S'assumer en tant que personne LGBT peut être plus difficile encore en milieu rural. Une jeune femme vivant dans le Berry nous raconte toutes les difficultés qu'elle a rencontrées lorsqu'elle a fait son coming-out à ses parents.
"J'ai peur du regard des gens, de tenir la main à ma compagne dans la rue [...] Pour autant, je ne me vois pas aujourd'hui vivre dans une grande ville". A la différence de beaucoup d'autres étudiants, Emilie* a choisi de vivre à la campagne, plus précisément dans le Berry, comme pour rester proche de sa Creuse natale.
Chez elle, elle vit avec sa compagne. Sur leurs photos de vacances, affichées ça et là dans la pièce de vie baignée de lumière, elle apparaît heureuse à ses côtés. Pourtant, ce bonheur est la source du conflit avec ses parents.
"Je ne pouvais pas vivre toute ma vie sous l'épée de Damoclès imposée par mes parents"
Émilie* est fille d'agriculteurs. Ses parents acceptaient difficilement qu'elle ait des relations amoureuses. Jusqu'au jour où elle se met en couple avec un autre agriculteur : "Ils étaient rassurés parce qu'ils le connaissaient déjà et ils savaient dans quoi ils s'engageaient". En parallèle de cette histoire d'amour, elle entame des études pour mener une carrière dans le social. C'est le moment, se souvient-elle, où elle doit "s'ouvrir davantage aux autres". Jusqu'au jour où elle ressent une forte complicité avec une autre femme.
J'ai rencontré plein de personnes qui avaient des visions complètement différentes de la vie. C'est comme ça que je me suis rapprochée d'une autre personne. Je me suis rendue compte que j'avais beaucoup plus en commun avec elle qu'avec l'homme avec qui j'étais en relation.
Emilie*
Les questions se bousculent dans sa tête. "Est-ce que c'est normal ? Est-ce que c'est possible avec une femme ? Est-ce que c'est vraiment une attirance amoureuse ?" Elle réfléchit aussi aux conséquences. "Tout de suite j'ai pensé aux regards de mes parents. Je savais que si je quittais l'homme avec qui j'étais, qui est devenu pour mon père quelqu'un de très important, j'allais baisser dans son estime. Je savais qu'il n'accepterait aucunement que je sorte avec une femme."
Pourtant, elle se sent alors plus épanouie et heureuse que jamais. "Au bout d'un moment, je ne pouvais pas vivre toute ma vie sous l'épée de Damoclès imposée par mes parents". Elle décide de quitter son compagnon après cinq ans de relation, avant de se mettre en couple et de s'installer avec cette nouvelle compagne. Reste l'annonce aux parents.
Du chantage au suicide aux menaces de violences physiques
Émilie* choisit le premier confinement pour faire son coming-out à ses parents, moment où elle ne peut pas les voir et où, par conséquent, elle se sent en sécurité chez elle. "Je leur ai écrit une lettre où je leur dis absolument tout sur la personne que j'étais en train de devenir. A la fin, je leur ai dit que j'aimais une femme et que peu importe ce qu'ils pouvaient me dire, c'était ce que j'étais et ce que je ressentais".
Quatre "longs" jours passent avant que sa mère ne lui téléphone. "Elle ne m'a pas parlé de son ressenti mais de celui de mon papa. Il ne voulait plus que je vienne, plus me parler. Elle m'a dit qu'elle s'inquiétait que mon père fasse une bêtise, parce qu'il n'arrêtait pas de le répéter". La jeune femme ne pleure pas durant l'appel, mais s'effondre après avoir raccroché. Cet épisode est à l'origine de "beaucoup de cauchemars où je voyais mon papa mettre fin à ses jours".
Elle m'a dit que si mon papa se suicidait, c'était de ma faute et que de toute façon, s'il faisait une bêtise, elle le suivrait.
Emilie*
Le chemin a été long, mais aujourd'hui, Émilie* assure avoir retrouvé la relation qu'elle a toujours eue avec sa mère. "J'ai la sensation de l'avoir délivrée de mon papa. Elle vient maintenant chez moi alors que je vis en couple". Sa compagne connait même la quasi-totalité de sa belle-famille, hormis son beau-père, qui refuse toujours de la rencontrer. "J’attends plus rien de mon papa aujourd’hui parce que ça a été tellement loin, jusqu’au point où il a failli me frapper. Y’a quelque chose pour moi qui a été brisé".
23% des agressions physiques à caractère homophobe dans le cadre familial
A Martizay, dans l'Indre, réside Michel Navion, référent SOS Homophobie en Centre-Val de Loire. Avocat de profession, il assure recevoir une vingtaine de plaintes par an concernant des cas d'homophobie sur l'Indre et l'Indre-et-Loire. Des gens qui, pour la plupart, vivent en milieu rural. "En campagne, ce sont des agressions de campagne. Ca va être des injures d'une propriété à une autre, des agressions plus vicieuses, du genre de la colle dans la serrure, des boulettes empoisonnées pour les animaux de compagnie ou des agressions tout simplement".
Selon le dernier rapport de SOS Homophobie, 23% des agressions physiques à caractère homophobe se déroulent dans le cadre familial, et 27% proviennent du voisinage. Pour l'avocat, le meilleur, et sans doute le seul, moyen de lutter contre ces délits, c'est informer. Et ce, dès le plus jeune âge, par le biais de l'école ou encore de ciné-débats.
Les violences homophobes viennent de l'ignorance
Michel Navion, référent SOS Homophobie en Centre-Val de Loire
Grandir en milieu rural, c'est vivre dans un environnement où quasiment tout le monde se connait et où l'anonymat n'est pas toujours respecté. Difficile donc de s'assumer, de s'identifier à une communauté et de trouver des personnes concernées par les mêmes questions, aggravant l'isolement des personnes en question. "C'est aussi plus difficile de trouver des lieux de convivialité. Même si les réseaux sociaux offrent aujourd'hui des lieux de contact, ça ne compense pas le contact d'une boîte de nuit par exemple" selon Michel Navion.
Quatre psychologues ont eu l'idée de créer à l'été 2021 l'association LGBTQIA+ Berry pour tenter "de combler ce vide", pour reprendre les mots de sa présidente Sarah Szymanski. Basée à Bourges, son but est de créer un lieu d'écoute, également par téléphone, et de dialogue non seulement pour les personnes concernées mais aussi les proches et les professionnels qui souhaitent être sensibilisés à ses questions. "On leur apprend à faire la distinction entre le genre, le sexe biologique, en quoi c'est important de bien genrer une personne...". Des ciné-échanges, des expositions, des ateliers ou encore des soirées en partenariat avec la maison de la culture de Bourges sont également organisés. A plus long terme, l'association souhaite rayonner à travers le Berry, pour sensibiliser au-delà des grandes villes.
(*) : les prénoms ont volontairement été modifiés afin de garder l'anonymat.