"Les dés sont sur le tapis, je répète, les dés sont sur le tapis". Le 4 juin 1944, Radio Londres invite la résistance bretonne à déclencher le plan vert, la destruction des voies ferrées. Immédiatement, des centaines d’hommes prennent le chemin de Saint-Marcel, dans le Morbihan. Les 80 ans de cette bataille pour la Libération ont été commémorés en juin dernier.
[Article publié précédemment en juin 2020]
Au cœur des landes de Lanvaux, une poignée de résistants ont créé le maquis de Saint-Marcel. C’est là que se trouve la "Drop zone Baleine". Une zone de parachutage repérée par les alliés dès 1943. Le vaste champ est situé entre une rivière et la voie ferrée, facilement repérable du ciel, loin des grandes villes où se trouvent les Allemands.
150 000 soldats du Reich en Bretagne
Début juin 1944, 150 000 soldats du Reich sont installés en Bretagne. Le débarquement vient d’avoir lieu, résistants et parachutistes ont pour mission de fixer les Allemands en Bretagne, pour empêcher l’envoi de renfort vers la Normandie. Ils doivent saboter les lignes téléphoniques, les voies ferrées, créer le désordre. Et pour ce faire, ils ont besoin d’armes.
Tombées du ciel
À partir du 9 juin, chaque nuit, ce sont 150 à 200 containers d’armement et de munitions qui sont larguées. Le 13 juin, 700 containers. Le 17 juin, 4 jeeps sont « droppées » sur Baleine. En totalité, 45 tonnes de matériel. C’est le plus important parachutage de la France occupée.
Christian Bougeard, professeur d’histoire contemporaine, estime qu’ils ont permis d’équiper 3 000 à 4 000 hommes.
Près de Baleine, la ferme de la Nouette s’est transformée en camp retranché. Le colonel Bourgoin, Chef des SAS, le "Special Air Service" parachuté début juin, y a installé son poste de commandement.
VIDEO. 80 ans du Débarquement en Bretagne. "La flèche ne passera pas" Emmanuel Macron a rendu hommage aux maquisards de Saint-Marcel dans le Morbihan (francetvinfo.fr)
Le Bureau des Opérations Aériennes de Bretagne occupe le grenier avec son matériel radio, le poste de santé a été établi dans une dépendance de la ferme. Un atelier de réparation auto et les réserves de carburant se trouvent un peu plus loin, dans une autre ferme.
2 000 à 3 000 hommes vivent dans ce que l’on appelle « la Petite France ». Les fours à pain tournent à plein régime, les charrettes des fermiers amènent de la viande, des légumes, du cidre pour répondre aux besoins du camp.
Mais les parachutages et les allées et venues des maquisards ne sont pas passés inaperçus.
On avait organisé une boucherie, une épicerie, tout cela au coeur des landes de Lanvaux
Christian BougeardProfesseur d'histoire contemporaine
Londres a donné l’ordre d’évacuer le camp. Le 18 juin, à 4 h 30 du matin, deux voitures de patrouille allemandes pénètrent dans le camp. Le feu est ouvert. Cinq Allemands sont tués, deux autres faits prisonniers, mais un soldat parvient à s’échapper et donne l’alerte.
Les Allemands pensent, sans doute, qu’il y a là une petite poche de résistants. À 9 h, 200 Allemands de la garnison de Malestroit foncent sur le maquis.
Les hommes de Saint-Marcel n’ont pour la plupart aucune science du combat, ils n’ont jamais connu le feu et sont plus ou moins disciplinés, explique Christian Bougeard, "mais ils sont encadrés par les parachutistes SAS et par des officiers de réserve. Ils vont tenir toute la journée".
Pour occasionner le plus de pertes possible, les FFI laissent les Allemands s’avancer avant d’ouvrir le feu. Une deuxième attaque débute à 10 h. Les soldats du Reich subissent à nouveau de lourds dommages.
À 14 h, les Allemands s’élancent une troisième fois, ils sont épaulés par des Géorgiens. Les bois sont en feu.
Le commandant Bourgoin demande l’aide de l’aviation. Des chasseurs bombardiers viennent au secours des maquisards et mitraillent leurs assaillants. Le maquis s’étend sur 800 hectares. Les combats sont terribles. De nouvelles troupes allemandes continuent d’arriver de St Cyr-Coëtquidan.
Représailles
À la tombée de la nuit, les résistants s’interrogent : ils savent que le lendemain, les Allemands auront du renfort, en hommes et en matériel. À 22 heures, ordre est donné d’évacuer. Les hommes s’évanouissent dans la nuit, chacun regagne son maquis. Avant de quitter le camp, les parachutistes font sauter des stocks d’explosifs et de munitions.
Le lendemain, à l’aube, les Allemands, furieux, découvrent un camp entièrement vide.
Dans les jours qui suivent, les Allemands se lancent dans une chasse à l’homme, ils torturent et massacrent les FFI qu’ils parviennent à dénicher. Ils incendient le bourg de Saint-Marcel.
Vingt-huit Français sont morts le jour de la bataille, beaucoup d’autres ont été tués ou déportés dans les semaines qui ont suivi.
Mais pour la 1ʳᵉ fois, la résistance a mis l’ennemi en difficulté. Les soldats allemands ne seront plus jamais tranquilles en Bretagne.
Un musée de la Résistance bretonne
Cette histoire est la nôtre. Tristan Leroy, conservateur du Musée de la Résistance Bretonne à Saint-Marcel, préfère le mot de « Nécessité » à celui de « Devoir »de mémoire.
"Les hommes de St-Marcel se sont battus, explique-t-il, pour notre liberté, pour des idées. Il ne faut pas qu’ils soient morts pour rien. La paix reste fragile".
En 1848, Victor Hugo écrivait : "Les souvenirs sont nos forces. Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates, comme on allume des flambeaux".