Stress post-traumatique, névrose extrême, cauchemar, sentiment d'être devenus des pestiférés. Pour les médecins spécialistes du traitement des punaises de lit, l'infestation par ce petit insecte gros comme un pépin de pomme peut avoir des conséquences psychologiques très importantes. Psychiatres et psychologues consultent pour ce nouveau phénomène. Des consultations désormais prises en charge par une assurance anti-punaises de lit.
"C'est devenu une folie. Les gens ont peur. Certains de ceux qui me contactent sont prêts à tout pour se débarrasser des punaises de lit. C'est devenu une psychose totale alors que dans certains cas, il n'y a aucune punaise de lit chez eux." Un constat que dresse Michel Collin, directeur de B2E, un bureau d'études en entomologie basé à Guidel dans le Morbihan.
Un véritable choc pour certains
Pas un jour sans qu'il ne soit contacté par des particuliers partout en France. Tous paralysés par la crainte d'être infestés par l'animal qui se nourrit de sang humain par piqûres. "J'ai au téléphone des personnes qui sont prêtes à tout changer chez eux, à tout jeter pour éviter d'héberger l'insecte de 6 millimètres de long."
Vous avez l'impression que l'animal va sortir à tout moment !
Séverine
Parmi ces victimes psychologiques de la punaise de lit, Séverine, 44 ans, qui réside à Bordeaux. Depuis un mois, elle vit un enfer. "J'ai pourtant traversé des choses difficiles dans ma vie comme la fermeture de mon entreprise, mais là, ces insectes, ça vous rend fou." Un cauchemar qui commence en pleine nuit alors qu'elle est réveillée par une drôle de sensation. "Le 15 août dernier, j'ai vu ces insectes dans la tête de lit. Moi je pensais que ces bestioles vivaient seulement dans des endroits insalubres. J'ai passé ma nuit dans le canapé du salon à contacter des entreprises par internet pour faire des devis et pour m'en débarrasser au plus vite" raconte-t-elle encore sous le choc.
Une désinfection traumatisante
Une entreprise spécialisée est venue pour traiter l'appartement de Séverine avec un insecticide destiné à tuer les punaises, mais aussi les œufs. Seulement voilà, pour être certain que l'insecte a totalement disparu après le traitement, il a fallu qu'elle dorme à nouveau dans son lit. Le but : vérifier qu'elle n'était plus attaquée, piquée. "C'était traumatisant. Pour m'endormir, j'ai dû prendre des médicaments. Avant de me coucher, j'ai mis de l'adhésif double face sur toutes les zones où j'avais vu les punaises. Et en plus, j'avais enfilé une combinaison de ski pour qu'elles ne rampent pas sur moi."
J'ai dû acheter un congélateur pour débarrasser mes vêtements des punaises de lit.
Séverine
Un enfer qui ne s'est pas arrêté là. Il a fallu décontaminer tous ses vêtements et linge de lit. Soit en les lavant à 60 degrés quand c'est possible sinon en les congelant. "Pour certaines affaires, j'ai décidé d'acheter un congélateur qui se trouve toujours au beau milieu de mon salon. Je les ai mises dans des sacs-poubelles et laisser plusieurs jours au froid. Là je viens d'y placer une valise."
Un quotidien entièrement bouleversé depuis quatre semaines. Sans compter le regard des autres qui change.
L'hypnose et le suivi psychologique contre la peur des punaises de lit
Pour le docteur Pascal Delaunay, parasitologue et entomologiste médical au CHU de Nice, les conséquences psychologiques peuvent être lourdes pour les victimes de punaises de lit. C'est la raison pour laquelle ce spécialiste des infections d'insectes a décidé de passer un master en psychologie et de se former à l'hypnose. "J'ai constaté que l'accompagnement technique ne suffisait pas dans certains cas. Il fallait faire davantage pour soulager les gens. Pour les gens qui me consultent, je fais en sorte d'être une passerelle avec les psychologues et les psychiatres de métier."
"Plus jamais ça" me disent mes patients.
Docteur Pascal DelaunayParasitologue et entomologiste médical CHU Nice
Pour le médecin, une chose est sûre. "La punaise de lit, par le fait qu'elle entre dans votre intimité, dans votre lit, dans votre lieu de sécurité, peut dans certains cas vous détruire physiquement. Vous empêcher de dormir et modifier votre comportement normal, vous désocialiser, vous isoler". Et il ajoute "Même s'ils sont bienveillants, les conseils donnés par les proches aux victimes des punaises de lit peuvent transformer les victimes en coupables. Sous-entendu, tu n'as pas fait ce qu'il fallait pour éviter cela."
Un insecte qui vit dans votre lit et suce le sang.
Il y a aussi le traitement total du logement qui peut être considéré comme une atteinte grave à l'intimité. Le docteur Delaunay a fait partie pendant un an et demi d'un groupe de travail pour l'ANSES. Un rapport a été remis en juillet dernier. "On s'aperçoit qu'on connaît très peu de choses sur la punaise de lit, et l'ampleur de la contamination. Ce que l'on a noté, c'est qu'il s'agit d'une problématique extrêmement psychologique car l'insecte s'immisce dans votre lit. IL y a aussi le fait qu'il pique pour sucer le sang. Il n'y a aucun autre insecte qui vit comme cela."
Selon une étude de l'Inserm, il y a plus de 72000 mille consultations médicales par an à cause des punaises de lit.
Nicolas Roux de BézieuxDirigeant Société "Badbugs"
Une situation suffisamment aiguë pour qu'une société spécialisée dans la lutte contre la prolifération de cet insecte mette en place une assurance anti-punaises de lit. Pour Nicolas Roux de Bézieux, le dirigeant de "Badbugs", c'est devenu une nécessité face à l'ampleur du phénomène. "En cas d'infestation avérée, pour deux euros par mois, nous proposons le traitement du logement, l'hôtel pour le relogement sur quelques jours mais aussi la prise en charge de plusieurs consultations psychologiques." Et il ajoute "On a des gens qui appellent tous les mois, toutes les semaines. Des gens stressés pour la moindre piqûre d'insecte sur le corps."
Une peur de la punaise de lit qui peut demeurer longtemps
Un stress, une phobie de la punaise de lit qui peut même durer bien après le traitement du logement et de son contenu. "Vous avez des personnes qui ne parviennent pas ou mal à accepter la guérison de leur logement. Certaines vont continuer à faire traiter leur maison deux, trois, quatre ans après les faits. L'événement passé reste dans le temps présent. Il faut vraiment continuer à avoir un dialogue et une écoute profonde avec elles" insiste le docteur Pascal Delaunay.
C'est une horreur ces trucs-là, ces punaises de lit !
Séverine, 44 ansHabitante de Bordeaux
Pour Séverine, la punaise de lit continue d’être une sorte d'obsession. "J'hésite à aller au cinéma de peur d'être contaminée. Idem pour les voyages en train. Car on peut être infecté à tout moment. Cela a créé chez moi un réflexe. À l'hôtel ou ailleurs, je regarde partout sous et dans les lits. C'est une horreur ces trucs-là, les punaises de lit !"
