Ce 21 juin 2023, l’Europa fait escale à Lorient. C’est le cinquième navire à accoster dans le port du Morbihan en quelques semaines. Le luxueux navire de croisière a effectué ses manœuvres au son des casseroles. Une quarantaine de manifestants du collectif Stop croisières sont venus dire leur opposition à ces vacances polluantes. Les bateaux de croisière sont-ils une manne pour l’économie ou une catastrophe pour l’écologie ? Le débat fait rage.
C’est sans doute une erreur du traducteur en ligne, mais elle prête à sourire. Sur le site de la Compagnie Hapag-Lloyd Cruises, propriétaire de l'Europa, on peut lire : " Les croisières avec Hapag-Lloyd Cruises sont particulièrement destinées aux individualistes qui recherchent l'extraordinaire et qui aiment voyager en cercles restreints." Les individualistes… pour Antoine, du Collectif Stop Croisière qui manifeste ce 21 juin, c’est tout le problème.
L’Europa peut accueillir 400 voyageurs à son bord. " L'hébergement est effectué dans des cabines élégantes et spacieuses", indique le site internet de la compagnie maritime. Restaurants gastronomiques, bars, salle de sport, de spectacle. Le navire sillonne toutes les mers du globe et aujourd’hui, ses riches passagers, (le prix des croisières varie de 4 000 à 9 800 euros) vont partir à la découverte de la ville et de ses environs.
Le militant était accompagné d'une quarantaine de personnes, ce mercredi matin, pour manifester sur le port de commerce alors que débutait l'escale de l'Europa.
Un atout économique
Un petit tour à Carnac, un passage par la presqu’île de Quiberon, par Concarneau, une visite de Pont-Aven… Peut-être un déjeuner au restaurant sur la terre ferme et sans doute des haltes ici où là pour goûter des huîtres, acheter quelques gâteaux bretons, du caramel au beurre salé et autres souvenirs de la région. "Les escales font le bonheur des commerces ", précise Alex Lebrun, dirigeant de PLB Cruises and Shorex qui accueille les croisiéristes.
Mais pendant que le navire s’amarre sous la lumière dorée du port de Lorient, les membres du collectif Stop Croisières frappent sur des casseroles. "Ce genre de bateaux pollue les airs et les eaux, dénonce Antoine, ils rejettent leurs eaux usées non traitées dans les mers et détruisent ainsi les récifs coralliens, rendent malades les animaux marins." Le jeune homme s’inquiète aussi de la qualité de l’air dans les ports, " avec leurs émanations, les habitants risquent des maladies respiratoires, des cancers." Il souhaite la fin de ce type de tourisme très gourmand en carbone.
Maï est venue spontanément ce matin pour soutenir les manifestants : "C’est le cinquième bateau en quelques jours alors qu’on sait bien que ça pollue et que ce n’est pas essentiel."
Une hostilité qui grandit
Les manifestations contre ce type de tourisme se multiplient ces dernières semaines. À Douarnenez, le 6 mai dernier, une partie des passagers d’un paquebot de croisières a renoncé à partir en excursions à cause d’un rassemblement d’opposants.
Lors de la prochaine session, les Élus Écologistes de Bretagne souhaitent d’ailleurs poser une question au Conseil Régional "Pour une prise de position forte contre le tourisme de croisière."
À Brest, 2022 aura été une année record plaident les élus : Brest a compté 21 escales de navires de croisière, Lorient devrait compter dix escales cette année et Saint-Malo, 54.
Alex Lebrun tempère ces chiffres. On retrouve l’activité d’avant le Covid, les chiffres de 2018, 2019. Peut-être qu’à Lorient, les escales étaient mieux réparties dans l’année et que là, on a plusieurs passages en quelques jours.
Bataille navale de chiffres
Le chef d’entreprise ne comprend pas l’hostilité des manifestants. "Moi, j’accueille les gens, insiste-t-il. On s’en prend aux bateaux de croisière, mais ils ne représentent que 0,5% de la flotte mondiale qui navigue tous les jours sur les mers. Avant de s’attaquer aux paquebots, il faudrait peut-être s’occuper du fret qui apporte les téléphones, les vélos et les télés des manifestants et qui représente de plus gros volumes."
Les élus écologistes de la région avancent d’autres chiffres : " France nature environnement a mesuré qu'un paquebot à l'arrêt pollue autant qu'un million de voitures, en termes d'émission de particules fines et de dioxyde d'azote. Une semaine de croisière représente deux tonnes de CO2 par personne, soit le budget carbone d’une année entière recommandé par les Accords de Paris."
"En transportant 500 personnes à bord, ce navire produit 35 000 litres d’eaux usées, soit l’équivalent de trois piscines olympiques de déchets, qui sont ensuite déversées dans l’Océan au mépris de la biodiversité. Ces bateaux qui polluent la mer, et font fuir les poissons en raison du bruit et des vibrations, mettent en difficulté les pêcheurs côtiers."
La cheffe de file des élus écologistes à la région, Claire Desmares poursuit : "Pour produire l’électricité nécessaire à l’alimentation du bateau, les moteurs continuent de tourner à quai. Les pêcheurs, et les riverains des ports, sont les premiers à être touchés par ces risques environnementaux, et sur leur santé." (Ce ne serait pas le cas à Lorient où les bateaux utiliseraient un groupe électrogène, moins polluant que leurs moteurs, pour conserver de l’électricité à bord)
Une véritable économie ?
L’élue doute également des retombées économiques des escales de ces navires, et parle de " mirage". "Un seul chiffre : moins d’un passager sur deux a mis pied à terre lors des escales à Saint-Malo l’an dernier. Pas de quoi compenser les pertes économiques pour les pêcheurs, ni les impacts environnementaux induits par les pollutions du bateau."
" Les bateaux qui circulent en Manche et en Atlantique n’utilisent pas le même fuel que ceux qui naviguent en Méditerranée, nuance Alex Lebrun. Ce sont de plus petits bateaux et ceux qui font le plus d’effort. Si on crache comme cela sur les croisiéristes, on se tire une balle dans le pied, car ils n’auront plus les moyens de continuer à innover pour être de moins en moins polluants."
Des villes comme Venise ont interdit les bateaux de croisière, Marseille y songe. " Pourquoi pas nous ?" questionne Claire Desmarres et les manifestants.
Sur les mers comme à terre, concilier écologie et économie reste toujours très compliqué.
(Avec Nicolas Corbard)