Elle s’appelait Lisette Moru. Le 24 janvier 1943, elle a été déportée à Auschwitz-Birkenau où elle est morte à 17 ans et demi. Un jour, Stéphanie Trouillard est tombée sur les photos faites lors de son arrivée dans le camp d’extermination nazi. Un regard rieur, un sourire "mi- narquois, mi- frondeur". Comment peut-on sourire dans un tel lieu, s’est questionnée la journaliste ? Dans une bande dessinée, elle raconte son enquête pour retrouver l’histoire de cette jeune résistante bretonne.
Les clichés sont tristement célèbres. Des séries de trois photos. Une de face et une de chaque profil. Chaque fois, le même uniforme rayé, un numéro de matricule sur un visage inquiet. À l’arrivée des nouveaux détenus dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, la pose devant l’appareil photo des nazis faisait partie du rituel.
Sur les photographies, les visages sont souvent fermés, apeurés. Et puis, un jour, Stéphanie Trouillard a croisé le regard et le sourire de cette toute jeune fille. Matricule 31825. La journaliste a aussitôt eu envie d’en savoir plus sur elle. "Comment peut-on sourire comme cela sur une photo prise dans un camp de concentration ?"
Une longue enquête sur les traces de Lisette
Stéphanie Trouillard a commencé à s’intéresser à la résistance il y a une dizaine d’années en travaillant sur son grand-oncle, maquisard breton. Elle avait raconté son histoire dans une bande dessinée. Elle avait alors beaucoup enquêté, beaucoup lu et avait constaté qu’on parlait très peu des femmes dans la résistance. Cette frimousse enfantine avec ses fossettes et cette pointe d’effronterie l’ont conduite de Port-Louis jusqu’à la Pologne pour tenter de retracer sa brève existence.
Elle a d'abord évoqué son histoire dans un web documentaire, elle raconte aujourd'hui son enquête dans une bande dessinée, Le sourire d’Auschwitz, L’histoire de Lisette Moru, résistante bretonne.
Lisette Moru, de son vrai nom, Marie-Louise Moru, est née le 27 juillet 1925. Son père, Joseph Moru travaille à l’Arsenal de Lorient pendant que sa mère, Suzanne, est marchande de poissons.
Lisette a décroché son CAP de couturière, mais à l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale, les commandes se font de plus en plus rares. Elle doit partir travailler à la conserverie.
La résistance au cœur
Lisette est une patriote et une rebelle. La présence de l’occupant germanique dans les rues de Port-Louis l’agace. Elle fait des pieds de nez dans le dos des soldats allemands, porte une petite croix de Lorraine sous le col de sa veste. Le 14 juillet 1942, elle dépose un bouquet de fleurs sur la tombe d’aviateurs anglais et commence à porter des messages pour la résistance.
"C’était de petits actes de résistance mais tous ces petits gestes ont contribué à la libération de la France, explique Stéphanie Trouillard. Ce qui m’intéresse, ce sont les anonymes, les gens ordinaires qui ont dit non à l’occupation. Dans chaque ville, chaque village, des personnes se sont levées contre les nazis."
Le secret
Pendant des mois, la journaliste a cherché des traces et des témoignages sur Lisette. Des membres de sa famille, ses amies de l’époque.
À Port-Louis, son histoire était à la fois connue et tue. Un jour, Lisette et son ami ont croisé des soldats allemands sur une plage en compagnie de Françaises. Les deux jeunes gens ont eu l’idée de dresser une liste de ces femmes qui travaillaient avec les Allemands. Ils ont été dénoncés, arrêtés et déportés.
"Pendant longtemps, l’histoire de Lisette et de Louis a été tue parce que les descendants de ces deux femmes vivaient toujours sur la commune, témoigne Stéphanie Trouillard. Pour Lisette et Louis, c’est un peu comme s’ils subissaient la double peine" regrette-t-elle.
"Ils étaient morts et en plus, on refusait de parler d’eux. Moi, mon idée, ce n’était pas de pointer les femmes qui les ont donnés, mais de mettre en lumière ce qu’eux avaient fait."
L'enfer des camps
Après son arrestation, Lisette a d’abord été conduite au Fort de Romainville avant de monter dans un wagon à bestiaux vers Auschwitz-Birkenau. Lisette faisait partie du convoi du 24 janvier 1943, dit convoi des 31 .000.
À bord du train, elles étaient 230 femmes résistantes françaises, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Danielle Casanova, ou Charlotte Delbo. En entrant dans le camp, elles entonnent en chœur La Marseillaise. Lisette devait avoir ce même sourire moqueur qu’elle arborerait sur les photos. À leur manière, dans ce moment tragique, les femmes continuaient de résister.
Elles ignoraient alors que plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants, dont 90% de juifs, allaient trouver la mort dans les chambres à gaz du camp où ils tomberaient, morts de faim, de froid ou de fatigue sous les coups des SS.
Lisette est décédée quelques semaines plus tard, le 24 avril 1943. Elle avait 17 ans et demi.
Son ami, Louis Séché, est parti pour Oranienbur-Sachsenhausen. Il a trouvé la mort au printemps 1945, au moment de la libération du camp.
Une bande dessinée pour ne jamais oublier
Stéphanie Trouillard a écrit le scénario et a confié les dessins à Renan Coquin. "Ce n’était pas simple, décrit-elle, c’est même très difficile de dessiner Auschwitz. C’est tellement dur, tellement affreux qu’il faut réussir à doser le dessin : rendre la réalité, faire ressentir l’horreur du camp, la faim, le froid, la violence des nazis. Mais ne pas en rajouter, Renan Coquin a parfaitement réussi cela."
À Port-Louis, les premiers lecteurs de l’ouvrage ont été les membres du Centre d’animation historique de la ville. Françoise Le Louër, sa présidente, a été très touchée de cet hommage à Lisette. "C’est quelque chose d’extraordinaire, confie-t-elle. Pour moi, c’est mettre en valeur cette petite jeune fille."
Dans le bunker qui servait d’infirmerie aux Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, l’association a installé un petit musée dans lequel on dit quelques mots sur Lisette, mais "cette bande dessinée est très utile pour le devoir de mémoire."
Dans la commune, six résistants ont été déportés, six autres fusillés.
"Comme Lisette, ils se sont battus pour notre liberté et se sont sacrifiés pour les générations futures. On se doit d’honorer leur mémoire" conclut Françoise Le Louër.
En racontant leur histoire dans une bande dessinée, Stéphanie Trouillard espère toucher les plus jeunes. "C’est important, insiste-t-elle. Il faut rappeler que nous ne sommes pas à l’abri. Lisette et Louis étaient des jeunes gens qui avaient une vie, des rêves, des espoirs. Tout d’un coup, tout s’est brisé à cause des haines et de la guerre. Si nous n’y prenons pas garde, tout cela peut revenir."