clients institutionnels. Ici, pas question de personnalisation des masques : ils sont réalisés dans des tissus qui étaient disponibles en stock, et qui ont obtenu une homologation selon des critères très stricts (voir encadré). Pour faire homologuer un nouveau tissu, il faudrait recommencer tout le processus. "Il y a des clients qui nous ont demandé de rajouter leur logo en sérigraphie sur le masque, s'amuse Jérôme Permingeat. Il a fallu leur expliquer que du point de vue de la respirabilité, c'était impossible. D'autres voulaient leur logo sur un cordon tout autour du masque : mais là, ce n'étaient plus les mêmes coûts de fabrication..."
Un masque pour la bonne cause
Le club de football En Avant Guingamp a sans doute été l'un des premiers à dégainer en proposant à la vente des masques aux couleurs du club. L'opération a connu un gros succès. La distribution des quelque 8000 masques commandés en ligne commencera demain au stade du Roudourou. Pour chaque pack de deux masques achetés, deux euros seront reversés à l'EHPAD de Guingamp.
Les masques ont-ils un avenir dans la confection textile ? Parmi les personnes que nous avons interrogées, peu en sont convaincues. Mais presque toutes se tiennent prêtes, au cas où...
Préconisations AFNOR ou bien normes AFNOR ?
Difficile de s'y retrouver, dans les masques en tissu : depuis la mi-mars, quand des centaines de milliers de couturières bénévoles se sont mobilisées pour équiper les Français, les normes n'ont cessé de changer, et sont aujourd'hui extrêmement tatillonnes.1 / Les particuliers, les artisans, les auto entrepreneurs ne peuvent fabriquer que des "masques barrières", dont les caractéristiques sont définies par l'AFNOR (Association française de normalisation) dans un volumineux guide pratique : Je fais mon masque barrière.
Ces masques peuvent se targuer de respecter les préconisations AFNOR, mais aucune homologation ne vient le prouver. C'est ainsi que sur son site, l'En Avant Guigamp est très clair dans sa mise en garde sur les masques qu'il a fait fabriquer à ses couleurs : "Les masques fournis par l’EAG ne sont pas conformes aux normes européennes EN14683, EN149, une procédure de demande de normalisation AFNOR a été engagée auprès de l'APAVE. Ils ne sont pas homologués par les autorités sanitaires et les organismes notifiés et ne remplacent pas les masques chirurgicaux".
2 / Les industriels, qui ont eux les moyens de payer les coûts liés à la réalisation de tests, peuvent apposer un logo "filtration garantie" catégorie 1 ou 2.
- La catégorie 1 garantit une filtration comprise entre 90 et 95 % des particules de 3 microns.
- La catégorie 2 ne garantit qu'une filtration comprise entre 70 et 90 %.
ATTENTION
Sur les réseaux sociaux circule une information selon laquelle il faut souffler sur une flamme à travers un masque pour vérifier son efficacité : si la flamme vacille, c'est que le masque n'est pas conforme. Ce test n'a aucun fondement scientifique. Si la flamme ne vacille pas, cela prouve tout simplement que le masque n'est pas perméable, ce qui le rend à peu près inopérant : la personne qui le porte sera obligée de l'enlever régulièrement pour respirer...
La complexité des normes fait l'objet d'une pétition de la part de certaines couturières, qui réclament des directives plus claires et plus simples à suivre...