Dans un monde où tout va vite, où les sollicitations sont fortes et incessantes, où le bruit est omniprésent, certains cherchent le silence, la paix. Nous leur consacrons une série d'articles. Pour ce premier volet, nous partons à la rencontre de Guirec Soudée. Marin aventurier, le silence est pour lui une nécessité, quasiment vitale. Il s'est confié à nous.
Son nom fait souvent beaucoup de bruit. Mais ce qu'il préfère, lui, c'est la tranquillité. Guirec Soudée, jeune marin aventurier trentenaire, est connu pour son périple de cinq ans à la voile, autour du monde, accompagné de sa poule Monique, ainsi que pour sa double traversée à la rame de l'océan Atlantique. Il ne se prépare pas au silence mais invente sa vie pour partir à sa recherche. Le vrai silence, c'est en mer qu'il le trouve. Il nous raconte.
"Le silence c'est quelque chose de fort, d'important, d'indispensable, mais pas que pour moi, pour tout le monde car c'est prendre le temps de vivre. C'est vraiment prendre le temps ".
À la conquête du silence
" En mer, j’essaie de me déplacer avec des moyens qui ne font pas de bruit, à la rame, à la voile... Quand j'allume un moteur, c'est un peu une punition. Le bruit vient gâcher ce moment de plaisir.
107 jours de mer en solitaire dont 90 sans moyen de communication, je repense souvent à cette traversée retour à la rame Cap-Cod - Brest."
"L'aventure est une chance à partir du moment où je vais dans un milieu silencieux. Je me retrouve en tête-à-tête avec moi-même. Je me régénère, je réfléchis."
Je choisis des endroits où il y a très peu de navigation maritime, j'évite les autoroutes de cargo.
Guirec Soudée
"La Route du rhum, la Jacques Vabre, The Transat CIC Lorient-New-York, sont des traversées de 10 à 15 jours qui ne me permettent pas de trouver un silence assez fort. Elles me sont cependant très importantes pour m'entraîner et me qualifier à des courses plus longues comme le Vendée Globe. Là, je sais que je trouverai des moments de vraie coupure avec la terre. J'attends ces départs avec impatience".
Se déconnecter, ralentir, prendre son temps
C'est très loin des bruits du monde, au large de Plougrescant, dans une petite île sauvage costarmoricaine, nommée Yvinec, que le navigateur aventurier a grandi. Le silence lui est familier et vital.
Le silence est un dépaysement, une forme de ralentissement, de liberté, une déconnexion du monde humain, une reconnexion avec soi-même et les éléments.
Guirec Soudée
"C'est prendre le temps de prendre soin de soi, de manger, d'observer, d'écouter, de se poser les bonnes questions, de partir sur quelque chose d'intéressant pour soi, de faire un bilan...
Je suis très heureux, mais sollicité en permanence, je ne fais que courir. Il m'est difficile de trouver du temps pour penser très clairement."
En mer la sensation de prendre le temps de vivre l'instant présent, de savourer chaque chose est décuplée.
Guirec Soudée
" À cet endroit je suis avec la vraie version de moi-même. Il n'y a pas de place pour la frime ni pour le mensonge.
Je pense que la plupart de toutes mes aventures ont été construites dans des moments de silence en mer."
Cure de silence
"On n'est pas forcément obligé de partir à l'autre bout du monde au milieu de l'océan pour trouver le silence. Il peut être proche et ne durer que quelques heures. Mais le mieux pour moi est de partir quelques semaines. En cure de silence."
Tout le monde devrait pouvoir expérimenter un repos sonore au moins une fois par an pour se retrouver, pour du bien-être et de l'épanouissement.
Guirec Soudée
"Le silence a un début et une fin et ne peut pas être interrompu. Il est sans parasite, pas de bruit de circulation, de réseaux sociaux.... C'est seulement dans ces moments-là que l'on peut le vivre pleinement. Il faut le silence de l'extérieur pour arriver au silence de l'intérieur.
J'aime ressentir le sentiment d'être seul au monde. Il n'est pas facile à expliquer."
La sublime beauté du silence
"Le plus beau silence que j'ai vécu est lors de mon hivernage dans les glaces au Groenland. Certains matins, quand je sortais de mon bateau sur la banquise, pas de vent, pas de bruit. Il planait une atmosphère étrange. Est-ce que je vis un rêve ? Je me sentais privilégié, savourais ces instants rares et précieux. Impossible aujourd'hui de retrouver des moments comme ceux-là dans mon quotidien, surtout depuis que j'ai des enfants" souligne-t-il d'une voix paisible et souriante.
"Les mammifères marins, les vagues qui viennent taper contre la coque, cette mélodie fait partie du silence que je vais chercher. Le bruit de la nature participe au silence, lui ajoute même une petite touche.
Dans cette paix sonore tout est réduit. Peu de couleurs, le bleu du ciel et de la mer, quelques nuances de vert et des touches éparses de gris. Peu d'odeur."
Le silence apprend à se concentrer sur l'essentiel.
Guirec Soudée
"Puis revenir au monde du bruit m'est toujours compliqué."
Retour à la civilisation, retour au bruit
"Je n'ai jamais trouvé le silence terrifiant, ni angoissant. Il ne me fait pas souffrir de solitude. Bien au contraire car ma plus grande frayeur est ma reconnexion au monde du bruit.
Après 140 jours de mer entre San Francisco et Cape Town, j'ai subi une escale forcée en Afrique du Sud. Mon bateau était en très mauvais état, j'étais à court de nombreuses choses... Je me souviens d'entendre au loin le bruit de la ville, le trafic, les usines... en plus de tout ce bruit, la vision de la ville m'a affolé. J'ai mis ma main devant les yeux, j'ai bouché mes oreilles. Je me suis dit, non je ne peux pas arriver là, ce n'est pas possible. Il faut que j'y aille progressivement, que je trouve une île avec très peu d'habitants, un endroit un peu sauvage.
J'avais besoin d'un petit sas pour remettre le bruit dans ma vie progressivement."
"C'était vraiment, vraiment, dur pour moi. Quand je suis rentré de ma traversée à la rame, j'étais totalement perdu. Je ne comprenais pas où j'étais, ne réussissais pas à suivre les conversations. Habitué à ne rien entendre, d'un coup j'entendais tout et n'arrivais plus à me concentrer sur une discussion."
Le bruit m'excluait. Je n'appartenais plus au monde du bruit et pour y revenir je devais y aller doucement, à mon rythme.
Guirec Soudée
"De temps en temps, des rendez-vous m'imposent de me rendre à Paris. L'idée d'affronter ce bruit me rend malheureux. Alors lorsque c'est possible je cale mes rendez-vous à Montparnasse afin de rentrer chez moi le plus vite possible", exprime-t-il d'un ton ironique.
Paris est une ville magnifique mais je ne recherche que les endroits isolés.
J'ai la chance d'avoir pu acheter ma maison dans un endroit reculé où je profite du silence".
"Mais l'endroit où je me sens le mieux est sur les océans. Isolé dans l'immensité je me rends compte de ma petitesse à l'échelle du monde et que finalement je n'ai pas besoin de grand-chose pour être heureux. Le silence m'apporte beaucoup de joie et d'envie de vivre. Son effet est garanti."