Procès Mediator : un "incompréhensible" retrait tardif du médicament pour l'IGAS

Un retrait tardif "incompréhensible" du Mediator, dont les effets indésirables étaient signalés au moins dix ans avant sa suspension effective du marché : trois fonctionnaires de l'Igas ont accablé les laboratoires Servier et l'Agence du médicament, jugés à Paris. 

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Le 15 janvier 2011, Aquilino Morelle, ancien interne des hôpitaux de Paris, Etienne Marie, haut fonctionnaire au ministère de la Santé, et Anne-Carole Bensadon, médecin généraliste, livraient lors d'une conférence de presse les conclusions de leur enquête au vitriol sur le Mediator et les laboratoires Servier, accusés d'avoir "anesthésié" les acteurs de la chaîne du médicament. 

Près de neuf ans plus tard, à la barre du tribunal correctionnel, les mots diffèrent mais le constat de l'ex-mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) est le même : le Mediator "aurait dû être retiré en 1999", soit dix ans avant sa suspension effective du marché, et ne pas l'avoir fait est "incompréhensible".

1999, année charnière insiste le Dr Bensadon, est celle d'"alertes fortes", "capitales" sur les effets indésirables du médicament: un premier cas de valvulopathie, une insuffisance aortique avec une "imputabilité plausible" au Mediator est signalé en février, suivi d'un cas d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une maladie très rare, en juin. 
 


"Le doute profite au médicament"


Malgré ces "signaux extrêmement inquiétants", le médicament n'est pas suspendu par les autorités de santé, déplore Anne-Carole Bensadon, qui évoque deux autres "occasions manquées", en 2005 et 2007, alors que le médicament vient d'être retiré par Servier en Espagne et en Italie et que les cas de maladies se multiplient en France. Faisant le constat de la faillite d'un système de pharmacovigilance dans lequel "le doute profite au médicament", le Dr Bensadon observe, amère, que "dans cette histoire tragique, la vie du médicament est prioritaire à la vie du malade". 

"Jamais le bénéfice-risque (du Mediator, ndlr) n'a été étudié correctement", tempête à son tour Aquilino Morelle, l'ancienne plume de François Hollande à l'Elysée, qui s'est longuement attardé sur les propriétés pharmacologiques de ce médicament.

Il est reproché aux laboratoires Servier d'avoir sciemment dissimulé les propriétés anorexigènes du Mediator et ses effets indésirables, et donc d'avoir trompé l'Agence du médicament, ce qu'ils contestent. Tenu pour responsable de centaines de morts, cet adjuvant au traitement du diabète avait été largement prescrit comme coupe-faim "parce que c'était un anorexigène", lâche M. Morelle, citant les propres travaux des laboratoires Servier. S'il avait "été envisagé en 1974 (date de l'autorisation de mise sur le marché, ndlr) comme le dérivé amphétaminique qu'il est, alors très probablement il n'aurait jamais été autorisé", assure M. Morelle, droit à la barre au côté de ses ex-collègues.

Et ce docteur en médecine d'asséner: dans cette affaire, "le salut est venu de l'extérieur, des lanceurs d'alerte" comme la pneumologue de Brest Irène Frachon ou la revue médicale Prescrire, "extérieurs au système", répète-t-il. Soumis à un feu nourri de questions de la défense des laboratoires Servier qui estiment que le rapport de l'Igas était "biaisé" et nourrira l'information judiciaire ouverte un mois plus tard, les témoins ont pu sembler sur la défensive, mais n'ont pas varié dans leurs explications.

Leur audition a été suspendue vers 20 h et reprendra ce mercredi après-midi. Ils sont les premiers à être entendus par le tribunal depuis l'ouverture le 23 septembre de ce procès-fleuve, prévu pour s'achever fin avril 2020. Onze personnes morales et douze personnes physiques comparaissent au total. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps) est jugée au côté des laboratoires Servier pour "homicides et blessures involontaires" par "négligence", pour avoir tardé à suspendre la vente du médicament. 

"L'ANSM ne sollicitera pas la relaxe dans cette affaire", a indiqué mardi son directeur général Dominique Martin, qui représente l'Agence au procès. "Je considère en effet que la décision de retrait du médicament en 2009 a été tardive, trop tardive, et aurait dû être prise plus tôt", a-t-il déclaré, évoquant "un drame humain et un désastre sanitaire". 

   
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