Les patrons des gros armements bretons, qui emploient quelque 800 marins-pêcheurs, dénoncent une situation économique intenable pour leur survie, faute d'aide au gazole depuis des mois.
"Je suis fâché", lâche Jean Porcher, patron de l'armement du même nom, qui compte 15 chalutiers hauturiers et 220 employés dans les Côtes-d'Armor.
La raison de cette colère : "Qu'on dise qu'on va toucher des aides au gazole alors qu'on n'y a pas droit", explique le patron pêcheur, après l'annonce par le secrétaire d'État à la Mer Hervé Berville du prolongement de l'aide au gazole pour les pêcheurs.
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Les plafonds atteints
En effet, comme les autres armements dits "structurés" (comptant plusieurs bateaux), l'armement Porcher, qui dépense "220.000 euros de gazole par semaine", a très vite atteint le plafond fixé par la Commission européenne pour les aides au carburant.
Mis en place en mars 2022, après la flambée des prix de l'énergie provoquée par la guerre en Ukraine, ce dispositif permet aux pêcheurs de toucher une aide de 20 centimes par litre de carburant, limitée à 300.000 euros par entreprise, peu importe le nombre de bateaux.
"Nous avons atteint le plafond en août 2022. Les aides, on les a consommées en quatre mois environ", raconte ainsi Christophe Collin, directeur de l'armement bigouden au Guilvinec (Finistère), qui compte neuf chalutiers hauturiers.
Les relèvements successifs du plafond (il va encore être relevé à 335.000 euros au 1er janvier) ont été un soulagement éphémère pour ces gros armements, dont les chalutiers consomment parfois entre 1.500 et 2.000 litres de gazole par jour. Or, "le gazole peut représenter jusqu'à 40% de notre chiffre d'affaires", témoigne Ludovic Le Lay, directeur de l'armement Hent ar Bugale à Loctudy (Finistère).
"Il y a encore des moyens de s'en sortir", concède-t-il, "si les prix sont en notre faveur (lors des enchères à la criée, NDLR). Mais on perd surtout énormément d'argent".
Des marins impactés financièrement
Les marins aussi en pâtissent, eux qui sont payés à la part, en fonction du prix de vente de poisson, une fois les charges déduites.
"Grosso modo, ils perdent 400 à 500 euros sur une marée de 14 jours", estime M. Le Lay, qui pointe une "distorsion de concurrence profondément injuste" avec les chalutiers artisanaux qui n'ont pas encore dépassé le plafond.
"Modèle économique à bout"
Pour alerter sur leur situation, les huit plus gros armements bretons, comptant une soixantaine de chalutiers et 800 marins, se réunissent lundi après-midi à Lorient (Morbihan), à la veille de la venue d'Emmanuel Macron aux assises de la Mer à Nantes.
"On attend que le président prenne une position claire et publique sur l'avenir de la filière", annonce Yves Foëzon, directeur de Pêcheurs de Bretagne, première organisation de producteurs de France.
"On va dans le mur. On a un modèle économique qui est à bout", prévient-il en soulignant que les armements "les plus touchés sont les piliers des ports bretons : tout le reste va s'écrouler derrière".
Les 64 chalutiers hauturiers adhérents des Pêcheurs de Bretagne représentent en effet 40% des captures de poissons de l'organisation, en tonnage.
Leur activité est essentielle à la survie de nombreuses criées. Et la grogne ne touche pas seulement les hauturiers. "On est tous dans la panade", dit aussi Stéphane Pochic, dont l'armement compte neuf chalutiers côtiers à Loctudy.
Balayant les injonctions à la décarbonation, faute de solutions techniques pour les chalutiers, beaucoup plaident pour un fonds de soutien à la filière, financé par une taxe sur le poisson importé ou sur les champs d'éoliennes en mer. "L'éolien est vécu comme une contrainte. Il faut en faire une opportunité", dit M. Foëzon.
Mercredi, l'armement Via Océan (ex-Saupiquet), basé à Concarneau (Finistère) et dont les trois bateaux pêchent le thon tropical dans l'Atlantique, a annoncé un projet de "cessation définitive de ses activités" en raison notamment de la "très forte hausse de ses coûts". Une annonce vue comme un très mauvais signe par beaucoup de pêcheurs.