Le tourisme, notamment le monde de l'hôtellerie-restauration, nage en plein brouillard, malgré les annonces de ce jeudi. Dans la région, six emplois saisonniers sur dix en dépendent, ils seront les premiers à faire les frais de cet été si incertain.
Philippe Y. est saisonnier depuis 30 ans, un mode de vie dont il apprécie la liberté. La montagne l’hiver, le bord de mer le reste de l’année. Mais en trois décennies d’expérience, jamais il n’avait vécu cela : une saison qui s’achève brutalement, en quelques heures.
C’était au cœur de la station pyrénéenne de la Mongie. « C’était surréaliste, la station s’est vidée d’un coup. » Il devait normalement enchaîner pour la deuxième année consécutive dans un centre de vacances du côté de Quiberon.
Un contrat oral pour le début du mois d’avril qui est resté, vu les circonstances, au point mort. Finalement, il sera peut être mis au chômage partiel à partir de la fin mai, en attendant la réouverture du site. «J’aimerais bien reprendre car au niveau financier, ça ne pourra pas durer, mais je ne suis pas le plus à plaindre», philosophe-t-il.
Sans les expositions, les animations, les différents événements, nous n’aurons plus besoin d’autant de personnel.
Une situation loin d’être isolée, tant le monde du tourisme est ébranlé. Du côté de Perros-Guirec, Didier Alno, directeur de l’office du tourisme embauche habituellement une quinzaine de saisonniers. « Cette année, au mieux, il y en aura sept. La ville compte normalement sur une centaine de ces emplois, il y en aura trente au maximum», détaille-t-il.
90 % des embauches ont été soit annulés, soit ajournés
Même écho du côté du monde de l’hôtellerie-restauration. « Ce qui manque, c’est de la lisibilité», regrette François de Pena, vice-président du syndicat de la profession, l’UMIH en Bretagne. « 90 % des embauches ont été soit annulées, soit ajournées jusqu’à ce que nous ayons une vision plus claire des conditions dans lesquelles nous pourrons réouvrir nos établissements. »
Ce professionnel est lui-même, avec son épouse, à la tête d’une crêperie-bistro à Bain-de-Bretagne, avec six salariés. «Si pour des questions sanitaires, le nombre de couverts dans la salle et sur la terrasse doivent être beaucoup réduits, je n’aurais pas le volume pour embaucher un saisonnier», explique-t-il.
25 à 30% des affaires pourraient disparaître dans les 6 mois
Et la situation est la même pour tous avec une question qui revient : faut-il réouvrir pour travailler à perte ? « L’inquiétude monte, et ça vire au désespoir. Beaucoup ne savent pas s’ils pourront ouvrir à nouveau, 25 à 30% des affaires pourraient disparaître d’ici six mois. »
Des chiffres qui pèsent évidemment sur l’emploi saisonnier. « Sur les 20 000 embauches saisonnières habituelles, il y en aura à peine 4000 cette année. C’est une catastrophe», affirme le restaurateur.
Dans les bureaux de l’UMIH du Finistère, à cette époque, elles sont quatre salariées à rédiger les contrats. «En cette période, ça explose d’habitude. Là, je suis seule et je n’ai pas rédigé un seul contrat», témoigne notre interlocutrice. «C’est la panique à bord, certains visent l’année blanche».
Pas de perspective non plus pour les « extras » qui viennent donner un coup de main au moment des mariages, des fêtes religieuses. «C’est tout un petit monde qui ne peut plus vivre et qui n’a pas le droit au chômage partiel», ajoute-t-elle.
Les étudiants premiers concernés
Un petit monde souvent étudiant qui risque de ne pas pouvoir gagner l’argent qui permet de financer une partie de l’année.
Alan Guillemin, coprésident de l’association « Droits des étudiants » de Rennes s’en inquiète : «La demande est plus importante que d’habitude et malheureusement l’offre beaucoup plus faible. Par ailleurs, l'aide de 200 euros annoncée pour les étudiants précaires est un premier pas mais c'est insuffisant".
L'association, qui nous a adressé un communiqué, propose "la mise en place d'une plateforme en ligne visant à recenser les emplois saisonniers et faciliter ensuite la mise en relation des étudiants et des employeurs".
Les étudiants rennais sont inquiets.
François de Pena de l’UMIH Bretagne prévoit déjà les conséquences sociales de cette disparition de ressources étudiantes pour l’hiver prochain.
Mohamed Bouchari est marocain, installé à Rennes et étudiant à La Sorbonne. A 36 ans, il a repris des études de sociologie politique mais a besoin de travailler. Pour l’instant, très peu d’offres et toutes hypothétiques. «On m’a appelé, mais finalement pour l’instant, tous préfèrent patienter. Je suis prêt à faire n’importe quoi dans la restauration, le nettoyage, l’agroalimentaire. Une entreprise d’intérim qui m’a appelé hier m’a dit que ce serait des missions courtes». Mais pour l’instant, pour Mohamed comme pour beaucoup, c’est l’attente…
Des missions plus courtes
«Les employeurs vont rester prudents pour l’embauche de renforts», nous explique Laurent Queffurus, directeur de la mission locale Ouest Côtes d’Armor. «On va avoir une pression plus forte dans le tourisme, il y aura peut-être des solutions de compensation dans l’agriculture ou le commerce mais à la marge».
Laurent Queffurus veut malgré tout rester optimiste : «Notre région a des atouts et elle peut tirer son épingle du jeu, mais peut-être sur une période plus concentrée, en juillet et août. Il faudra alors peut-être s’adapter à des missions courtes.Ceux qui seront les plus mobiles, les plus dynamiques pourront éventuellement accumuler et multiplier des petits contrats pour parvenir à un niveau de rémunération suffisant.
La concurrence des nouveaux chômeurs
Mais il y aura aussi une autre inconnue : quelle sera la concurrence de ceux qui ont perdu leur emploi ? Incertitude aussi sur le secteur agroalimentaire. Et Laurent Queffurus de citer l’entreprise de sandwiches Daunat, basée à Guingamp : «D’habitude, ils ont une forte activité sur six mois notamment pour ravitailler les stations services au moment des vacances d’été. Mais les Français vont-ils beaucoup se déplacer ? »
Que d’éléments difficiles à estimer, apprécier, mesurer…
Face à toutes ces incertitudes, Philippe Y. le saisonnier de la Mongie et de Quiberon a tenu à citer l’une des maximes d’Edgar Morin « Attends-toi à l’inattendu ».