Les propos de la porte-parole du gouvernement sur les enseignants "qui ne travaillent pas car les écoles sont fermées" font réagir des enseignants en Bretagne.
"Non je n'ai pas le temps d'aller ramasser les fraises", ironise Annabelle, enseignante à Brest. Et elle a d'autant moins le temps qu'elle assure des permanences dans son école pour les enfants des personnels soignants. "En plus de mon travail à la maison pour mes élèves, dit-elle. C'est humiliant et choquant d'entendre de tels propos dans la bouche d'une responsable politique qui prouve une fois encore sa méconnaissance de notre métier. Quel mépris !"
Hier, la porte parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye déclare : "Nous n'entendons pas demander à un enseignant qui aujourd'hui ne travaille pas, compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser la France entière pour aller récolter des fraises". Même si, dans un tweet posté dans la foulée, elle s'excuse, le mal est fait.
Mea culpa. Mon exemple n'était vraiment pas le bon. Je suis la première à mesurer combien l'engagement quotidien des professeurs est exceptionnel. https://t.co/Erorr5otKW
— Sibeth Ndiaye (@SibethNdiaye) March 25, 2020
"Stupeur et indignation"
"Je ne me tourne pas les pouces chez moi, explique encore Annabelle. J'ai un contact quotidien avec les famillles, je prépare des tutos simples pour maintenir les apprentissages auprès de mes élèves de maternelle. Ce confinement nous oblige à inventer d'autres méthodes de travail et ce n'est pas simple".
Même constat chez cette enseignante du collège de l'Iroise à Brest. "Je suis dans la stupeur et l'indignation, confie Héléna. On a des journées plus denses que d'habitude, c'est ce que disent tous les collègues. On a du adapter nos supports pédagogiques à l'enseignement à distance et on fait avec les moyens du bord. On passe du temps avec nos élèves au téléphone, on les rassure, on prépare les cours, on corrige les devoirs. Sans oublier que l'on doit aussi faire face à cette fracture numérique qui est bien réelle car tous n'ont pas d'accès à internet".
"Si on avait le choix, on serait en classe"
Pour le porte-parole de Sud Education, Olivier Cuzon, "passer d'une situation de cours classique à du distanciel, ce n'est pas une mince affaire. Les enseignants ne se contentent pas de déposer des cours sur une plateforme. Je pense que ce n'est pas une maladresse de la part de cette responsable politique : elle dit ce qu'elle pense des enseignants, elle alimente ce fantasme que les profs sont toujours en vacances".
Clémence, enseignante de CE1-CE2 à Betton, près de Rennes, ne cache pas non plus son "agacement". "D'abord, rappelle-t-elle, on n'a pas choisi cette situation. Si on avait le choix, on serait en classe, avec nos élèves". Et d'expliquer que, chaque matin, par mail ou via le blog de la classe, elle envoie du travail à faire à ses élèves. "En plus, la satisfaction que j'ai à exercer mon métier dans ces conditions est loin d'être complète. Alors non, je n'ai pas envie que quelqu'un dise que l'on ne travaille pas. Par ailleurs, cette période de confinement m'éloigne des enfants en difficultés scolaires et je dois trouver des solutions pour eux".
Sur les réseaux sociaux, les réactions sont elles aussi de mise. Comme celle de cette enseignante qui, dès ce matin, a posté cette petite phrase :
Bonjour tout le monde, et bonjour Sibeth ?
— Disso (@DissoGirl) March 26, 2020
Ou encore cette enseignante qui ironise hier soir, avant d'aller se coucher, après une journée bien fournie :
Bonsoir @SibethNdiaye.#Prof en collège je viens de finir de mettre mes cours de demain en ligne.
— manon le bretton (@manonlebretton) March 26, 2020
J'ai passé ma journée à
-répondre à des questions d'élèves et parents
-essayer de faire fonctionner une classe virtuelle.
Pour les #fraises, vous fournissez la frontale ?#bonnenuit
"Je n'ai pas à prouver que je travaille, souligne encore ce professeur de lettres et histoire-géographie dans un lycée professionnel de Brest. Eric évoque lui aussi sa "conscience professionnelle" et son "inquiétude" vis-à-vis de certains de ses élèves plus fragilisés. "Quand tout cela sera terminé, il y aura un réel problème entre les élèves qui auront bossé parce qu'ils en ont les moyens et ceux qui ont des difficultés. Et puis, ce n'est vraiment pas le moment de remettre en cause le travail des profs. On fait avec nos armes et on travaille".