Les personnes LGBTQI s'organisent pour pouvoir accéder à des praticiens "ouverts" et bienveillants lorsqu'il s'agit de leur santé. Nombreux sont encore ceux qui ne se soignent pas, par crainte d'attitudes ou de remarques non respectueuses de leur identité.
L'accès à la santé pour les personnes LGBTQI (lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes) s'avère problématique. Une étude du défenseur des droits publiée en 2018 affirme que "34,7% des personnes homosexuelles ayant dévoilé leur orientation sexuelle à leur médecin se sont senties jugées. 65% des personnes trans ont eu le sentiment d’avoir été discriminées au cours de leurs entretiens de santé."
Ce problème est bien connu des associations. "Nous n'avons pas vraiment le droit de donner des listes" indique Elian Barcelo vice-président d'Iskis à Rennes à propos des professionnels de santé. "Nous fonctionnons par recommandation, entre pairs."
Stratégie de l'évitement
"Certaines personnes se sont coupées du système de santé, par appréhension ou à la suite de mauvaises expériences. Aller vers le soin peut aller de pair avec une vulnérabilité" relève Elian Barcelo.
Pour les personnes transgenres, les difficultés sont nombreuses. "Des attitudes qui, pour des personnes lambdas, sont très peu significatives, vont le devenir pour les personnes transgenres : la mauvaise utilisation d'un pronom, l'utilisation du féminin ou du masculin par maladresse ou non, se dénuder, des réflexions sur la photo de la carte vitale...".
Il y aussi les questions intrusives, qu'on ne poserait pas à d'autres. "Par exemple, lors des bilans hormonaux, quand on fait des prélèvements, les soignants se mettent à vous poser des questions très personnelles, inutiles."
Elian estime que dans la majorité des cas, les professionnels de santé manquent d'informations et sont très peu sensibilisés pendant leur parcours, y compris sur les bancs de la fac.
Thierry Labarthe, médecin généraliste, confirme ne pas avoir été confronté à ces questions pendant ses études. "Quand j'échange avec mes patients, tout est une question de ressenti des besoins. Pour les traitements ou sur la surveillance de mes patients transgenres, je n'ai pas toujours tous les renseignements nécessaires. J'ai aussi des questionnements dont je n'ose pas faire part. On rentre dans l'intime, ce n'est pas évident." explique-t-il. Dans son quotidien, l'assurance maladie n'est pas encore au diapason et pas adaptée à certains cas de figure : "Comment imaginer faire un frottis à une personne qui a changé d'identité civilement ? Donc à un homme ? " Sur le papier, je ne serai pas, par exemple, remboursé de cet acte."
Également généraliste, Yannick Beaufils constate "il y a un frein pour les personnes LGBT, par peur que l'on rapporte tout à leur sexualité ou à leur genre." "Quelques formations existent dans le cadre des FMC (formation médicale continue) mais c'est sur la base du volontariat du praticien. Et il faut pouvoir prendre le temps d'y assister." De son côté, il travaille actuellement sur un projet de formation, en 2020, "sur la sexualité, au sens large du terme", à destination des internes à Rennes.
Un travail autour de la déconstruction
Le planning familial joue un rôle majeur dans l'accueil et l'orientation des personnes LGBTQI, vers les médecins, lorsqu'il s'agit de santé sexuelle. "Il y a quelques années, il y avait effectivement le constat que ces publics n'avaient pas de lieux sécurisants et clairement identifiés, pour venir consulter" raconte Anne-Claire Bouscal, directrice du planning familial 35. Elle ajoute "Certains n'osent pas évoquer des éléments de leur santé, de leur vie, ce qui peut engendrer des prises de risque."
Le planning a décidé de former tous ses professionnels à un accueil inclusif en revenant sur "c'est quoi le genre ? c'est quoi l'orientation sexuelle ?"
"Celui qui pousse notre porte doit se dire qu'il est reçu sans préjugé. Il a fallu déconstruire les stérérotypes. Dans n'importe quel cabinet médical, on dit 'Madame" ou 'Monsieur". Ici non." Anne-Claire Bouscal concède "c'est un travail permanent de déconstruire mais si la personne qui reçoit n'a pas fait ce chemin, cela peut effectivement être violent pour le patient."
Elle conclut : "Il est toujours préférable de demander ce que son interlocuteur souhaite, plutôt que de commettre une maladresse."
Des traitements plus accessibles ?
Pour des traitements spécifiques, qui concernent la santé sexuelle, la question de l'interlocuteur se pose également. La Prep, par exemple, s’adresse aux personnes qui n’ont pas le VIH. Il s'agit de prendre un médicament, afin d’éviter de se faire contaminer.
Aujourd'hui, la première prescription se fait à l'hôpital. Son renouvelement peut ensuite être fait par un médecin généraliste. Dans les faits, la plupart des HSH (hommes qui ont des rapports sexuels avec d'autres hommes) ne vont pas vers leur généraliste à cause des préjugés et des images stéréotypées sur leur supposée "vie débridée".
Dans les prochains mois pourtant, les généralistes vont en devenir les primo-prescripteurs et une campagne de sensibilisation devrait les accompagner. Leur rôle s'annoncera essentiel. Il faut compter six mois d'attente pour avoir un premier rendez-vous au CHU de Rennes pour la Prep car il n'y a qu'un seul médecin référent. Saint-Malo est dans le même cas, avec une seule personne en charge de la Prep.
Y a t-il des spécialités dans lesquelles les carences se font le plus sentir ? "Il y a beaucoup de demandes sur les psychologues, ou les psychiatres, auxquelles on ne sait actuellement pas répondre" répond Elian Barcelo de l'association Iskis.
Même si un travail important de sensibilisation reste à faire, des réseaux se mettent en place comme le ReST (Réseau de Santé Trans) à Rennes, qui regroupe des médecins, le planning familial, des personnes transgenres, dans l'optique d'améliorer la prise en charge médicale.