"Vannes, ville d'art, d'histoire et de drogue". Des riverains à bout ont installé dans la ville des bâches avec des slogans férocement ironiques, une situation qui illustre la problématique du développement des trafics de stupéfiants dans les villes moyennes françaises.
Non loin de la rocade, en lisière du bois de Kermesquel excentré du port, de jeunes dealers sont assis tranquillement sur une chaise, fumant un joint et attendant des acheteurs en cette journée d'automne. "Kermesquel 15 août fête de la drogue", "Vannes la stupéfiante: overdose", "Kermesquel Eldorado des dealers" ou encore affiches d'une offre d'emploi recherchant des "chouffeurs" payés 200 euros par jour... Un collectif de riverains multiplie depuis cet été des slogans chocs pour interpeller les pouvoirs publics.
D'après les autorités spécialisées dans la lutte contre les trafics de stupéfiants, les deux principaux points de deal présents dans la préfecture du Morbihan attirent 700 à 750 clients par jour, avec des acheteurs venant de tout le sud du département, pour un chiffre d'affaires estimé entre sept et huit millions d'euros par an.
"Les vendeurs et les guetteurs sont même recrutés à l'extérieur, certains viennent de loin, de région parisienne, voire de Marseille", soupire une source bien informée, qui préfère rester anonyme.
Ville étudiante, Vannes attire aussi acheteurs et dealers car de nombreux visiteurs, dont les Parisiens, viennent y passer leur weekend, attirés par sa magnifique baie. D'après Christophe Lemaire, délégué du syndicat Alliance de la police nationale dans le Morbihan, la "réponse policière" contre les trafics existe bel et bien mais il s'agit "ni plus ni moins d'une ligne de front où l'on avance nos positions", avec un "jeu du chat et de la souris en permanence".
"Pour patrouiller dans ces secteurs, on se rend compte que la clientèle vient de différentes classes sociales: le jeune en période d'examen, la mère de famille qui rentre du boulot et même des gens de 60, voire 70 ans !", dit-il, soulignant que "c'était cette demande qui créait l'offre" et donc la présence des points de deal.
Un combat quotidien
A la mairie, située sur les hauteurs du port breton, on affiche "la volonté politique de ne pas laisser s'enkyster cette situation", avec un triplement de la vidéo protection, un renforcement des effectifs de police et l'armement des policiers municipaux, explique Vincent Le Gall, secrétaire général de la mairie (divers droite). "Dans pleins de quartiers en France, tout le monde sait où ça se passe et on est content de laisser ça: ce n'est pas le cas à Vannes", assure-t-il, rappelant que des opérations coup de poing de la police et le démantèlement de réseaux ont régulièrement lieu.
D'après un haut-responsable des forces de l'ordre, qui souhaite rester anonyme, "les trafics de stupéfiants ont vraiment perfusé dans la profondeur des territoires, dans les petites villes", à l'image de Vannes qui compte 53.000 habitants. "Les micro-trafics sont devenus une réalité du quotidien", reconnaît cette source.
"Un trafic historiquement bien implanté"
Pour le procureur de Vannes François Touron, il s'agit bien d'un "un trafic historiquement bien implanté" contre lequel il est "difficile de lutter". Mais "c'est un combat au quotidien et une priorité aussi bien pour les services de police que pour la justice vannetaise. Nous sommes bien conscients de l'enjeu que ça représente pour les gens d'avoir les trafiquants au pied de leur cage d'escalier et ce que cela induit comme intimidation".
Preuve que le sujet préoccupe les pouvoirs publics, en 2017, le procureur de Vannes a mis en place un Groupement local de traitement de la délinquance (GLTD) avec pour but de faire circuler l'information entre tous les services de l'Etat concernés par cette lutte contre les produits stupéfiants.
Mais le trafic de drogue à Vannes, "c'est l'hydre de Lerne: vous faites tomber une tête, deux repoussent", reconnaît une source demandant l'anonymat.