La France a rapatrié mardi 35 mineurs et 16 mères des camps de déplacés en Syrie, dont Emilie König, l'une des jihadistes françaises les plus connues. Et voici ce que l'on sait de cette opération menée en toute discrétion.
Emilie König, l'une des jihadistes françaises les plus connues rapatriée mardi de Syrie, a été placée en détention provisoire après avoir été mise en examen par un juge antiterroriste lors d'une audience devant une juge des libertés et de la détention (JLD).
Cette femme de 37 ans originaire de Lorient, accusée d'avoir recruté pour le groupe Etat islamique (EI) et appelé à commettre des attaques en Occident, était visée par un mandat d'arrêt et a été mise en examen à son arrivée à Paris pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Retrouver "une vie de femme"
"Je suis très fatiguée", a soufflé dans le box cette brune au teint gris, vêtue d'une polaire grise et d'un pantalon noir, après l'annonce du délibéré par la juge des libertés et de la détention.
La magistrate, à qui Emilie König avait dit vouloir retrouver une "vie de femme", lui a indiqué que les investigations allaient se poursuivre "pour retracer son parcours".
Originaire de Lorient (Morbihan), elle était partie en Syrie en 2012.
Régulièrement apparue dans des vidéos de propagande, elle avait été placée par l'ONU sur sa liste noire des combattants les plus dangereux.
Revoir ses enfants
Elle est mère de cinq enfants, dont trois nés en Syrie, qui ont été rapatriés en France début 2021. Dans un entretien à l'AFP en avril 2021 du camp de Roj, elle avait dit vouloir "retourner en France".
"Elle a l'intention de coopérer pleinement avec la justice française", a déclaré à l'AFP son avocat Emmanuel Daoud. "Elle est rentrée pour s'expliquer et pour tenter le plus rapidement possible,
selon une échéance qu'elle ne maîtrise pas, de revoir ses enfants", a ajouté Me Daoud, en soulignant qu'elle avait "pleinement conscience d'avoir causé beaucoup de souffrances à sa famille".
35 mineurs et 16 femmes
Mardi, quelques heures après la formation d'un nouveau gouvernement, le ministère français des Affaires étrangères a indiqué dans un communiqué que la France avait "procédé ce jour au retour sur le territoire national de 35 enfants mineurs français qui se trouvaient dans les camps du Nord-Est de la Syrie" ainsi que de "16 mères en provenance de ces mêmes camps".
Nationalité française
Il s'agit du premier rapatriement massif d'enfants et de leurs mères depuis la chute en 2019 du "califat" du groupe État islamique (EI) d'où avaient été notamment planifiés les meurtriers attentats du 13 novembre 2015 en France.
Selon un communiqué du Parquet national antiterroriste (PNAT), sur les 35 mineurs, sept sont des enfants isolés. Quant aux 16 femmes, âgées de 22 à 39 ans, "quatre avaient déjà consenti au retour de leurs enfants au cours des derniers mois" et "12 sont revenues accompagnées de leurs enfants". Elles ont la nationalité française "sauf deux d'entre elles qui ont en revanche des enfants français".
Un mineur de 17 ans
Huit mères ont été placées en garde à vue "en exécution d'un mandat de recherche" et "huit (autres) font l'objet d'un mandat d'arrêt", toujours selon le PNAT. Ces dernières devraient se voir notifier dès mardi leur mise en examen.
Un mineur de 17 ans et sept femmes ont été placés en garde à vue à la DGSI (sécurité intérieure), selon une source proche du dossier. La huitième a été placée en garde à vue à la Section antiterroriste (SAT) de la préfecture de police de Paris.
A l'issue de leur garde à vue, ces personnes devraient être présentées à un juge antiterroriste en vue de leur mise en examen.
Malade d'un cancer
Une femme atteinte d'un cancer du colon, qui a déjà subi deux ablations, a également été rapatriée avec ses quatre enfants. Sa mère avait imploré le 23 juin Emmanuel Macron et son épouse de la faire rentrer en France. "Il était temps", a commenté Me Daoud, qui la défend également. "L'heure du droit et de l'humanité est enfin venue car il fallait la protéger ainsi que ses enfants et faire en sorte que les traitements inhumains et dégradants qu'elle subissait cessent", a-t-il ajouté.
Opération secrète
"Les services de renseignement sont venus hier matin dans les camps de Roj avec des listes et photos des familles qu'ils entendaient rapatrier", a témoigné sous le couvert de l'anonymat l'oncle de deux enfants encore sur place.
"Je sais à quel point les enfants français laissés dans les camps souffrent de ne pas avoir été emmenés avec leurs copains et leurs mères", a souligné Me Marie Dosé, conseil de familles encore sur place. "Il reste plus de 150 enfants et leurs mères", selon elle.
"Ma soeur ne s'y attendait pas. C'est un grand soulagement, on n'aura plus à s'inquiéter jour et nuit pour leur vie", témoigne auprès de l'AFP la tante d'un mineur rentré avec sa mère.
Retour décrié
Ces 35 enfants, pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance, rejoignent les 126 mineurs déjà revenus depuis 2016 de territoires repris à l'EI.
En 2019, près de sept Français sur dix étaient opposés au retour des enfants de jihadistes, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour France Info et Le Figaro.
La question reste aujourd'hui lancinante dans le débat politique en France où avocats, parlementaires, ONG et instances indépendantes exhortent régulièrement les autorités à suivre le pas de leurs voisins européens. L'Allemagne et, plus récemment, la Belgique ont récupéré une grande partie de leurs ressortissants détenus dans les camps syriens qui regroupent déplacés de guerre et proches de jihadistes.
Mardi, la secrétaire d'État à l'Enfance Charlotte Caubel a twitté: "Nous poursuivrons
leur rapatriement tant qu'il le faudra pour les protéger".
Le "Collectif des familles unies" a de son côté indiqué dans un communiqué "espérer" que ce rapatriement "signe la fin de cette abjecte politique du +cas par cas+ qui revient à trier des enfants, à séparer les fratries et à arracher des enfants à leurs mères".
La Défenseure des droits Claire Hédon a souligné "l'urgence" à les rapatrier, décrivant "les conditions épouvantables de vie, avec des problèmes de nutrition, des problèmes de santé, un non-accès à l'école".