Sorti victorieux d'un long bras de fer avec Vivendi pour le contrôle d'Ubisoft, le Breton Yves Guillemot, PDG et fondateur de l'éditeur de jeux vidéo, vise 5 milliards de joueurs d'ici à 10 ans grâce à son nouveau partenariat avec le géant chinois Tencent.
Souriant et posé, le patron de l'éditeur des jeux "Assassin's Creed' et de "Far Cry" raconte à l'AFP les discussions ayant mené, le 20 mars, au désengagement du poids lourd des médias. "Dès lors qu'ils ont exprimé leur intention de sortir, nous leur avons apporté une solution, avec des partenaires qui souhaitaient entrer à notre capital": Tencent qui prend 5% et le fonds de pension canadien Ontario Teachers 3,4%.
Bolloré a renoncé à son ambition sur Ubisoft
Entré par surprise au capital d'Ubisoft en octobre 2015, le groupe de Vincent Bolloré a alors renoncé à ses ambitions sur le numéro trois mondial du jeu vidéo et cédé sa part de 27,7%, empochant au passage une plus-value de 1,2 milliard d'euros. Yves Guillemot y voit la récompense d'une stratégie qui a presque fait doubler la valeur du groupe en Bourse sur 2017, de quoi décourager une éventuelle OPA de Vivendi. "Avec notre stratégie de création de valeur, nous avons démontré qu'on n'avait besoin de personne. Et qu'ils n'allaient pas apporter de valeur ajoutée. (...) Je ne pense pas qu'il y avait d'autre voie pour diriger une entreprise de ce type", note-t-il.C'est la deuxième fois que la famille Guillemot, originaire de Carentoir en Bretagne (Morbihan), préserve l'indépendance du groupe: avant les assauts de Vivendi, elle avait déjà dissuadé l'éditeur américain Electronic Arts en 2004 de l'absorber.
Dix fois plus de joueurs dans dix ans
Avec Tencent, Ubisoft fait à présent entrer à son capital un mastodonte de l'internet dont la valeur en Bourse rivalise avec celle de Facebook. Et le partenariat noué avec le géant chinois décuple les ambitions du patron d'Ubisoft : "A horizon dix ans, Ubisoft veut toucher 5 milliards de joueurs", dix fois plus que les 500 millions de joueurs de l'éditeur avec ses jeux actuels. "Tout d'abord grâce à la technologie, qui va évoluer très très vite". "Dans dix ans, tous les terminaux seront beaucoup plus puissants", avec un smartphone rivalisant en performance avec une console classique."Grâce au cloud gaming (des jeux dans le nuage sans téléchargement), les jeux seront +streamés+ sur différents terminaux, y compris TV, mobile, ou l'écran des voitures autonomes", prédit-il. "Cela va permettre à nos jeux d'être disponibles sur la majorité des écrans. Nos marques vont donc atteindre une population plus large". "Ce qui va compter, c'est de créer des jeux qui seront adaptés à ces nouvelles technologies, sur des thèmes qui parlent à tous".
Cap sur le marché chinois
Et "c'est dans cette perspective que notre accord avec Tencent est intéressant : il a déjà anticipé que les jeux PC allaient être très puissants sur mobile. Ilvient d'adapter sur mobile PlayersUnknown's Battleground (PUBG), un jeu multijoueur de combat dont le but est d'être le seul survivant, qui a connu un gros succès PC. Avec, à la clé déjà, eu plus de 100 millions de téléchargements".
Ubisoft espère profiter du milliard de clients de Tencent en Chine avec sa messagerie Wechat, gros consommateurs de jeux, et de sa puissance de frappe sur PC. "Pour la Chine, nous avons discuté avec beaucoup d'acteurs et Tencent a été notre choix final parce qu'il nous permettait de renforcer nos marques, d'accélérer leur développement sur le marché incroyablement dynamique du PC en Chine, et de déployer nos marques PC sur mobile. Pour atteindre cet objectif de 5 milliards de clients, nous devons diffuser nos franchises au plus grand nombre", relève Yves Guillemot.
Des garde-fous au partenariat avec le géant chinois
Le patron d'Ubisoft espère "augmenter de 100 millions le nombre de joueurs qui verront les jeux (mobiles) Ketchapp" de l'éditeur français. Ubisoft parle aussi beaucoup de e-sport avec Tencent: "L'objectif est d'être dans le Top 5 des jeux les plus regardés" avec des titres comme Rainbow 6, For Honor, Just Dance. Mais l'éditeur a tout de même mis des garde-fous à son partenariat avec une limite de 5% à la participation du géant chinois sur cinq ans. "Notre actionnariat rassemble des acteurs reconnus et diversifiés. Ils connaissent notre industrie. L'idée est de garder sur la durée un équilibre de cette nature", explique Yves Guillemot.La famille Guillemot : participation de 18,45% dans Ubisoft
Si la famille fondatrice Guillemot dispose à ce jour d'une participation de 18,45% (et 23,04% des droits de vote), qui pourrait décroître à l'avenir, elle ne vise pas de minorité de blocage. "Nous voulons surtout un bon équilibre entre les différents actionnaires, qui reste stable dans la durée", explique Yves Guillemot. Mais dans l'immédiat, le patron d'Ubisoft, dont le jeu Far Cry 5 vient de signe le deuxième plus gros lancement avec 310 millions de dollars en une semaine, va s'accorder des vacances.