La proposition de loi UDI de lutte contre les déserts médicaux rejetée hier était défendue par le député d'Eure-et-Loir, Philippe Vigier. Le texte proposait que les médecins libéraux soient tenus de s'installer au moins trois ans dans des zones sous-dotées.
L'Assemblée nationale a une nouvelle fois rejeté jeudi une proposition de loi UDI visant à lutter contre les déserts médicaux, notamment par des mesures contraignantes sur l'installation des médecins.Défendu par le patron des députés centristes, Philippe Vigier (Eure-et-Loir), ce texte proposait que les médecins libéraux soient tenus, à compter de 2020, de s'installer au moins trois ans dans des zones sous-dotées.
Quasi similaire à de précédents texte UDI, repoussés aussi sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, il préconisait des stages obligatoires en territoire manquant de médecin pour les étudiants en troisième année d'internat ou encore un numerus clausus en fonction des besoins par régions.
Après deux heures et demie d'un débat souvent passionné, l'Assemblée a voté, à l'initiative des socialistes, une motion de rejet préalable (42 contre 14). Un procédé critiqué par les centristes et des élus Front de Gauche ou écologistes contestataires.
La ministre de la Santé Marisol Touraine a dénoncé "l'inefficacité" des "mesures coercitives" prévues par le texte UDI.
Favoriser l'installation de médecins
Vantant la politique du gouvernement en faveur de l'installation de jeunes médecins en zones sous-dotées (maisons de santé pluridisciplinaires, contrats d'engagement de service public, etc), elle a annoncé un relèvement généralisé de 11% du nombre de médecins à former. Cela s'ajoute à la hausse ciblée sur certaines régions décidée il y a un an.Si gauche et droite se sont accordées sur le constat inquiet de l'extension des déserts médicaux, des divergences sont apparues sur les "remèdes à administrer", selon la formule du socialiste Michel Issindou, critique d'une option UDI "à la limite de la nationalisation de la médecine".
Pour le Front de Gauche, Jacqueline Fraysse, médecin de profession, a jugé les résultats des politiques engagées "encore insuffisants".
Au nom du groupe LR, dans sa "large majorité" contre, Jean-Pierre Door (Loiret) a assuré que "l'arme de la coercition n'a jamais fait ses preuves".
Dissonances dans chaque camp
Des dissonances sont cependant apparues dans chaque camp.Député de Lozère, "où il y a non-assistance à personne en danger" parfois, le LR Pierre Morel-à-L'Huissier, a appuyé l'UDI et réclamé du "courage" vu "l'échec des incitations" et leur "gabegie financière".
Côté socialiste, la présidente de la commission des Affaires sociales, Catherine Lemorton, a lancé une mise en garde "grave": "l'opinion publique se retournera, un jour", car "elle finance ce système" et "dira aux politiques de droite et gauche "je veux un médecin".
Marisol Touraine annonce une nouvelle hausse du nombre de médecins formés
Former plus de médecins pour pallier la pénurie : la ministre de la Santé Marisol Touraine a annoncé jeudi un nouveau relèvement du nombre d'étudiants en médecine, une mesure "politique" accueillie avec scepticisme par les syndicats.Préoccupation majeure à quelques mois de la présidentielle, le problème des déserts médicaux a encore été débattu jeudi à l'Assemblée nationale, à travers une proposition de loi UDI (lire ci-dessus).
L'occasion pour la ministre de vanter la "politique forte, volontariste, innovante" menée depuis 2012 en faveur de l'installation de jeunes médecins en zones sous-dotées (maisons de santé pluridisciplinaires, contrats d'engagement de service public, etc).
Le gouvernement a toujours privilégié les aides financières et autres mesures incitatives, par opposition aux mesures coercitives préconisées dans le texte du chef de file des députés centristes, Philippe Vigier, un mois après le rejet d'un amendement au projet de budget de la sécurité sociale dans ce sens.
Numerus clausus relevé
Mais si cette politique "commence à porter ses fruits", elle doit être "poursuivie et amplifiée", a insisté la ministre. Ainsi, le numerus clausus, qui détermine le nombre d'étudiants accédant à la deuxième année d'études, "sera augmenté de 478 places supplémentaires dans 22 facultés, soit une augmentation de 11%" pour ces 22 facultés, a annoncé Mme Touraine. La liste des établissements concernés sera publié "prochainement par arrêté", a-t-on indiqué au ministère.
A noter que sur l'ensemble des facs, la hausse dépassera à peine 6%. Cette mesure vient après 131 places annoncées l'année dernière pour 10 régions
en manque de médecins, a-t-elle rappelé.
Sera-t-elle adaptée à la pénurie de généralistes, la plus pressante, notamment en raison de l'explosion des départs en retraite ? De 2007 à 2025, la France aura perdu un quart de généralistes, calcule l'Ordre des médecins.
Contactées par l'AFP, les organisations professionnelles, étudiantes ou d'internes (en troisième cycle d'études) se montrent en outre très réservées. Elles s'interrogent en particulier sur les conditions de mise en oeuvre dans des facs aux "capacités déjà largement débordées", selon Claude Leicher, le président de MG France.
Il faudra augmenter le nombre d'enseignants et les possibilités de stages, prévient-il. Attention à ne pas "sacrifier la qualité de la formation", renchérit Antoine Oudin, le président de l'Anemf (étudiants).
"Un affichage politique"
"C'est surtout un affichage politique, cela nous paraît intenable au vu des capacités actuelles", s'inquiète Stéphane Bouxom, porte-parole de l'Isnar-IMG (internes de médecine générale).
La mesure mettra "au mieux 10 ans" à porter ses fruits souligne pour sa part Olivier Le Pennetier (Isni, internes), rappelant qu'il faut surtout travailler sur l'attractivité des zones sous-denses, où le conjoint du médecin doit pouvoir "trouver un travail" et "scolariser ses enfants".
Augmenter le nombre de stages dans les cabinets de ville, mettre en place une politique d'accueil des nouveaux médecins, les aider à se loger sont autant de mesures dont les effets se ressentiront plus rapidement, estime M. Bouxom. Jean-Paul Ortiz, le président du premier syndicat de médecins libéraux (CSMF) a de son côté fustigé "une annonce spectaculaire" ne tenant pas compte des "vraies problématiques".
"Nouvelles règles de zonage"
Mais la ministre ne s'arrêtera pas là. Elle a promis dans l'hémicycle que "de nouvelles règles de zonage" se mettraient en place. Elle envisage aussi "des dispositions -nécessairement législatives-, qui permettront de traiter la situation des médecins qui n'ont pas soutenu leur thèse dans les temps et souhaitent exercer la médecine".
Au grand bonheur d'Emilie Frelat, la présidente du Snjmg (jeunes généralistes), qui défend depuis longtemps ces "privés de thèses".
Tous les syndicats saluent enfin l'abandon de mesures coercitives par l'Assemblée. Celles-ci risqueraient d'entraîner "une médecine à deux vitesses" en poussant les médecins à rompre leurs liens avec l'Assurance maladie, a redit la ministre.
Parallèlement au bilan, "dans les prochaines semaines", de la politique menée depuis le début du quinquennat, une mission parlementaire sur la démographie médicale "permettra de faire un point, et le cas échéant d'aller plus loin", a-t-elle assuré.