"Les Trois Mousquetaires" font leur retour sur grand écran. D’Artagnan, Porthos, Athos et Aramis font rêver lecteurs et spectateurs depuis 1844, date de parution du texte. L’année suivante paraît "20 ans après", la suite de l’aventure des Mousquetaires et en 1847, sort "Le Vicomte de Bragelonne". Les héros ont vieilli, mais ils manient toujours capes et épées avec autant de fougue, et c’est à Belle-Ile-en-Mer, en Bretagne, qu’une partie de l’intrigue va se jouer.
"A l’extrémité du môle, sur la promenade que bat la mer furieuse du soir, deux hommes se tenant par le bras causaient d’un ton animé et expansif, sans que nul humain pût entendre leurs paroles, enlevées qu’elles étaient une à une par les rafales du vent, avec la blanche écume arrachées aux crêtes des flots. Ces deux hommes, tout le monde les a déjà reconnus, ce sont Porthos et Aramis réfugiés à Belle-Isle "écrit Alexandre Dumas dans Le Vicomte de Bragelonne.
Les années ont passé depuis que les Mousquetaires ont ferraillé ensemble pour la première fois ce jour de 1625. Ils ont sauvé la Reine Anne d’Autriche en lui ramenant les ferrets qu’elle avait confiés au Duc de Buckingham, ils ont fait le siège de La Rochelle, livré des duels et des bagarres. Le Cardinal Richelieu a cédé sa place à Mazarin, Louis XIV a pris celle de Louis XIII.
Les cheveux des mousquetaires ont blanchi, mais ils ont toujours le même courage, la même fougue, le même panache et le goût de l’aventure.
Serge Albagnac se souvient très bien de cette histoire. "Je l’ai lue à un âge où ça s’inscrit bien dans la mémoire. " L’ancien maire du Palais, membre de la Société historique de Belle-Ile ne connaissait pas encore Belle-Ile-en-Mer. Mais les mots de Dumas l’ont marqué pour toujours.
"Sans être chauvin, dit-il, c’est une très belle Ile avec des paysages magnifiques et Dumas la rend encore plus belle avec son imagination. Les lecteurs sont sûrement saisis par la beauté qui transparaît dans les phrases de Dumas. "
Des paysages somptueux encore magnifiés
Quand d’Artagnan s’approche de ses côtes, Dumas décrit : "il venait d’apercevoir la silhouette bleuâtre et accentuée des rochers de Belle-Isle, dominée par la ligne blanche et majestueuse du château. (…) Le soleil lançait des rayons d’or sur la mer et faisait voltiger une poussière resplendissante autour de cette île enchantée."
Alexandre Dumas n’a pourtant jamais posé le pied sur l’île. "L’imaginaire a pris le dessus sur la réalité", explique Serge Albagnac. "Quand les auteurs venaient, ils laissaient des traces dans les journaux locaux. On sait ainsi Théophile Gauthier, Gustave Flaubert, André Gide, Colette ou encore Claude Monet et Sarah Bernhardt ont séjourné à Belle-Ile. Si Alexandre Dumas était passé, cela serait mentionné quelque part. Il était suffisamment illustre pour qu’on parle de lui."
"Mais ses descriptions sont vraisemblables poursuit l’ancien élu. C’est une œuvre de fiction, il raconte Belle-Ile à sa façon, il imagine le littoral, la plage, les grottes."
Le pouvoir de l'imagination
Sur d’autres descriptions de son petit paradis, Serge Albagnac est plus circonspect. Quand d’Artagnan débarque à Belle-Ile, c’est sur ordre du Roi. Il doit inspecter les fortifications. Aramis en est l’architecte, Porthos l’ingénieur.
"Ces travaux avaient cela de remarquable qu’au lieu de s’élever hors de terre, comme faisaient les anciens remparts destinés à défendre la ville, ils s’y enfonçaient au contraire et ce qui faisait la hauteur des murailles, c’était la profondeur des fossés."
Alexandre Dumas. Le Vicomte de Bragelonne
"En fait, sourit Serge Albagnac, les fortifications décrites par Dumas sont complètement imaginaires. Il y a bien une citadelle construite par Vauban à Palais, mais elle ne ressemble pas à celle du roman.
Depuis toujours, comme Belle-Ile était soumise aux conquêtes et aux invasions de tous les ennemis de la France de l’époque, Espagne, Angleterre et Hollande, les marquis de Belle-Ile ont essayé de la fortifier. Ils ont construit des murailles, mais cela n’a pas empêché les Anglais de débarquer à plusieurs reprises et même d’occuper l’île."
La magie de l'écriture
"C’est la magie de l’écriture sans doute" sourit Serge Albagnac. "Un écrivain a toutes les licences possibles pour imaginer tous les paysages, tous les décors possibles. D’une phrase, d’un mot, il élève des murs infranchissables, ou il crée des brèches dans les murs. L’écrivain jouit d’une liberté totale, il peut tout faire et possède tous les pouvoirs. Y compris le pouvoir de vie et de mort de ces personnages."
Une île tombeau
C’est au sud de Belle-Ile, près de Locmaria, qu’Alexandre Dumas a décidé de faire périr l’un de ses héros, dans la Grotte du Skeul, devenue depuis, Grotte de Porthos.
"La grotte s’étendait l’espace d’à peu près cent toises, jusqu’à un petit talus dominant une crique. Jadis temple des divinités païennes alors que Belle-Isle s’appelait encore Calonèse, cette grotte avait vu s’accomplir plus d’un sacrifice humain dans ses mystérieuses profondeurs."
Alexandre Dumas. Le Vicomte de Bragelonne
Le géant Porthos et Aramis fuient devant les soldats ennemis. Alors qu’ils sont prêts à prendre la mer, la troupe se rapproche. Porthos lance un baril de poudre.
"Les roches se fendaient comme des planches de sapin sous la cognée. Un jet de feu, de fumée, de débris, s’élança au milieu de la grotte, s’élargissant à mesure qu’il montait. (…) Le sable, instrument de douleur lancé hors de ses couches durcies, alla cribler les visages avec une myriade d’atomes blessants."
Alexandre Dumas. Le Vicomte de Bragelonne
Porthos s’élance et aperçoit la barque balancée par les flots ; "
là étaient ses amis, là était la liberté, là était la vie après la victoire. (..) Soudain, il sentit ses genoux fléchir, (…) ses jambes mollissaient sous lui. Le géant tomba sans crier à l’aide. (…) Il dormait de l’éternel sommeil dans le sépulcre que Dieu lui avait fait à sa taille. "
Alexandre Dumas. Le Vicomte de Bragelonne
"Dumas décrit une grotte avec du sable sur le fond, la mer qui pénètre un tout petit peu et puis des rochers très friables", détaille Serge Albagnac. "Il n’y a pas de granit à Belle-Ile, ce sont des roches métamorphiques qui datent de la création de Belle-Ile après une éruption, ce sont des roches qui ne sont pas solides et on peut imaginer qu’une explosion peut tout casser, tout faire écrouler. "
"La réalité a dépassé la fiction, s’amuse le Bellilois. Dans l’esprit des gens, la Grotte de Porthos, c’est un endroit où Porthos est mort alors que c’est un personnage tout à fait imaginaire."
Des larmes bien réelles
"Dumas, poursuit-il, excelle à raconter cette mort terrible de Porthos, cette force de la nature qui essaye de soulever les rochers et d’éviter qu’ils ne l’écrasent et hélas, il va mourir là, tristement, c’est un héros qui meurt. "
La légende raconte qu’un jour, Dumas fils trouva son père en larmes. "Qu'as-tu ? " lui demanda- t-il. "Un grand chagrin, répondit l’écrivain, Porthos est mort".
"Vaillant Porthos ! Il dort encore sans doute, oublié, perdu, sous la roche que les patres prennent pour la toiture d’un dolmen. Et tant de bruyères frileuses, tant de mousse, caressées par le vent amer de l’océan ont soudé le sépulcre à la mer que jamais le passant ne saurait imaginer qu’un tel bloc de granit ait pu être soulevé par l’épaule d’un mortel."
Alexandre Dumas. Le Vicomte de Bragelonne
"On aura beau chercher, faire des fouilles, retourner tous les rochers de l’île, on ne retrouvera pas le corps de Porthos," Serge Albagnac le sait bien. "Mais quand un roman est très populaire, les gens pensent qu’il y a une partie de vrai. C’est à la fois très amusant et très intéressant de savoir qu’un livre comme cela peut susciter dans l’esprit des gens une envie de croire à l’impossible."
Un tournage à Belle-Ile ?
Croire en l’impossible… Pourquoi pas… Martin Bourboulon, le réalisateur du film envisage de tourner la suite des Trois Mousquetaires si le film remporte le succès espéré.
Serge Albagnac l’imagine déjà. "De nombreux films et séries ont été réalisés sur l’ile. Et quand le film plait, les gens viennent. Je me souviens il y a quelques années, après la diffusion de Dolmen, on nous demandait où est ce qu’on peut voir les menhirs à Belle-Ile ?"
Il sourit et promet que si cela se fait, les Bellilois guideront les touristes sur les traces des Mousquetaires. "Un pour tous, tous pour un ! "