Qu'ils soient maires, adjoints ou conseillers municipaux, les motivés se font de plus en plus rares dans les municipalités. Trop de travail, de pressions et d'agressions, pas assez de formation et d'indemnisations... Que faire pour créer de nouvelles vocations ? Un nouveau statut d'élu local, à l'étude ce mardi 5 mars au Sénat, pourrait être une des solutions.
"La démocratie n'a pas de prix, mais elle a un coût, il faut en parler sans tabou." La sénatrice d'Ille-et-Vilaine Françoise Gatel a le sens de la formule. En tant que co-rapporteure de la proposition de loi portant sur la création d'un statut de l'élu local, la Brétilienne tire la sonnette d'alarme :
La France c'est le pays de l'engagement. Si on perd des élus qui sont découragés de s'engager, ça craint un peu
Françoise GatelSénatrice co-rapporteure de la proposition de loi sur le statut de l'élu local
Depuis les dernières élections municipales de 2020, près de 13.000 maires ont démissionné. Et c'est sans compter tous les autres élus : adjoints et conseillers. Les raisons sont multiples et les dangers variés.
"Ça part un peu dans tous les sens"
Chacun peut le mesurer à l'échelle de sa commune : l'édile est souvent sollicité et l'habitant de plus en plus exigeant, voire impatient : "Le 'moi-je' est assez irrespectueux de la fonction, déplore Joël Marivain. Le maire de Kerfourn dans le Morbihan est aussi président de l'AMR 56, l'association des maires ruraux de ce département. Il mesure l'évolution des mentalités :
Certains concitoyens ne sont plus au stade de la demande mais de l'exigence, voire de l'individualisme. Comme si le maire pouvait tout faire et répondre à toutes les demandes
Joël MarivainMaire de Kerfourn et président de l'AMR 56
Aux quantités de sollicitations, s'ajoute le ton, pas toujours très cordial, et la rapidité : "Il y a le volume mais aussi l'exigence d'immédiateté qui est encore plus terrible, poursuit Joël Marivain. Ce n'est pas parce que quelqu'un a une idée le lundi qu'il faut la mettre en place le vendredi."
L'élu tient bon. Dans sa commune de moins de 1.000 habitants, située près de Pontivy, il a de quoi s'occuper. Autour de lui, d'autres jettent l'éponge, il comprend : "À la base, ce n'est pas un métier, sauf qu'on nous demande de plus en plus d'être des professionnels de la gestion de territoire pour mener à bien les projets, pour gérer les concertations, pour gérer la commune financièrement, gérer les appels à projets, les demandes de subventions, les cantines, le transport scolaire... Toute la vie d'une collectivité, ça part un peu dans tous les sens. Je comprends que les jeunes élus soient déroutés par tous les besoins et le travail à faire."
1.035 démissions d'élus, rien que dans le Morbihan
Le Morbihan détient un triste record : 1.035 démissions sur 4.900 élus depuis les dernières élections municipales. "C'est du jamais vu, déplore Fabrice Robelet, le maire de Brec'h et président, lui, de l'AMF 56, l'association des maires de France dans ce département.
La faute aux agressions de plus en plus nombreuses, mais aussi à la complexité de la fonction :"D'une minute à l'autre, vous avez les clefs du camion, et vous ne savez pas le conduire (...) On apprend en marchant, on ne sort pas d'écoles, on n'a pas un diplôme de maire" témoigne l'élu morbihannais.
15 maires de ce département et 109 adjoints ont déjà jeté l'éponge... "Mais la plupart de ces démissions concernent les conseillers municipaux" précise Solène Le Monnier qui a épluché les chiffres des préfectures bretonnes.
En tant que présidente de l'UNEL, l'Union nationale des élus locaux, elle insiste sur les raisons de tous ces abandons : "Manque de transparence et de dialogue... Le maire doit être partout, il doit tout faire, il doit tout savoir. On lui demande d'être omniprésent et omniscient, sans lui en donner les moyens. Donc soit on lui donne les moyens, soit on répartit sa charge de travail."
Pénalisés à cause de leur engagement ?
Les moyens, notamment financiers... C'est un des points sur lequel insiste la proposition de loi étudiée par les Sénateurs ce mardi 5 mars. Parmi les propositions, figure l'amélioration des conditions d'indemnisation des élus qui ne touchent en effet pas de salaire.
Une contradiction inexplicable pour certains : "On nous demande d'être professionnels, de répondre à toutes questions possibles et imaginables. C'est déjà une mission très difficile. Comme en plus, on ne touche pas de salaire, juste une indemnité, on se retrouve pénalisés par rapport à notre engagement, ça, ce n'est pas normal" déplore Joël Marivain, le maire de Kerfourn.
Aujourd'hui, le maire d'une commune de moins de 500 habitants, reçoit environ 1.048 euros brut d'indemnités. C'est un peu plus pour la maire de Baud qui compte près de 6.000 habitants : Pascale Gillet touche 1.545 euros par mois, mais depuis peu, elle n'a plus que ça. Face à ses absences répétées, son employeur lui a en effet récemment demandé de choisir entre son travail et son mandat. Elle a opté pour le mandat. "Je me suis engagée auprès de mes électeurs... justifiait-elle en janvier quand nous l'avions rencontrée. Ce n'est pas rationnel, je vais avoir un trou dans la raquette au niveau de ma carrière professionnelle, puisque le mandat d'élu n'est pas comptabilisé dans la retraite."
Il est important que cette partie de notre carrière soit valorisée et intégrée dans nos retraites
Ronan KerdraonMaire de Plérin et président de l'AMF 22
Pour aller dans le même sens, les Sénateurs proposent aussi d'automatiser le bilan de compétences et la démarche de validation des acquis de l'expérience à l'expiration du mandat. "La personne doit bénéficier de cette formidable expérience qu'est l'engagement municipal" conforte Joël Marivain.
"Oui, mais attention !" souligne là encore Solène Le Monnier. Pour la conseillère municipale à Berric, (près de 1.800 habitants) : "Les élus sont bénévoles, ça reste un engagement citoyen. Il ne faudrait pas qu'en surindemnisant, on fasse venir au sein de nos conseils municipaux des personnes qui ne viennent que pour l'argent et plus pour l'engagement."
Gare aussi, selon elle, aux différences "de taille" entre communes : "Les maires des petites communes se retrouvent parfois avec une seule personne pour les aider au niveau de l'administratif communal, donc avec une charge énorme, alors que ceux qui touchent le plus sont ceux qui ont toute une ingénierie administrative derrière eux pour les soutenir..."
Comment exercer "sans peur du lendemain"
Tous les élus contactés sont au moins unanimes sur un point : il faut que les choses changent. Pour le maire, les adjoints et les conseillers. Lors des dernières élections municipales, un million de Français s'étaient présentés. Combien seront-ils en 2026 ? La vague de démissions de ces derniers mois en effraie plus d'un. En 2020, 106 communes s'étaient retrouvées sans candidat.
Pour la co-rapporteure de la proposition de loi, il faut encourager les vocations, de toute la population en âge de voter : "L'élu doit pouvoir exercer son mandat de manière sécurisée sans avoir peur du lendemain. Sinon, nous n'aurons que des retraités ou nous n'aurons que des fonctionnaires. Nous, nous pensons qu'il faut, dans une commune, que les élus ressemblent à la population."
Si le texte des Sénateurs ne résoudra sûrement pas toutes les difficultés auxquelles les élus locaux sont confrontés, beaucoup espèrent quand même un regain d'intérêt pour ce mandat crucial démocratiquement parlant, à l'image de Joël Marivain : "Si on peut quand même diminuer les pénalisations de l'engagement volontaire des élus volontaires, ce sera quand même une bonne chose."
(avec Antoine Calvez)