Au premier tour des législatives, une majorité de circonscriptions a placé le RN en tête des suffrages, parfois largement. Pourtant, dans ces territoires ruraux où l'extrême droite fait le plein, l'immigration et l'insécurité restent moins présentes qu'en ville.
Le grand vainqueur des élections législatives 2024 est évident lorsqu'on regarde une carte de France. Une grande majorité de circonscriptions a placé en tête un candidat du Rassemblement national, même lorsque ce dernier, comme à Orléans, n'a même pas fait campagne ni affiché son visage.
Insécurité et sentiment d'insécurité
Pourtant, ce vote semble très différencié entre les centres urbains et les ruralités. Si RN fait campagne sur le sentiment d'insécurité et un illusoire "grand remplacement" (théorie raciste infondée issue des milieux néo-nazis et identitaires), ses arguments ne convainquent pas en ville.
Les centres urbains les plus peuplés, qui accueillent d'ailleurs souvent une grande diversité de nationalités, ne votent pas pour l'extrême droite. Quand bien même la forte densité de population pourrait occasionner une délinquance et une criminalité plus élevées qu'à la campagne.
En Centre-Val de Loire, Tours et, de façon plus étonnante, Orléans, ont ainsi préféré les candidats issus de EELV, Génération.s et du Parti socialiste.
Le vote RN est élevé là où la criminalité et la délinquance sont les moins observées. pic.twitter.com/0cEdDpKznK
— GRZ (@GuillaumeRozier) July 3, 2024
De fait, comme le montre notre carte, le RN et ses alliés issus de LR triomphent généralement dans les petites villes aux environs de 1000 habitants. Des campagnes calmes, où l'étranger n'est perçu qu'à travers le filtre de la télévision et des réseaux sociaux.
Plus précisément, une étude Ipsos réalisée pour France Télévisions, Radio France et Public Sénat a tracé le portrait-robot de l'électeur de la coalition présidentielle, du Nouveau Front populaire et de l'extrême droite pour ces législatives 2024.
Si l'électeur de gauche est d'abord jeune, à 48%, il est aussi souvent diplômé et citadin. À l'inverse, "les fondamentaux de l'électorat RN restent d'actualité", expliquent les auteurs de l'étude.
Ses meilleurs scores sont donc enregistrés auprès des ouvriers (57%), et il progresse à toute vitesse chez les employés (44%, 19 points de plus qu'en 2022) et les personnes non-diplômées (49%, +21 points). L'électeur RN éprouve également des difficultés financières (46%) et vit dans une commune de moins de 2000 habitants (40%).
Une absence de mixité politique et une gauche "invisible"
Alors, pourquoi les campagnes calmes votent pour le RN, tandis que les villes cosmopolites et plus "dangereuses" l'ignorent ?
"Les différences de vote entre centres urbains et mondes ruraux s’expliquent non pas en raison du caractère urbain ou rural des communes, mais par des différences de composition sociale", explique au Monde le géographe Olivier Bouba-Olga.
Niveaux de diplôme, de revenu, génération et genre jouent beaucoup plus que le fait d'habiter à la campagne ou non. Campagnes qui sont d'ailleurs toutes différences et qu'on ne saurait réduire à "la Province".
En revanche, le départ des diplômés ruraux pour les grandes villes explique, pour le sociologue Benoît Coquard cité dans le même média, la "logique de concentration sociale" qui contribue à "une absence de mixité politique" et donc à l'hégémonie d'une extrême droite dans certains groupes sociaux.
Cette France "des sous-préfectures" est donc celle d'où partent les jeunes diplômés, où l'on sociabilise peu, et où l'image du monde citadin est construite par des médias bolloréens obsédés par le fait divers. "Si les personnes qu’on fréquente sont en affinité avec le RN, si quand on allume la télé ou qu’on sort de chez soi ça dit du bien du RN, si rien ne vient contredire, il y a un effet de légitimation", résume Benoît Coquard.
Le progrès en trompe-l'œil de la gauche radicale
Dans les mêmes espaces, la gauche existe toujours en réalité, mais elle est devenue invisible, faute de maillage militant, et à cause de la déprise des sociabilités de gauche classique, syndicats en tête.
"Le fait est que la gauche ne recule pas dans ces territoires : simplement elle y progresse moins vite", explique à Marianne Axel Bruneau, professeur agrégé de géographie. En revanche, "l’ensemble formé par Les Écologistes et la liste PS-Place-Publique ne parvient à retrouver la totalité de ses électeurs de 2019 que dans les grandes villes et dans leurs immédiates périphéries".
"Il y a donc une aspiration à la radicalité dans les petites villes comme ailleurs" note le géographe,"seulement elle y est davantage préemptée pour l’instant par l’extrême droite tribunitienne".
De fait, en Centre-Val de Loire, l'extrême droite réalise au premier tour son meilleur score en Sologne, dans la 2e circonscription du Loir-et-Cher (49,72% avec près de 15 000 voix d'avance) et dans la 4e circonscription du Loiret (49,65%), tandis que le PCF, représentant du Nouveau front populaire, y recule. En revanche, dans presque toutes les grandes villes de la région, la gauche a progressé.
Dans la 2e circonscription du Cher, historiquement acquise à la gauche, le PCF a largement dévissé, laissant planer l'ombre du basculement de ce bastion communiste. Reste à voir si le second tour de ce 7 juillet confirmera cette impression.
